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Baley avait achevé de se rafraîchir.

— Voilà, Daneel. J’ai pris mon temps, je ne me suis pas pressé du tout. Maintenant je suis prêt à ressortir et je me demande si Amadiro nous attend encore, ou s’il a délégué un subordonné pour nous accompagner jusqu’à la sortie. Après tout, Amadiro est un homme très occupé et il ne peut pas passer toute la journée avec moi. Qu’en penses-tu, Daneel ?

— Il serait plus logique qu’Amadiro ait délégué ses pouvoirs à quelqu’un.

— Et toi, Giskard ? Qu’en penses-tu ?

— Je suis d’accord avec l’Ami Daneel, bien que mon expérience m’ait appris que les êtres humains n’ont pas toujours une réaction logique.

— Pour ma part, dit Baley, je pense qu’Amadiro nous attend très patiemment. Si quelque chose l’a poussé à perdre tellement de temps avec nous, je pense que ce mobile, quel qu’il soit, reste toujours aussi fort.

— Je ne sais quel peut être ce mobile dont vous parlez, camarade Elijah.

— Moi non plus, Daneel. Et cela m’inquiète beaucoup. Mais ouvrons la porte, maintenant. Nous verrons bien.

57

Amadiro les attendait, à l’endroit précis où ils l’avaient laissé. Il leur sourit, sans manifester la moindre impatience. Baley ne put résister au plaisir de jeter à Daneel un petit coup d’œil – « je te le disais bien ». Daneel resta parfaitement impassible.

— Je regrette un peu, monsieur Baley, que vous n’ayez pas laissé Giskard dehors, quand vous êtes entré dans la Personnelle, dit Amadiro. Je le connaissais autrefois, quand Fastolfe et moi étions en meilleurs termes. Fastolfe a été mon professeur, vous savez.

— Vraiment ? Non, je ne le savais pas.

— Evidemment, si on ne vous l’a pas dit, et vous êtes depuis si peu de temps sur la planète que vous n’avez guère pu apprendre ce genre de détails mineurs, sans doute. Mais venez, je vous prie. J’ai pensé que vous ne me trouveriez guère hospitalier si je ne profitais pas de votre présence à l’Institut pour vous le faire visiter.

Baley se raidit un peu.

— Vraiment, je dois…

— J’insiste, dit Amadiro avec une nuance d’autorité dans la voix. Vous êtes arrivé à Aurora hier matin et je doute que vous restiez encore bien longtemps sur la planète. C’est peut-être la seule occasion que vous aurez d’avoir un aperçu d’un laboratoire moderne consacré à des travaux de recherche sur la robotique.

Il glissa son bras sous celui de Baley et continua de parler familièrement. (« Bavarder » fut le mot qui vint à l’esprit de Baley, fort étonné.)

— Il peut y avoir ici d’autres roboticiens que vous voudriez interroger et je ne demande pas mieux puisque je suis résolu à vous montrer que je ne place aucun obstacle sur votre chemin, durant le peu de temps qui vous reste pour poursuivre votre enquête. En fait, il n’y a pas de raison que vous ne dîniez pas avec nous.

Giskard intervint :

— Si je puis me permettre, monsieur…

— Tu ne le peux pas, trancha Amadiro avec une indiscutable fermeté et le robot se tut. Mon cher Baley, je connais ces robots. Qui les connaîtrait mieux que moi ? A part notre infortuné Fastolfe, bien entendu. Giskard, j’en suis sûr, va vous rappeler quelque rendez-vous, un problème, un devoir, et c’est tout à fait inutile. Comme l’enquête est pratiquement terminée, je vous promets que rien de ce qu’il veut vous rappeler n’a d’importance. Oublions toutes ces sottises et, pendant un petit moment, soyons amis…

« Vous devez comprendre que je suis un grand admirateur de la Terre et de sa culture. Ce n’est pas précisément le sujet le plus populaire, à Aurora, mais je le trouve fascinant. Je m’intéresse sincèrement à l’histoire et au passé de la Terre, au temps où elle avait une centaine de langues différentes, où le Standard interstellaire ne s’était pas encore répandu. Et permettez-moi de vous féliciter, incidemment, de votre propre maîtrise de ce langage.

