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— C’est exact, camarade Elijah, confirma Daneel.

— Je suis bien aise de l’apprendre, dit Baley. Cette personne est Santirix Gremionis. Monsieur Gremionis, voici Daneel et voici Giskard.

Chaque robot inclina gravement la tête. Gremionis leur jeta à peine un coup d’œil et leva une main indifférente. Il ne présenta pas son robot.

Baley regarda de tous côtés. Le jour avait nettement baissé, le vent était plus vif, l’air plus frais et le soleil complètement caché par des nuages. Tout le paysage était plongé dans une pénombre qui n’inquiéta pas du tout Baley ; il continuait d’être enchanté d’avoir échappé à la Personnelle. Son moral monta en flèche à la pensée stupéfiante qu’il était capable de se féliciter d’être à l’Extérieur. C’était un cas particulier, bien sûr, mais tout de même un commencement et il ne pouvait se retenir de considérer cela comme une victoire.

Baley allait se tourner vers Gremionis pour reprendre la conversation quand, du coin de l’œil, il surprit un mouvement. Une femme, accompagnée par un robot, traversait la pelouse. Elle venait vers eux mais avec une totale indifférence et se dirigeait manifestement vers la Personnelle.

Baley tendit un bras vers elle, comme pour l’arrêter bien qu’elle fût encore à trente mètres, en marmonnant :

— Ne sait-elle pas que c’est une Personnelle pour hommes ?

— Quoi ? fit Gremionis.

La femme avançait toujours, sous les yeux de Baley de plus en plus perplexe. Finalement, le robot d’escorte se plaça d’un côté pour attendre et la femme entra dans l’édicule.

— Mais elle ne peut pas entrer là ! s’exclama Baley.

— Pourquoi ? s’étonna Gremionis. C’est communautaire.

— Mais c’est pour les hommes !

— C’est pour tout le monde, dit Gremionis, apparemment très dérouté.

— Pour les deux sexes ? Indifféremment ? Vous ne parlez pas sérieusement !

— Pour n’importe quel être humain. Bien sûr que je parle sérieusement ! Comment voudriez-vous que ce soit ? Je ne comprends pas.

Baley se détourna. Quelques minutes plus tôt, il trouvait que la conversation dans une Personnelle était le summum du mauvais goût. S’il avait cherché à imaginer quelque chose de pire, il aurait été bien en peine de concevoir la possibilité d’une rencontre avec une femme dans une Personnelle.

Et si, pendant qu’il était dans cette Personnelle, une femme était entrée – tout naturellement, avec indifférence – comme celle-ci venait de le faire ? Ou, pis encore, s’il y était entré et y avait trouvé une femme ?

Il ne pouvait pas imaginer sa réaction. Et de cela non plus, les livres-films n’avaient pas parlé !

Il les avait étudiés afin de ne pas commencer son enquête dans l’ignorance totale de la manière de vivre auroraine… et ces lectures ne lui avaient rien laissé entrevoir de ce qui était important.

Alors comment pourrait-il démêler l’écheveau embrouillé de la mort de Jander, si à tout instant, il se trouvait égaré par son ignorance ?

Un instant plus tôt, il s’était senti triomphant, heureux d’avoir vaincu sa terreur de l’Extérieur, mais à présent il affrontait le drame de tout ignorer, d’ignorer jusqu’à la nature même de son ignorance.

Ce fut à ce moment, alors qu’il faisait des efforts pour ne pas imaginer la femme dans cet espace si récemment occupé par lui-même, qu’il faillit sombrer dans le désespoir total.

46

Giskard demanda encore une fois (et d’une façon qui trahissait son souci, plus par les mots que par le ton de la voix):

— Vous ne vous sentez pas bien, monsieur ? Avez-vous besoin d’aide ?

— Non, non, je vais très bien, grogna Baley. Mais ne restons pas là. Nous gênons les personnes qui voudraient utiliser ce lieu.

