Выбрать главу

— Roboticien ?

— Oui. Roboticien.

— Non, non, pas du tout. J’emploie des robots, comme tout le monde, mais je ne sais pas ce qu’ils ont à l’intérieur… A vrai dire, je m’en moque.

— Mais vous vivez ici, dans l’enceinte de l’Institut de Robotique. Comment cela se fait-il ?

— Pourquoi n’y vivrais-je pas ?

La voix de Gremionis était nettement plus hostile.

— Si vous n’êtes pas roboticien…

— C’est stupide ! L’Institut, quand il a été conçu il y a quelques années, devait être une communauté se suffisant à elle-même. Nous avons nos propres ateliers de réparation de véhicules de transport, nos propres ateliers d’entretien des robots, nos propres structuralistes. Notre personnel habite ici et si on a besoin d’un artiste, il y a Santirix Gremionis et je vis également ici. Y a-t-il quelque chose de répréhensible dans ma profession qui me l’interdirait ?

— Je n’ai pas dit ça !

Gremionis se détourna avec un reste de mauvaise humeur que la protestation hâtive de Baley n’avait pas dissipée. Il appuya sur un bouton puis, après avoir examiné une bande rectangulaire multicolore, il fit un geste qui ressemblait singulièrement à des doigts qui pianotaient.

Une sphère tomba lentement du plafond et resta en suspens à un mètre au-dessus de leur tête. Elle s’ouvrit, comme une orange se séparant par quartiers, et un déploiement de couleurs apparut à l’intérieur, en même temps que se diffusait une sorte de musique douce. Les couleurs et les sons se mêlaient avec un tel art que Baley, contemplant avec stupéfaction ce spectacle, s’aperçut au bout d’un court montent qu’il avait du mal à distinguer les uns des autres.

Les fenêtres s’opacifièrent et les quartiers d’orange devinrent plus vifs.

— Trop vif ? demanda Gremionis.

— Non, répondit Baley après une légère hésitation.

— C’est conçu pour l’ambiance et j’ai choisi une combinaison apaisante, qui nous permettra de parler plus facilement d’une manière civilisée, vous savez… Bon, si nous en venions au vif du sujet ? ajouta Gremionis en changeant de ton.

Baley, non sans quelque difficulté, s’arracha à la contemplation de ce… (Gremionis ne lui avait pas donné de nom) et répondit :

— Si vous voulez. Je ne demande pas mieux.

— M’avez-vous accusé d’avoir eu quelque chose à faire avec l’immobilisation de ce robot, Jander ?

— J’enquête simplement sur les circonstances de la fin de ce robot.

— Mais vous m’avez cité, en rapport avec cette fin… En fait, il y a un instant, vous me demandiez si j’étais roboticien. Je sais à quoi vous pensiez. Vous cherchiez à me faire avouer que je connais un peu la robotique, afin de pouvoir étayer votre hypothèse et me présenter comme le… le… le finisseur du robot.

— Vous pourriez dire le tueur.

— Le tueur ? On ne peut pas tuer un robot. Quoi qu’il en soit, je ne l’ai pas fait, je ne l’ai pas achevé, ou je ne l’ai pas tué, comme vous voudrez ! Je vous l’ai dit, je ne suis pas roboticien. Je ne connais rien à la robotique. Comment pouvez-vous penser une seconde que…

— Je dois explorer toutes les pistes, étudier tous les rapports. Jander appartenait à Gladïa, la Solarienne, et vous étiez très ami avec elle. Il y a un rapport.

— Cela pourrait être vrai de tous ses amis. Ce n’est pas un rapport.

— Etes-vous prêt à déclarer que vous n’avez jamais vu Jander, durant le temps qu’il vous est arrivé de passer dans l’établissement de Gladïa ?

— Jamais ! Pas une seule fois !

— Vous ne saviez pas qu’elle avait un robot humaniforme ?

— Non !

— Elle ne vous a jamais parlé de lui ?

