— Posez toujours. Je n’ai rien à cacher. Et quand vous aurez fini, vous devrez appeler Gladïa, là, par cet émetteur de télévision derrière vous, et lui dire ce que vous avez à lui dire, sinon vous aurez plus d’ennuis que vous ne pouvez l’imaginer.
— Je comprends. Mais d’abord… Depuis combien de temps connaissez-vous le Dr Vasilia Fastolfe ? Ou le Dr Vasilia Aliena, si vous la connaissez sous ce nom ?
Gremionis hésita, puis il répondit d’une voix tendue :
— Pourquoi me demandez-vous ça ? Quel rapport y a-t-il ?
Baley soupira et son expression amère s’accentua encore.
— Je vous rappelle, monsieur Gremionis, que vous n’avez rien à cacher et que vous devez me convaincre de votre innocence, afin que je puisse à mon tour en convaincre Gladïa. Alors dites-moi simplement depuis quand vous connaissez le Dr Vasilia. Si vous ne la connaissez pas, dites-le, mais avant que vous disiez cela, il est juste que je vous prévienne que le Dr Vasilia a déclaré que vous la connaissiez très bien, assez bien, tout au moins, pour vous être offert à elle.
Gremionis parut chagriné et répondit, sur un ton mal assuré :
— Je ne sais pas pourquoi on fait tant de bruit autour de cela. Une offre est un usage social tout à fait naturel, qui ne regarde personne… Naturellement, vous êtes un Terrien, alors bien sûr vous en faites toute une histoire !
— J’ai cru comprendre qu’elle n’avait pas accepté votre offre.
Gremionis laissa tomber ses mains sur ses genoux, les poings crispés.
— Accepter ou refuser, c’était uniquement son affaire. Il y a des personnes qui se sont offertes à moi, que j’ai repoussées. C’est sans la moindre importance.
— Admettons. Depuis combien de temps la connaissez-vous ?
— Depuis des années. Une quinzaine d’années.
— Vous la connaissiez quand elle vivait encore avec le Dr Fastolfe ?
— Je n’étais qu’un petit garçon, dit Gremionis en rougissant.
— Comment avez-vous fait sa connaissance ?
— Quand j’ai terminé mes études d’artiste, j’ai été chargé de lui créer une garde-robe. Elle en a été contente et ensuite elle a eu recours à mes services, pour cela exclusivement.
— Est-ce sur sa recommandation que vous avez obtenu votre situation actuelle de – comment dire… – d’artiste officiel pour les membres de l’Institut de Robotique ?
— Elle a reconnu mes qualifications. J’ai été pris à l’essai, avec d’autres, et j’ai obtenu la place grâce à mes seuls mérites.
— Mais vous a-t-elle recommandé ?
Laconiquement, et avec agacement, Gremionis répliqua :
— Oui.
— Et vous avez estimé que le meilleur moyen de la remercier serait de vous offrir à elle ?
Gremionis fit une grimace et humecta ses lèvres comme s’il goûtait quelque chose de déplaisant.
— Ce que vous dites est… répugnant ! Je suppose que ce doit être la tournure d’esprit des Terriens. Mon offre signifiait simplement que j’avais du plaisir à la faire.
— Parce qu’elle est très séduisante et possède une personnalité chaleureuse ?
Gremionis hésita.
— Eh bien, non, on ne peut pas dire qu’elle ait une personnalité chaleureuse… mais il est certain qu’elle est très séduisante.
— Je me suis laissé dire que vous vous offriez à tout le monde, sans discrimination.
— Ce n’est pas vrai !
— Qu’est-ce qui n’est pas vrai ? Que vous vous offrez à tout le monde ou qu’on me l’ait dit ?
— Que je m’offre à tout le monde. Qui vous a raconté ça ?
— Je crois qu’il ne servirait à rien que je réponde à cette question. Voudriez-vous que je vous cite comme une source d’informations embarrassantes ? Me parleriez-vous librement, si vous pensiez que je le ferais ?
