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— Eh bien, puisque je suis là… si ça ne vous fait rien… je pourrais en profiter…

Et il se tourna vers la rangée d’urinoirs.

Baley comprit, avec un malaise mêlé de répulsion. Il se détourna vivement et dit :

— Je vous attendrai dehors.

— Non, non, ne partez pas, protesta désespérément Gremionis d’une voix affolée. Ça ne prendra qu’une seconde. Je vous en prie !

Ce fut uniquement parce qu’il souhaitait tout aussi désespérément parler à Gremionis – et surtout ne pas l’offenser de peur qu’il refuse de répondre – que Baley accepta d’accéder à sa requête.

Il garda le dos tourné et ferma les yeux dans un réflexe de pudeur outragée. Il ne se détendit, plus ou moins, que lorsque Gremionis revint vers lui en s’essuyant les mains sur une serviette absorbante.

— Pourquoi voulez-vous me parler ? répéta-t-il.

— Gladïa, la Solarienne…

Gremionis hésita et se tut.

— Oui, je connais Gladïa, dit impatiemment Baley.

— Gladïa m’a visionné – à la télévision, vous savez ? – et m’a dit que vous aviez posé des questions sur moi et elle m’a demandé si j’avais, d’une façon ou d’une autre… maltraité un robot qu’elle possédait… un robot à l’aspect humain, comme un de ceux qui sont dehors…

— Et alors ? L’avez-vous fait, monsieur Gremionis ?

— Non ! Je ne savais même pas qu’elle possédait un tel robot, avant que… Vous lui avez dit que je le savais ?

— Je n’ai fait que poser des questions.

Gremionis serra son poing droit et le tourna nerveusement dans sa main gauche. Il reprit, d’une voix crispée :

— Je ne veux pas être accusé à tort de quoi que ce soit… et surtout pas quand une telle accusation risque de compromettre mes rapports avec Gladïa.

— Comment m’avez-vous découvert ? demanda Baley.

— Elle m’a interrogé à propos de ce robot, elle m’a dit que vous vous étiez renseigné sur moi et, par ailleurs, j’avais appris que le Dr Fastolfe vous avait fait venir à Aurora pour résoudre ce… cette énigme… au sujet du robot. C’était au journal en Hyperonde. Et…

Ses phrases étaient entrecoupées, comme s’il s’arrachait les mots avec difficulté.

— Continuez, dit Baley.

— Il fallait que je vous parle, que je vous explique que je n’avais rien à voir avec ce robot. Rien ! Gladïa ne savait pas où vous étiez mais j’ai pensé que le Dr Fastolfe pourrait me le dire.

— Alors vous lui avez téléphoné ?

— Oh non, je… je n’aurais pas eu l’aplomb de… C’est un savant si prestigieux ! Mais Gladïa l’a appelé pour moi. Elle… elle est comme ça. Il lui a dit que vous étiez allé voir sa fille, le Dr Vasilia Aliena. C’était une chance, puisque je la connais.

— Oui, je le sais.

Gremionis parut mal à l’aise.

— Comment… Est-ce que vous lui avez aussi posé des questions sur moi ? (Sa gêne devenait de l’inquiétude.) Finalement, j’ai appelé le Dr Vasilia et elle m’a dit que vous veniez de partir et que je vous trouverais probablement dans une Personnelle communautaire, et celle-ci était la plus voisine de son établissement. J’étais sûr que vous n’auriez aucune raison d’attendre d’en trouver une plus éloignée.

— Bien raisonné, mais comment se fait-il que vous soyez arrivé si vite ?

Je travaille à l’Institut de Robotique et mon établissement se trouve dans l’enceinte de l’Institut. Mon scooter m’a amené ici en quelques minutes.

— Vous êtes venu seul ?

— Oui ! Avec un seul robot. Le scooter n’a que deux places.

— Et votre robot attend dehors ?

— Oui.