« Par ici, par ici, dit-il en tournant au coin d’un couloir. Nous arrivons à la salle des sentiers simulés qui ne manque pas d’une étrange beauté particulière. Il peut y avoir une simulation en cours. Tout à fait symbolique, en réalité… Mais je parlais de votre maîtrise de l’interstellaire. Quand cette émission sur vous a été diffusée ici, beaucoup de gens ont dit que les acteurs ne pouvaient être des Terriens parce qu’on les comprenait, et pourtant je vous comprends très bien.

En disant cela, Amadiro sourit. Il reprit sur un ton confidentiel :

— J’ai essayé de lire Shakespeare, mais il m’a été impossible de le faire dans le texte original, et la traduction est curieusement plate. Je ne puis m’empêcher de penser que la faute en est à la traduction et non à Shakespeare. Je me débrouille mieux avec Dickens et Tolstoï, peut-être parce que c’est de la prose, bien que les noms des personnages soient, dans les deux cas, tout à fait imprononçables.

 » Tout ceci pour vous dire que je suis un ami de la Terre. Vraiment. Je ne désire que ce qu’il y a de mieux pour elle. Comprenez-vous ?

Il regarda Baley, et de nouveau le loup se devina dans ses yeux pétillants.

Baley éleva la voix pour couvrir le débit monotone du roboticien.

— Je crains de ne pouvoir accepter, docteur Amadiro. Je dois réellement aller à mes affaires et je n’ai plus de questions à vous poser, ni à personne d’autre ici. Si vous…

Baley s’interrompit. Il percevait dans l’air un faible et curieux grondement. Il releva la tête, surpris.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Quoi donc ? demanda Amadiro. Je ne remarque rien.

Il se tourna vers les deux robots, qui suivaient gravement, à distance.

— Rien ! répéta-t-il avec force. Rien.

Baley reconnut là l’équivalent d’un ordre. Aucun des robots ne pourrait maintenant prétendre avoir entendu le grondement, en contradiction flagrante avec un être humain, à moins que Baley lui-même applique une contre-pression, et il était certain de ne pouvoir le faire assez habilement, face au professionnalisme d’Amadiro.

Cela n’avait d’ailleurs aucune importance. Il avait bien entendu quelque chose et il n’était pas un robot ; on ne pourrait pas le persuader du contraire.

— Vous avez dit vous-même, docteur Amadiro, qu’il me reste peu de temps. Raison de plus pour que je doive…

Le grondement reprit, plus fort. Baley déclara, sur un ton tranchant :

— Voilà, je suppose, précisément ce que vous n’aviez pas entendu et que vous n’entendez pas maintenant.

— Laissez-moi partir, monsieur, sinon je demanderai de l’aide à mes robots.

Amadiro lâcha aussitôt le bras de Baley.

— Mon ami, vous n’avez qu’à en exprimer le désir. Venez ! Je vais vous conduire jusqu’à la sortie la plus proche et, si jamais vous revenez sur Aurora, ce qui me semble extrêmement peu probable, j’espère que vous viendrez me voir et que j’aurai le plaisir de vous faire faire la visite promise.

Ils marchaient plus vite. Ils descendirent par la rampe en spirale, suivirent un long couloir jusqu’à la grande antichambre maintenant déserte et arrivèrent à la porte par laquelle ils étaient entrés.

Les fenêtres de l’antichambre étaient complètement obscures. Serait-ce déjà la nuit ? se demanda Baley.

Ça ne l’était pas. Amadiro marmonna :

— Sale temps ! On a opacifié les fenêtres… Il doit pleuvoir. On l’a prédit et en général on peut se fier aux prévisions météorologiques… en tout cas, quand elles sont désagréables.

La porte s’ouvrit et Baley laissa échapper un petit cri en faisant un bond en arrière. Un vent glacial soufflait en rafales et, sur le fond du ciel – pas noir mais gris foncé –, le sommet des arbres était fouetté en tous sens.