Выбрать главу

— Oh, oui ! Je ne sais pas ce que nous serions devenus sans vous …

Martin sourit avec un peu d’envie.

— Oh, dit-il, je crois que vous vous seriez quand même débrouillés d’une façon ou d’une autre ! Mais je suis content que tout ait bien tourné pour vous et je suis certain que vous allez être très heureux. Et puis … j’espère aussi qu’on ne sera pas trop longtemps sans vous revoir tous les deux, ici …

En serrant la main du jeune garçon, il ressentit une fois de plus l’immense désir de lui révéler son identité et de lui faire ses adieux comme à un fils, quelles qu’en fussent les conséquences. Mais s’il s’y décidait, il savait que la raison dominante serait le pur égoïsme. Ce serait comme une prise de possession, un acte gratuit, inexcusable, qui détruirait tout le bien qu’il avait forgé au cours des derniers mois.

En relâchant son étreinte, il crut distinguer dans l’expression de Jimmy quelque chose qu’il n’y avait jamais vu auparavant, c’était peut-être l’aube d’un soupçon, une ébauche à demi consciente qui préludait à l’épanouissement de la révélation. Martin l’espéra ; sa tâche n’en serait que plus aisée quand l’heure sonnerait.

Il regarda le couple s’éloigner main dans la main, au long de la rue étroite, tous deux étrangers à ce qui les environnait. Ils l’avaient déjà oublié, mais plus tard, ils se souviendraient.

L’aube allait pointer quand Gibson sortit par la valve principale et s’éloigna de la ville encore endormie. Phobos s’était couché depuis une heure et la lumière provenait des étoiles et de Déimos, maintenant haut à l’ouest. Martin regarda sa montre : encore dix minutes, s’il n’y avait pas d’anicroche.

— Viens, Scouïk, dit-il, on va faire un petit trot pour se réchauffer.

Il y avait au moins cinquante degrés sous zéro, mais le petit Martien n’en semblait pas autrement affecté. Il valait mieux quand même lui donner un peu de mouvement. Quant à son maître, il se sentait parfaitement à l’aise dans son attirail protecteur au grand complet.

Il était remarquable de voir combien les plantes avaient poussé au cours des dernières semaines. Grâce à Phobos, elles dépassaient maintenant la taille d’un homme. Le projet Aurore commençait déjà à marquer son empreinte sur la planète. Même la calotte du pôle Nord, qui aurait dû approcher de sa limite maximum en ce milieu d’hiver, avait stoppé sa progression, tandis que sur l’hémisphère opposé les débris de la calotte australe avaient complètement disparu.

Les deux compagnons s’arrêtèrent à un kilomètre environ de la ville, assez loin pour que ses lumières ne gênassent pas l’observation. Gibson jeta un nouveau coup d’œil sur sa montre : moins d’une minute à attendre. Il savait bien ce que ses amis devaient éprouver à ce moment précis. Comme il était bizarre de les imaginer sur ce petit disque biscornu, à peine visible !

Soudain Déimos devint considérablement plus brillant, il sembla se fendre en deux fragments quand une étoile incroyablement lumineuse s’arracha de son côté et se mit à glisser avec une lenteur majestueuse vers l’ouest. L’éclat des fusées atomiques était si éblouissant, même à des milliers de kilomètres de distance, que l’œil avait du mal à le supporter.

Martin sentait que ses amis dirigeaient leurs regards vers lui. Ils devaient être près des hublots pour observer le monde en forme de croissant qu’ils désertaient, tout comme lui lorsqu’il avait fait ses adieux à la Terre.

Que pensait Hadfield à présent ? Se demandait-il s’il reviendrait jamais ? Gibson n’avait plus de doute là-dessus. Quelles que fussent les batailles qui l’attendaient, il en sortirait vainqueur, comme par le passé. Il retournait sur Terre en triomphe, pas en disgrâce.

L’aveuglante étoile d’un blanc bleuté s’éloignait maintenant de Déimos, vers le Soleil et la Terre.

À l’est, le cercle du soleil émergea à l’horizon et les gigantesques plantes vertes commencèrent à s’agiter dans leur sommeil, un sommeil déjà interrompu par le passage météorique de Phobos. Gibson regarda une dernière fois les deux taches qui descendaient vers l’ouest et leva sa main pour un adieu silencieux.

— Allons, Scouïk, dit-il, il est temps de rentrer, j’ai pas mal de travail devant moi.

Il pinça les oreilles du petit Martien avec ses doigts gantés.

— Et c’est valable pour toi aussi, ajouta-t-il. Tu ne t’en doutes pas encore, mais nous avons tous les deux du pain sur la planche.

Ils rebroussèrent chemin dans la direction des grandes coupoles qui luisaient faiblement dans les premières lueurs du matin. La vie allait paraître étrange à Port Lowell, maintenant que Hadfield n’était plus là et qu’un autre travaillait derrière la porte marquée « Administrateur ».

Martin s’arrêta brusquement. De façon fugitive, il venait d’avoir la vision du futur, tel qu’il serait à quinze ou vingt ans de là. Qui commanderait alors les destinées de la planète, quand le projet Aurore entrerait dans sa phase décisive et que le dénouement serait déjà prévisible ?

La question et la réponse lui apparurent presque simultanément. Pour la première fois, il sut ce qui se trouvait au bout de la route où il venait de s’engager. Un jour peut-être, il aurait le devoir et le privilège de continuer l’œuvre commencée par Hadfield. Il était possible que ce fût une pure illusion, ou la prémonition d’une puissance encore cachée et qu’il avait méconnue. Il le saurait tôt ou tard.

Avec une nouvelle vigueur, Martin Gibson, romancier, ancien habitant de la Terre, reprit sa marche vers la ville. Son ombre se confondait avec celle du petit Martien qui sautillait à son côté, tandis qu’au-dessus de leurs têtes, les dernières ombres de la nuit évacuaient le ciel et qu’autour d’eux, les hautes plantes sans fleurs se déployaient face au Soleil.

Une poésie de la science

Arthur C. Clarke ( né en 1917 ) est un des plus grands écrivains anglais de science-fiction. Dans son œuvre, le dosage entre la science et la fiction est toujours parfait, au point qu’il n’est pas exagéré de prétendre qu’Arthur C. Clarke est un des rares auteurs qui ait écrit de la vraie science-fiction, au sens le plus précis du terme. Ses premières publications datent de 1939. Il a connu la grande notoriété internationale avec 2001, l’Odyssée de l’espace, que Stanley Kubrick a magistralement porté à l’écran. Parmi ses ouvrages les plus récents, il convient de citer Rendez-vous avec Rama qui est peut-être un des chefs-d’œuvre du genre. Pour le reste, on peut mentionner La cité et les astres, Prélude à l’espace, Les sables de Mars et la fameuse nouvelle Les neuf milliards de noms de Dieu.