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Gremionis semblait avoir surmonté son emportement et il était tout à fait à l’aise. Peut-être pensait-il aux promenades, se dit Baley, car il avait un demi-sourire aux lèvres. Il avait l’air plutôt sympathique – et vulnérable – tandis qu’il se rappelait on ne sait quelles bribes de conversation au cours d’une promenade on ne sait où. Baley faillit sourire aussi.

— Vasilia sait donc que vous avez poursuivi ces promenades ?

— Sans doute. J’ai pris l’habitude de m’accorder les mercredis et les samedis, parce que cela convenait à l’emploi du temps de Gladïa et parfois Vasilia plaisantait à ce sujet quand je lui apportais des croquis.

— Est-ce que le docteur Vasilia aime la marche ?

— Certainement pas.

Baley changea de position et contempla attentivement ses mains en disant :

— Je suppose que des robots vous accompagnaient dans vos promenades ?

— Oui, bien sûr. Un des miens, un des siens. Mais ils restaient plutôt à distance. Ils n’étaient pas sur nos talons, à la manière auroraine, comme dit Gladïa. Elle disait qu’elle préférait la solitude solarienne, alors je ne demandais pas mieux que de lui faire plaisir. Encore qu’au début, j’attrapais un torticolis à force de me retourner pour voir si Brundij était toujours avec moi.

— Et quel robot accompagnait Gladïa ?

— Ce n’était pas toujours le même. De toute façon, il se tenait à l’écart aussi. Je n’ai jamais eu l’occasion de lui parler.

— Et Jander ?

Aussitôt, la figure de Gremionis s’assombrit.

— Quoi, Jander ? grogna-t-il.

— Il n’est jamais venu, lui ? S’il était venu, vous l’auriez su, n’est-ce pas ?

— Un robot humaniforme ? Certainement. Il ne nous a jamais accompagnés. Jamais.

— Vous en êtes certain ?

— Absolument, répliqua Gremionis avec mauvaise humeur. Elle devait le trouver trop précieux pour le gaspiller en lui confiant des tâches à la portée de n’importe quel robot.

— Vous paraissez agacé. Vous le pensiez aussi ?

— C’était son robot. Je ne m’en souciais pas.

— Et vous ne l’avez jamais vu quand vous étiez chez Gladïa ?

— Jamais.

— Vous a-t-elle parlé de lui ?

— Je ne m’en souviens pas.

— Vous ne trouvez pas ça bizarre ?

Gremionis secoua la tête.

— Non. Pourquoi aurions-nous parlé de robots ? Les yeux sombres de Baley se fixèrent sur la figure du jeune homme.

— Aviez-vous une idée des rapports entre Gladïa et Jander ?

— Vous voulez dire qu’il y en avait, entre eux ?

— Est-ce que cela vous surprendrait ?

— Ce sont des choses qui arrivent, marmonna Gremionis. Ce n’est pas insolite. On peut se servir d’un robot, parfois, si on en a envie. Et un robot humaniforme… totalement humaniforme, je crois…

— Totalement, affirma Baley.

Gremionis fit une grimace.

— Eh bien, dans ce cas, une femme aurait du mal à résister, je pense.

— Elle vous a résisté, à vous. Ça ne vous gêne pas que Gladïa vous ait préféré un robot ?

— Ma foi, si on en arrive là… J’avoue avoir du mal à croire que ce soit vrai mais, si ça l’est, il n’y a aucune raison de s’en inquiéter. Un robot n’est qu’un robot. Une femme et un robot, ou un homme et un robot, ce n’est que de la masturbation.

— Très franchement, vous avez tout ignoré de ces rapports ? Vous n’avez jamais rien soupçonné ?

— Je n’y ai jamais pensé.

— Vous ne le saviez pas ? Ou bien vous le saviez mais n’y faisiez pas attention ?

Gremionis fronça les sourcils.

— Vous recommencez à insister. Que voulez-vous que je vous dise ? Maintenant que vous me mettez cette idée dans la tête, et que vous insistez, il me semble, avec le recul, que je me suis peut-être interrogé. Malgré tout, je n’ai jamais eu l’impression qu’il se passait quelque chose avant que vous vous mettiez à poser des questions.