Il marcha rapidement vers l’aéroglisseur qui reposait sur la pelouse, près du sentier. De l’autre côté, il y avait un petit véhicule à deux roues, avec deux sièges l’un derrière l’autre. Baley supposa que c’était le scooter de Gremionis.

Son irritation et sa dépression étaient aggravées, il le sentait, par la faim. L’heure du déjeuner était passée depuis longtemps et il n’avait rien mangé. Il se tourna vers Gremionis.

— Causons… Mais, si cela ne vous fait rien, faisons cela à table. C’est-à-dire, si vous n’avez pas déjà déjeuné et si vous acceptez de vous asseoir avec moi.

— Où allez-vous manger ?

— Je ne sais pas. Où prend-on ses repas à l’Institut ?

— Pas dans le Réfectoire communautaire. Nous ne pourrions pas y parler commodément.

— Y a-t-il un autre choix ?

— Venez à mon établissement, proposa aussitôt Gremionis. Ce n’est pas un des plus luxueux. Je ne suis pas d’un rang bien élevé. Malgré tout, j’ai quelques bons robots de service et je peux vous promettre une table assez bien garnie. Je vais prendre mon scooter, avec Brundij – c’est mon robot – et vous me suivrez. Il faudra que vous alliez lentement, mais ce n’est qu’à un kilomètre. Cela ne nous demandera que deux ou trois minutes.

Il s’éloigna en courant. Baley l’observa en se disant qu’il avait l’air d’un jeune garçon dégingandé, encore tout gauche. Il était difficile de lui donner un âge, naturellement ; les Spatiens ne vieillissaient pas et Gremionis pouvait aisément avoir cinquante ans. Mais il avait un comportement très jeune, presque d’un adolescent selon les normes terriennes. Baley ne savait pas très bien ce qui lui donnait cette impression.

Il se tourna brusquement vers Daneel.

— Connais-tu Gremionis, Daneel ?

— Je ne l’avais encore jamais rencontré, camarade Elijah.

— Et toi, Giskard ?

— Je l’ai vu une fois, monsieur, mais seulement en passant.

— Sais-tu quelque chose de lui, Giskard ?

— Rien qui ne soit pas apparent à la surface, monsieur.

— Son âge ? Sa personnalité ?

— Non, monsieur.

— Prêts ? leur cria Gremionis.

Son scooter vrombissait assez irrégulièrement. Il était évident qu’il n’était pas assisté par des jets d’air comprimé. Les roues ne quitteraient pas le sol. Brundij était assis derrière Gremionis.

Giskard, Daneel et Baley remontèrent rapidement dans leur aéroglisseur.

Gremionis démarra et décrivit un cercle assez large. Ses cheveux volaient au vent derrière lui et Baley eut soudain la sensation de ce que cela devait être de voyager dans un véhicule découvert. Il fut heureux d’être complètement enfermé dans un aéroglisseur, qui lui paraissait une manière de se déplacer infiniment plus civilisée.

Le scooter se redressa et fila avec un grondement étouffé. Gremionis leva une main pour leur faire signe de le suivre. Derrière lui, le robot conservait son équilibre avec une parfaite aisance, sans se tenir à la taille de Gremionis comme l’aurait certainement fait un être humain.

L’aéroglisseur suivit. Le scooter avançait en droite ligne et paraissait aller très vite, mais ce ne devait être qu’une illusion produite par sa petite taille. L’aéroglisseur avait du mal à maintenir une allure assez réduite pour éviter de l’emboutir par-derrière.

— Malgré tout, murmura Baley, une chose m’étonne.

— Quoi donc, camarade Elijah ?

— Vasilia appelait ce Gremionis un barbier, non sans mépris. Apparemment, il s’occupe de coiffure, de vêtements, et d’autres questions d’ornements vestimentaires humains. Comment se fait-il, donc, qu’il ait un établissement dans l’enceinte de l’Institut de Robotique ?

XII. Encore Gremionis