— Elle avait des robots dans tous les coins. Rien que des robots ordinaires. Elle n’a parlé d’aucun autre. Baley haussa les épaules.

— Très bien. Je n’ai aucune raison – jusqu’à présent – de supposer que ce n’est pas la vérité.

— Alors dites-le à Gladïa !

— Gladïa a-t-elle une raison de penser autrement ?

— Naturellement ! Vous lui avez empoisonné l’esprit. Vous l’avez interrogée sur moi, dans ce contexte, et elle a supposé… elle a ajouté… Le fait est qu’elle m’a appelé ce matin et m’a demandé si j’avais eu quelque chose à voir avec ça. Je vous l’ai dit.

— Et vous avez nié ?

— Bien sûr que j’ai nié ! Et avec une grande force, parce que je n’ai réellement rien eu à voir dans cette affaire. Mais ce n’est pas convaincant si c’est moi qui le nie. Je veux que vous le fassiez, vous. Je veux que vous lui disiez que, à votre avis, je suis absolument innocent dans cette histoire. Vous venez de me dire que vous le pensiez et vous ne pouvez, sans la moindre preuve, détruire ma réputation. Je pourrais vous signaler.

— A qui ?

— Au Comité de Défense Personnelle. A la Législature. Le directeur de cet Institut est un ami personnel du Président lui-même et je lui ai déjà envoyé un rapport complet sur cette affaire. Je n’attends pas, vous comprenez. J’agis !

Gremionis secoua la tête d’un air qui se voulait féroce, mais qui, avec la douceur naturelle de son visage, n’emportait pas la conviction.

— Ecoutez, reprit-il, nous ne sommes pas sur la Terre. Ici, nous sommes protégés. Là-bas, sur votre planète surpeuplée, les gens ne sont qu’autant de ruches, de fourmilières. Vous pouvez vous bousculer, vous étouffer les uns les autres, ça n’a pas d’importance. Une vie ou un million de vies… ça n’a pas d’importance.

Baley intervint en faisant un effort pour ne pas parler avec dédain.

— Vous lisez trop de romans historiques.

— J’en lis, bien sûr, et ils décrivent la Terre comme elle est. On ne peut avoir un milliard de gens sur un seul monde sans qu’il en soit ainsi… A Aurora, nous représentons chacun une vie précieuse. Nous sommes tous physiquement protégés, par nos robots, si bien qu’il n’y a jamais une seule agression, et moins encore un meurtre, sur Aurora.

— Sauf dans le cas de Jander.

— Ce n’est pas un meurtre ! Ce n’était qu’un robot. Et nous sommes protégés par notre Législature contre d’autres maux que les agressions. Le Comité de Défense Personnelle considère d’un mauvais œil – d’un très mauvais œil – tout acte qui nuit injustement à une réputation, ou à la situation sociale de n’importe quel citoyen. Un Aurorain, agissant comme vous le faites, aurait beaucoup d’ennuis. Quant à un Terrien… ma foi…

— Je poursuis une enquête à la demande, je présume, de la Législature. Je ne pense pas que le Dr Fastolfe m’aurait fait venir ici sans une autorisation législative.

— C’est possible, mais cela ne vous donne pas le droit de dépasser les limites de l’investigation loyale.

— Allez-vous porter cela devant la Législature, alors ?

— Je vais demander au directeur de l’Institut…

— Au fait, comment s’appelle-t-il ?

— Kelden Amadiro. Je vais lui demander de porter cela devant la Législature – et il fait partie de la Législature, vous savez – c’est un des chefs du parti globaliste. Alors je pense que vous feriez mieux d’expliquer clairement à Gladïa que je suis totalement innocent.

— Je ne demande pas mieux, monsieur Gremionis, car j’ai l’impression que vous devez l’être, mais comment puis-je changer cette impression en certitude, si vous ne me permettez pas de vous poser quelques questions ?

Gremionis hésita. Puis, avec méfiance, il s’appuya contre le dossier de sa chaise, en croisant les mains derrière son cou, sans réussir pour autant à paraître à l’aise.