— Vous en êtes bien sûr ?

— Oui, j’en suis sûr. Ne me harcelez pas !

— Je ne vous harcèle pas. Je me demande simplement s’il est possible que vous ayez su que Gladïa avait des rapports sexuels réguliers avec Jander, si vous saviez que jamais elle ne vous accepterait comme amant tant que cette liaison durerait, si vous la désiriez tant que vous auriez fait n’importe quoi pour éliminer Jander, en un mot, si vous étiez si jaloux que vous…

A ce moment Gremionis – comme si un ressort, tenu serré depuis plusieurs minutes, s’était brusquement détendu – se jeta sur Baley en poussant un grand cri. Baley, pris au dépourvu, eut un mouvement de recul instinctif et sa chaise bascula en arrière.

49

Immédiatement, des bras solides entourèrent Baley. Il se sentit soulevé. La chaise fut redressée et il eut conscience d’être soutenu par un robot. Il était facile d’oublier leur présence dans une pièce, quand ils se tenaient immobiles et silencieux dans leurs niches.

Ce n’était pas Daneel ni Giskard qui étaient venus à son secours, cependant. C’était Brundij, le robot de Gremionis.

— Monsieur, dit-il d’une voix un peu anormale, j’espère que vous ne vous êtes pas fait mal.

Mais où étaient Daneel et Giskard ?

La réponse fut aussitôt donnée. Les robots s’étaient partagé le travail rapidement et intelligemment. Daneel et Giskard, estimant instantanément qu’une chaise renversée risquait moins de blesser Baley qu’un Gremionis enragé, s’étaient rués sur lui. Brundij, voyant tout de suite qu’on n’avait pas besoin de lui de ce côté, s’occupa de l’invité.

Gremionis, encore debout, haletant, était complètement immobilisé dans la double étreinte des robots de Baley.

— Je vous en prie, croyez-moi, murmura-t-il, je suis tout à fait maître de moi.

— Oui, monsieur, dit Giskard.

— Certainement, monsieur Gremionis, susurra aimablement Daneel.

Leur étreinte se relâcha mais ni l’un ni l’autre ne s’écarta. Gremionis regarda à droite et à gauche, lissa un peu ses vêtements et puis il alla se rasseoir. Sa respiration était encore rapide et il était plus ou moins décoiffé.

Baley s’était relevé et s’appuyait des deux mains sur le dossier de sa chaise.

— Excusez-moi de m’être laissé emporter, dit Gremionis. De toute ma vie d’adulte, cela ne m’est pas arrivé. Vous m’avez accusé d’être… jaloux. C’est un mot qu’aucun Aurorain qui se respecte n’emploierait à l’égard d’un autre, mais j’aurais dû me souvenir que vous êtes un Terrien. C’est un mot qu’on ne trouve que dans les romans historiques et, même alors, il est généralement écrit « j » suivi de points de suspension. Naturellement, il n’en est pas de même chez vous. Je le comprends.

— Je vous présente également mes excuses, répondit gravement Baley. Je suis navré que mon oubli des usages aurorains m’ait égaré. Je vous donne ma parole que cela ne m’arrivera plus.

Il se rassit et déclara sur un autre ton :

— Je crois que nous nous sommes tout dit… Mais Gremionis parut ne pas l’entendre.

— Quand j’étais enfant, murmura-t-il, il m’arrivait de bousculer un camarade et d’être bousculé, et il fallait un moment avant que les robots prennent la peine de venir nous séparer, naturellement…

Daneel intervint :

— Si je puis me permettre d’expliquer, camarade Elijah. Il a été établi que la suppression totale de l’agressivité chez les très jeunes enfants a des conséquences peu souhaitables. Un peu de bagarre, une certaine compétitivité sont permises, et même encouragées, à la condition que personne ne se fasse vraiment mal. Les robots chargés des petits sont soigneusement programmés pour évaluer les risques et le degré de violence qui ne doit pas être dépassé. Moi, par exemple, je ne suis pas programmé en ce sens et je ne serais pas qualifié comme gardien de jeunes enfants, sauf en cas d’urgence et pour de brèves périodes. Giskard non plus.