— Répétez-moi pourquoi vous vouliez me voir.

— Je tiens à m’assurer que vous ne pensez pas que j’aie rien à voir avec ce robot. Jamais je n’en avais seulement entendu parler avant que cette affaire éclate au grand jour. Alors, maintenant, puis-je vous parler ?

— Oui, mais pas ici, répliqua fermement Baley. Sortons.

Il trouva bizarre d’éprouver tant de plaisir à quitter des murs et à se retrouver à l’Extérieur. Cette Personnelle avait quelque chose de plus étranger que tout ce qu’il avait connu tant sur Aurora que sur Solaria. Il était moins déconcerté par l’usage sans discrimination qu’on en faisait que par l’horreur d’être abordé là.

Les livres-films qu’il avait visionnés ne lui avaient rien appris de cela. Il comprenait qu’ils n’avaient pas été écrits pour des Terriens mais pour des Aurorains et, dans une moindre mesure, pour des touristes des quarante-neuf autres mondes spatiens. Les Terriens, après tout, n’allaient presque jamais dans les mondes spatiens, et moins encore à Aurora. Ils n’y étaient pas les bienvenus, alors pourquoi se serait-on adressé à eux ?

Et pourquoi les livres-films auraient-ils expliqué ce que tout le monde savait ? Devaient-ils faire toute une histoire du fait qu’Aurora était de forme sphérique ou que l’eau était mouillée, ou qu’il soit licite d’adresser librement la parole à un homme dans une Personnelle ?

Et pourtant, cette liberté ne ridiculisait-elle pas le nom même de l’édicule ? Malgré tout, Baley ne put s’empêcher de penser aux Personnelles des Dames, sur Terre, où comme le lui avait souvent dit Jessie, les femmes bavardaient constamment sans en éprouver la moindre gêne. Pourquoi les femmes et pas les hommes, après tout ? Baley n’y avait jamais réfléchi sérieusement, il avait tout simplement accepté cet usage – un usage inviolable – mais dans le fond, pourquoi les femmes et pas les hommes ?

Cela n’avait pas grande importance. La pensée ne touchait que son intellect et non le sentiment qui lui faisait éprouver une inexprimable répulsion pour cette idée. Il répéta :

— Sortons.

Gremionis protesta.

— Mais vos robots sont là, dehors !

— Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ?

— Il s’agit d’une chose dont je veux parler en particulier, d’homme à… à homme.

— Je suppose que vous voulez dire de Spatien à Terrien ?

— Si vous voulez.

— Mes robots sont nécessaires. Ils sont mes collègues, dans cette enquête.

— Mais cela n’a rien à voir avec l’enquête. C’est ce que j’essaye de vous expliquer.

— Permettez-moi d’en être seul juge, déclara Baley avec fermeté, et il sortit.

Gremionis hésita, puis il le suivit.

45

Daneel et Giskard attendaient, impassibles, patients. Baley crut discerner sur la figure de Daneel une trace d’inquiétude mais il se pouvait qu’il attribue simplement cette émotion à ses traits faussement humains. Giskard ne révélait rien, bien entendu, même avec le plus fort penchant pour l’anthropomorphisme.

Un troisième robot attendait aussi, probablement celui de Gremionis. Il était d’une apparence encore plus simple que Giskard et paraissait assez mal entretenu. De toute évidence, Gremionis ne devait pas être très riche.

Daneel dit, avec ce que Baley prit automatiquement pour du soulagement et de l’affection :

— Je suis heureux que vous alliez bien, camarade Elijah.

— Très bien. Je suis curieux, cependant. Si vous m’aviez entendu appeler au secours, à l’intérieur, seriez-vous entrés ?

— Immédiatement, monsieur, répondit Giskard.

— Même si vous êtes programmés pour ne pas entrer dans une Personnelle ?

— La nécessité de protéger un être humain, en l’occurrence vous, monsieur, passerait avant tout.