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Mais son bras gauche continuait de se balancer inutilement et il se débattit en vain.

Il eut vaguement conscience de se déplacer en l’air, il sentit quelque chose de mouillé sur sa figure. Ce n’était pas réellement de l’eau, plutôt de l’humidité. Puis il y eut la pression d’une surface dure contre son flanc gauche, d’une autre plus souple contre son côté droit.

Il était dans l’aéroglisseur, de nouveau coincé entre Giskard et Daneel. Il avait surtout conscience que Giskard était très mouillé.

Un air chaud cascada autour de lui, sur lui. Avec l’obscurité et l’eau ruisselant sur les vitres, elles étaient pratiquement opacifiées et Baley le crut jusqu’à ce que l’opacité réelle se fasse et qu’ils se trouvent dans l’obscurité absolue. Le bruit étouffé des jets d’air, quand l’aéroglisseur s’éleva en se balançant au-dessus de l’herbe, parut couvrir le tonnerre et diminuer son intensité.

— Je regrette l’inconfort de ma surface trempée, monsieur, dit Giskard. Je vais sécher rapidement. Nous allons attendre un moment ici que vous vous remettiez.

Baley respirait plus facilement. Il se sentait délicieusement protégé, enfermé. Rendez-moi ma Ville, pensa-t-il. Supprimez tout l’Univers et laissez les Spatiens le coloniser. La Terre est tout ce qu’il nous faut.

Alors même qu’il pensait cela, il savait que c’était sa folie qui parlait, pas lui.

Il éprouva le besoin d’occuper son esprit.

— Daneel, dit-il.

— Oui, camarade Elijah ?

— A propos du Président. Es-tu d’avis qu’Amadiro jugeait correctement la situation, en supposant que le Président mettrait un terme à l’enquête, ou bien qu’il prenait ses désirs pour des réalités ?

— Il est possible, camarade Elijah, que le Président interroge le Dr Fastolfe et le Dr Amadiro à ce sujet. Ce serait la procédure normale, pour régler une querelle de cette nature. Il y a de nombreux précédents.

— Mais pourquoi ? demanda Baley en soupirant. Si Amadiro est très persuasif, pourquoi le Président ne donnerait-il pas simplement l’ordre d’arrêter l’enquête ?

— Le Président, dit Daneel, est dans une situation politique difficile. Il était d’accord, initialement, pour vous permettre de venir à la demande du Dr Fastolfe, et il ne peut pas se déjuger si brusquement, si vite, sous peine de paraître faible et irrésolu, et de fâcher gravement le Dr Fastolfe qui est encore un personnage très influent de la Législature.

— Alors pourquoi n’a-t-il pas simplement rejeté la requête d’Amadiro ?

— Le Dr Amadiro a beaucoup d’influence aussi, camarade Elijah, et il en aura probablement de plus en plus. Le Président doit temporiser en écoutant les deux parties et en ayant au moins l’air de délibérer, avant de prendre une décision.

— Fondée sur quoi ?

— Sur la validité de l’affaire, sans doute.

— Alors il va falloir que je trouve avant demain matin quelque chose qui persuadera le Président de prendre le parti de Fastolfe, au lieu d’être contre lui. Si j’y arrive, est-ce que ce sera la victoire ?

— Le Président n’est pas tout-puissant mais son influence est grande. S’il se déclare ouvertement pour le Dr Fastolfe, alors, dans les conditions politiques actuelles, oui, le Dr Fastolfe obtiendra probablement le soutien de la Législature.

Baley se remettait à penser avec lucidité.

— Cela expliquerait assez bien qu’Amadiro tente de nous retarder. Il a dû se dire que je n’avais rien à présenter au Président et qu’il lui suffisait de gagner du temps, de me retarder et de m’empêcher de trouver rapidement quelque argument décisif.

— On le dirait bien, camarade Elijah.

— Et il ne m’a laissé partir que lorsqu’il pensait pouvoir compter sur l’orage pour continuer de me retenir.

— Peut-être, camarade Elijah.

