Quoi qu’il en soit, ils avaient pris leur décision et, ensuite, il n’y eut plus d’hésitation. Ils retournèrent à leur véhicule, avec une telle rapidité qu’ils parurent tout bonnement disparaître.
La portière que le robot avait ouverte se referma d’elle-même. Baley avait bougé son pied de manière à le glisser dans l’ouverture. Il se demanda vaguement si son pied n’allait pas être sectionné ou écrasé, mais il ne le retira pas. Il était certain qu’aucun véhicule n’était conçu pour rendre possible une telle mésaventure.
Il se retrouvait seul. Il avait forcé des robots à abandonner un être humain manifestement malade en profitant de la force des ordres donnés par un Maître roboticien, qui avait tenu à renforcer la Deuxième Loi à ses propres fins et l’avait fait au point que les mensonges tout à fait apparents de Baley y avaient subordonné la Première.
Baley se flatta d’avoir réussi et s’aperçut que la portière restait entrouverte, bloquée par son pied, et que ce pied n’en avait aucunement souffert.
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Baley sentait l’air frais sur son pied, ainsi qu’un filet d’eau. C’était effrayant, anormal, mais il ne pouvait laisser la portière se refermer car alors il ne saurait plus la rouvrir. Comment les robots faisaient-ils ? Bien sûr, ce ne devait pas être une énigme pour les gens de cette civilisation mais, en lisant les ouvrages sur la vie auroraine, il n’avait trouvé aucune instruction détaillée sur la manière précise d’ouvrir les portières d’un aéroglisseur de modèle standard. Toutes les choses importantes étaient jugées de notoriété publique. On était censé savoir, même si, en principe, ces ouvrages étaient faits pour informer.
En pensant à cela, Baley tâtonnait dans ses poches, et même les poches n’étaient pas faciles à trouver. Elles n’étaient pas aux endroits habituels et il y avait un système qu’il fallait découvrir tant bien que mal, jusqu’à ce que l’on trouve le geste précis qui provoquerait l’ouverture. Il y parvint, prit un mouchoir, le roula en boule et le plaça dans l’entrebâillement de la portière pour l’empêcher de se fermer. Il put alors retirer son pied.
Maintenant, il fallait réfléchir… s’il en était capable. Il ne servait à rien de garder la portière ouverte à moins qu’il ait l’intention de sortir. Mais avait-il intérêt à sortir ?
S’il attendait là, Giskard reviendrait le chercher tôt ou tard et, fort probablement, le conduirait en lieu sûr. Prendrait-il le risque d’attendre ?
Il ne savait pas combien de temps mettrait Giskard pour emmener Daneel à l’abri et revenir.
Mais il ne savait pas non plus combien de temps il faudrait aux robots qui les poursuivaient pour comprendre qu’ils ne trouveraient pas Daneel et Giskard sur la route de l’Institut. (Il était impossible que Giskard et Daneel aient pris cette direction, en cherchant un abri sûr. Baley ne leur avait pas ordonné de ne pas retourner à l’Institut… Et si c’était le seul chemin praticable ? Mais non ! Impossible !)
Il secoua la tête comme pour nier cette éventualité et cela lui causa une vive douleur. Il porta les mains à ses tempes et serra les dents.
Pendant combien de temps les robots allaient-ils poursuivre leurs recherches, avant de comprendre qu’il les avait trompés, ou avait été trompé lui-même ? Reviendraient-ils s’emparer de lui, très poliment et en prenant bien soin de ne pas lui faire de mal ? Pourrait-il les en détourner en leur disant qu’il mourrait s’il était exposé à l’orage ?
Le croiraient-ils ? Se mettraient-ils en communication avec l’Institut pour rapporter cela ? Oui, très certainement. Et est-ce que des êtres humains arriveraient alors ? Ceux-là n’auraient pas tant de souci de son bien-être !
