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— Qu’est-ce que…, ai-je murmuré.

J’aurais voulu user d’un langage moins châtié, mais on m’avait ôté cette habitude quand j’avais commencé à travailler chez les Sentinelles de la Nuit. Plus exactement, je m’en étais débarrassé tout seul. Après avoir observé une ou deux petites tornades au-dessus de gens contre lesquels tu as pesté, tu apprends à tenir ta langue.

La chouette me regardait.

Elle attendait et, autour d’elle, les oiseaux se déchaînaient. Un groupe de moineaux piaillaient à qui mieux mieux dans un arbre éloigné. Les corneilles, plus hardies, s’étaient installées sur le balcon voisin et les branches les plus proches et croassaient sans discontinuer, tournoyant de temps à autre autour de la fenêtre. Leur instinct leur faisait pressentir les pires ennuis, suite à l’apparition de cette intruse.

Mais la chouette se souciait des moineaux et des corneilles comme de sa première chemise, si tant est qu’elle en ait jamais possédé une.

— Qui es-tu donc ? ai-je marmonné en ouvrant la fenêtre, déchirant le papier isolant collé pour l’hiver. Le chef m’a trouvé un drôle de coéquipier… une drôle de coéquipière.

D’un seul coup d’aile, la chouette a volé dans la pièce, s’est perchée sur la commode, les yeux clos. A croire qu’elle avait toujours vécu là. Peut-être avait-elle pris froid dehors ? Mais non, c’était une chouette polaire.

J’ai entrepris de refermer la fenêtre en m’interrogeant sur la conduite à suivre. Comment communiquer avec elle ? Avec quoi la nourrir ? Et comment diantre cette créature ailée pouvait-elle m’aider dans ma mission ?

— Tu t’appelles Olga ? ai-je demandé.

Des courants d’air soufflaient désormais par les fentes de la fenêtre, mais j’ai décidé de remettre ce détail à plus tard.

— Hé, l’oiseau !

La chouette a entrouvert un œil. Elle m’ignorait, pratiquement de la même manière qu’elle avait ignoré les moineaux.

Je me sentais de plus en plus ridicule. Premièrement, j’avais un sérieux problème de communication avec mon nouveau coéquipier. Et deuxièmement, c’était tout de même une dame.

Même si c’était une chouette.

J’aurais peut-être dû enfiler mon pantalon ? Je me tenais devant elle en slip chiffonné, pas rasé, à moitié endormi…

Avec le sentiment d’être un parfait idiot, j’ai pris mes vêtements et je suis sorti précipitamment de la chambre. La phrase jetée en partant à l’adresse de la chouette était une digne conclusion à cet épisode : « Excusez-moi, je reviens. »

Si cet oiseau était bien ce que je pensais, j’avais certainement produit un effet déplorable.

Par-dessus tout, j’avais envie de prendre une douche, mais je ne pouvais me permettre une telle perte de temps. Je me suis contenté de me raser et de fourrer ma tête bourdonnante sous le robinet d’eau froide. Sur l’étagère, parmi les shampoings et les déodorants, j’ai retrouvé un flacon d’eau de Cologne que je n’utilisais pas d’habitude.

— Olga ? ai-je appelé en sortant dans le couloir.

La chouette était dans la cuisine, perchée sur le frigo, totalement immobile, elle semblait de nouveau empaillée.

— Tu es vivante ?

Un œil d’ambre m’a fixé sans enthousiasme.

— Bon, et si on recommençait depuis le début ? Je comprends que je n’ai pas fait très bonne impression. Et je t’avouerai franchement que c’est chronique chez moi.

La chouette écoutait. Je me suis installé sur un tabouret.

— Je ne sais pas qui tu es. Et tu ne peux pas me le dire. Mais quant à moi, je vais me présenter. Je m’appelle Anton. Il y a cinq ans, on a découvert que j’étais un Autre.

Le bruit émis par la chouette ressemblait à un ricanement étouffé.