— Dans ce cas, nous ne pouvons pas permettre à l’orage de nous retarder.

— Où désirez-vous être conduit, monsieur ? demanda calmement Giskard.

— Retournons à l’établissement du Dr. Fastolfe.

— Pouvons-nous attendre encore un moment, camarade Elijah ? Comptez-vous annoncer au Dr Fastolfe que vous ne pouvez pas poursuivre l’enquête ?

— Pourquoi demandes-tu ça ? s’exclama Baley. Sa voix forte et rageuse révélait qu’il s’était déjà bien ressaisi.

— Simplement, je crains que vous ayez oublié un instant que le Dr Amadiro vous a pressé de le faire pour le bien de la Terre.

— Je n’ai pas oublié, répliqua sombrement Baley, et je n’aime pas que tu t’imagines qu’il ait pu m’influencer, Daneel. Fastolfe doit être disculpé et la Terre doit envoyer ses pionniers dans la Galaxie. S’il y a en cela un danger de la part des globalistes, ce danger doit être affronté.

— Mais dans ce cas, camarade Elijah, pourquoi retourner chez le Dr Fastolfe ? Il me semble qu’il n’y a rien d’important à lui rapporter. N’y a-t-il aucune direction dans laquelle nous pourrions poursuivre nos investigations, avant d’aller faire notre rapport au Dr Fastolfe ?

Baley se redressa et posa une main sur Giskard, qui était maintenant complètement sec.

— Je suis satisfait des progrès que j’ai déjà faits, dit-il d’une voix tout à fait normale. Partons, Giskard. Conduis-nous à l’établissement de Fastolfe. (Et il ajouta, en serrant les poings et en raidissant son corps :) De plus, Giskard, dégage les vitres. Je veux regarder l’orage en face.

60

Baley retint sa respiration en se préparant à la transparence. L’aéroglisseur ne serait plus hermétiquement clos ; il n’aurait plus des parois unies, solides.

Au moment où les vitres se dégageaient, un éclair jaillit qui disparut aussitôt avec pour seul résultat d’assombrir le paysage par contraste.

Baley ne put réprimer un mouvement de recul tout en s’efforçant de s’armer de courage en prévision du coup de tonnerre qui, quelques secondes plus tard, gronda.

— L’orage ne va plus empirer et, bientôt, il se calmera, dit Daneel d’une voix rassurante.

— Je me moque qu’il se calme ou non, répliqua Baley en serrant les dents. Allons, Giskard. Partons.

Il essayait, pour lui-même, de conserver l’illusion d’être un humain commandant à des robots.

L’aéroglisseur s’éleva légèrement et, aussitôt, il fut déporté sur le côté et pencha si fort que Baley fut collé contre Giskard.

— Redresse ce véhicule, Giskard ! cria-t-il ou, plutôt, gémit-il.

Daneel le prit par les épaules et l’attira contre lui. De l’autre bras, il se retenait à une poignée fixée au châssis de l’aéroglisseur.

— Ce n’est pas possible, camarade Elijah. Le vent est assez violent.

Baley sentit ses cheveux se dresser.

— Tu veux dire… Tu veux dire que le vent va nous emporter ?

— Non, bien sûr que non, répondit Daneel. Si la voiture était anti-grav – une forme de technologie qui, bien entendu, n’existe pas – et si sa masse et son inertie étaient éliminées, alors elle serait emportée comme une plume dans les airs. Cependant, nous conservons toute notre masse, même quand nos jets nous soulèvent sur le coussin d’air, alors notre inertie résiste au vent. Néanmoins, le vent nous fait osciller, même si Giskard garde le contrôle absolu du véhicule.

— Ça n’en a pas l’air, marmonna Baley.

Il perçut un vague sifflement aigu, qu’il pensa être le vent glissant sur l’aéroglisseur alors que le véhicule fendait l’atmosphère turbulente. Puis l’aéroglisseur fit une embardée et Baley ne put absolument pas se retenir de saisir Daneel par le cou et de le serrer désespérément.