— Ma foi, celui ou celle qui vous a dit ça a menti.
— Ce n’était peut-être qu’une exagération spectaculaire. Vous êtes-vous offert à d’autres personnes, avant le Dr Fastolfe ?
Gremionis se détourna.
— Une ou deux fois. Jamais sérieusement.
— Mais vous pensiez sérieusement au Dr Fastolfe ?
— Ma foi…
— Si j’ai bien compris, vous vous êtes offert à elle à plusieurs reprises, ce qui est tout à fait contraire aux usages aurorains.
— Oh, vous savez, les usages aurorains… (Il s’interrompit, pinça les lèvres, et son front se plissa.) Ecoutez, monsieur Baley, est-ce que je peux vous parler confidentiellement ?
— Certainement. Toutes mes questions sont simplement destinées à me convaincre que vous n’êtes responsable en rien de la mort de Jander. Une fois que je serai satisfait de ce que vous me dites, soyez assuré que je garderai vos réflexions pour moi.
— Très bien, alors. Ce n’est rien de mal, rien dont je puisse avoir honte, comprenez-vous. Mais simplement, j’ai un sens profond de l’intimité personnelle et c’est bien mon droit, il me semble. Non ?
— Absolument.
— Eh bien, voyez-vous, j’estime que les rapports sexuels sont meilleurs quand il existe entre les partenaires une affection et un amour profonds.
— Je crois que c’est tout à fait vrai.
— Alors, on n’a pas besoin des autres, n’est-ce pas ?
— Cela me paraît… plausible.
— J’ai toujours rêvé de trouver la partenaire idéale et de ne plus rechercher personne d’autre. On appelle cela de la monogamie. Cette pratique n’existe pas à Aurora, mais elle existe dans d’autres mondes, sur Terre, il paraît. N’est-ce pas ?
— En principe, monsieur Gremionis.
— C’est ça que je veux. C’est ce que je cherche depuis des années. Au cours de mes quelques expériences sexuelles, j’ai compris qu’il manquait quelque chose. Et puis j’ai fait la connaissance du Dr Vasilia et elle m’a dit… Vous savez, les gens se confient facilement à leur styliste personnel, parce qu’ils font un travail très personnel, et voici la partie vraiment confidentielle…
— Eh bien ? Je vous écoute.
Gremionis s’humecta encore les lèvres.
— Si ce que je vais dire maintenant se savait, je serais ruiné, détruit : Elle ferait tout pour cela, pour que je n’aie plus une seule commande. Etes-vous bien sûr que cela ait un rapport avec l’affaire ?
— Je vous affirme, avec le plus de force que je peux, que cela peut être d’une importance capitale.
Gremionis ne parut pas entièrement convaincu mais il se lança tout de même :
— Eh bien, voilà. Je crois avoir compris, d’après certaines bribes de confidences, diverses choses que le Dr Vasilia m’a dites que… qu’elle est… (et il baissa la voix de plusieurs tons) qu’elle est encore vierge.
— Je vois, murmura Baley.
Il se rappela la certitude qu’avait Vasilia que son père en la refusant avait marqué et perverti sa vie et il comprit mieux la haine qu’elle ressentait pour lui.
— Cela m’a excité. Il me semblait que je pourrais l’avoir toute à moi. Que je serais le seul homme qu’elle aurait jamais. Je ne peux pas expliquer l’importance que cela avait pour moi. Cela la rendait encore plus merveilleusement belle à mes yeux et je la désirais comme un fou.
— Vous vous êtes donc offert à elle.
— Oui.
— Avec insistance. Vous n’étiez pas découragé par ses refus ?
— Ça ne faisait que confirmer sa virginité, pour ainsi dire, et augmentait mon désir. C’était d’autant plus excitant que ce n’était pas facile. Je ne peux pas vous l’expliquer et je n’espère pas que vous le comprendrez.