— Oui, ai-je confirmé, ça fait seulement cinq ans. Je manifestais une très forte réaction de rejet. Je refusais de voir le monde de la Pénombre. Et je ne le voyais pas. Jusqu’au moment où le chef est tombé sur moi.

La chouette a brusquement paru intéressée.

— Il donnait un cours pratique. Pour apprendre aux agents à découvrir des Autres cachés. Et il est tombé sur moi… (J’ai souri à ce souvenir.) Il a brisé ma barrière, évidemment. Ensuite, c’est bien simple, j’ai suivi un stage d’adaptation et on m’a affecté au service d’analyse. Ça n’a pas changé grand-chose dans mon mode de vie. Je suis devenu un Autre presque sans le remarquer. Le chef n’était pas content, mais il ne disait rien. Je faisais bien mon travail et il n’avait pas à se mêler du reste. Mais il y a une semaine, un vampire-tueur est apparu en ville. On m’a confié la tâche de le neutraliser. Soi-disant parce que les patrouilleurs étaient tous occupés. En réalité pour m’apprendre à travailler sur le terrain. C’était peut-être une bonne idée. Mais en une semaine, trois personnes de plus sont mortes. Un vrai pro aurait capturé les coupables en vingt-quatre heures…

J’aurais voulu connaître l’opinion d’Olga, mais elle n’a pas émis le moindre son.

— Qu’est-ce qui est le plus important pour préserver l’équilibre ? Améliorer ma qualification ou sauver la vie de trois innocents ?

La chouette n’a pas répondu.

— Je n’ai pas réussi à détecter les vampires par les moyens habituels. Alors, j’ai dû me mettre en résonance avec eux. Je n’ai pas bu de sang humain. Seulement du sang de porc. Et j’ai pris ces produits… que tu connais certainement…

Je me suis levé pour ouvrir le placard au-dessus de la cuisinière. J’ai sorti un bocal en verre soigneusement bouché. Il ne restait plus que quelques grumeaux de poudre brune au fond, pas assez pour prendre la peine de le rapporter. J’ai vidé la poudre dans l’évier et j’ai ouvert le robinet. Un arôme épicé et enivrant s’est répandu dans la cuisine. J’ai rincé le bocal et je l’ai jeté à la poubelle.

— J’ai failli craquer, ai-je remarqué. Il s’en est fallu de peu. Hier matin, en rentrant de la chasse, j’ai croisé la fille des voisins. Je n’ai même pas osé lui dire bonjour, parce que mes crocs ont aussitôt commencé à pousser. Et cette nuit, quand j’ai entendu l’Appel, j’ai failli me joindre aux vampires.

la chouette m’a regardé dans les yeux.

— Tu crois que c’est pour ça que le chef m’a assigné cette mission ?

Un épouvantail à moineaux. Une boule de plumes bourrée de coton.

— Pour que je voie les choses par leurs yeux ?

On a sonné à la porte. J’ai soupiré. N’importe quel interlocuteur valait mieux que cet ennuyeux volatile. J’ai allumé la lumière en passant et je suis allé ouvrir la porte.

Un vampire se tenait sur le seuil.

— Entre, ai-je dit. Entre, donc, Kostia.

II a hésité quelques instants avant d’entrer. Il s’est lissé les cheveux ; j’ai remarqué que ses mains étaient moites et son regard fuyant.

Kostia a seulement dix-sept ans. Il est vampire depuis l’enfance. Un vampire moscovite des plus ordinaires. Une situation fort déplaisante : avec deux parents vampires, un gosse n’a presque aucune chance de demeurer un humain normal.

— J’ai rapporté tes disques, a dit Kostia.

J’ai pris la pile de CD, sans même m’étonner de leur nombre. En général, il fallait le lui rappeler plusieurs fois pour qu’il me les rende. Kostia est terriblement distrait.

— Tu les as tous écoutés ? ai-je demandé. Tu as gardé une copie ?

— Oui. Bon, salut.

— Attends.

Je l’ai pris par l’épaule et je l’ai fait entrer.