Baley se dit que s’il quittait la voiture et trouvait une cachette parmi les arbres environnants, les robots auraient beaucoup plus de mal à le trouver, et cela lui ferait gagner du temps.
Mais Giskard aussi aurait plus de mal à le retrouver. D’un autre côté, Giskard avait des instructions bien plus formelles pour le protéger que les robots pour le découvrir. La principale mission du premier était de trouver Baley, celle des seconds de mettre la main sur Daneel.
D’ailleurs, Giskard était programmé par Fastolfe en personne et Amadiro, bien que habile, n’arrivait pas à la cheville de Fastolfe.
Dans ce cas, et toutes choses égales d’ailleurs, Giskard arriverait auprès de lui bien avant les autres robots.
Mais les choses seraient-elles égales par ailleurs ? Avec un brin de scepticisme railleur, Baley se dit : Je suis épuisé et je suis incapable de réfléchir réellement ; je me raccroche simplement à n’importe quoi pour tenter de me rassurer.
Malgré tout, que pouvait-il faire d’autre que soupeser ses chances, telles qu’il les concevait ?
Il poussa la portière et sortit. Le mouchoir tomba sur l’herbe mouillée et il se baissa machinalement pour le ramasser. Puis, en le serrant dans sa main, il s’éloigna en chancelant du véhicule.
Il fut suffoqué par les rafales de pluie qui giflaient sa figure et ses mains. Au bout d’un petit moment, ses vêtements mouillés se collèrent sur son corps et il grelotta.
Une lumière aveuglante déchira le ciel, trop rapide pour qu’il ait le temps de fermer les yeux et puis un monstrueux fracas le fit sursauter de terreur et plaquer ses mains sur ses oreilles.
L’orage revenait-il ? Ou bien le bruit paraissait-il plus fort maintenant qu’il était à découvert ?
Il devait avancer. Il lui fallait s’éloigner de l’aéroglisseur pour que ses poursuivants ne le retrouvent pas trop facilement. Il ne devait pas hésiter ni rester dans ce voisinage, sinon autant demeurer dans la voiture… et au sec.
Il voulut s’essuyer la figure avec le mouchoir mais il était tout aussi trempé. Il le jeta, il ne lui servait à rien.
Baley se remit en marche, les bras tendus devant lui. Y avait-il une lune, tournant autour d’Aurora ? Il lui semblait se souvenir qu’il n’en avait été question dans aucun livre. Sa clarté aurait été la bienvenue… Mais quelle importance ? Même s’il y avait en ce moment une pleine lune dans le ciel, les nuages la cacheraient.
Il sentit quelque chose contre ses mains. Il ne voyait pas ce que c’était mais cela évoquait de l’écorce rugueuse. Un arbre, indiscutablement. Même un homme de la Ville pouvait le deviner.
II se rappela alors que la foudre pouvait tomber sur les arbres et tuer des gens. Il ne se souvenait pas d’avoir lu une description de ce qui arrivait quand on était frappé par la foudre, ni même s’il existait des moyens pour s’en protéger. Il savait en tout cas que jamais personne, sur la Terre, n’avait été frappé par la foudre.
Avec ses mains glacées, mouillées, il avança à tâtons sous les arbres, tremblant de peur. Il craignait de s’égarer, de tourner en rond, de ne pas conserver la même direction.
En avant !
Les fourrés devenaient plus denses, et il devait passer au travers. Il avait l’impression que de petits doigts osseux le griffaient, le retenaient. Rageusement, il tira son bras et entendit un bruit de déchirure.
En avant !
Il claquait des dents et tremblait de plus belle. Encore un éclair. Pas trop effrayant. Pendant un bref instant, il aperçut ce qui l’entourait.
Des arbres ! Des arbres nombreux. Il était dans un bois. En cas de foudre, de nombreux arbres étaient-ils plus dangereux qu’un seul ?
Il n’en savait rien.
Serait-il plus en sécurité s’il ne touchait pas vraiment un arbre ?