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Le fondé de pouvoir le raccompagna jusque sur le palier.

Vanheede était seul, juché sur la banquette, près de la porte ; les coudes sur la table, le menton dans les paumes, il clignait des yeux pour surveiller ceux qui entraient. Il était vêtu d’un étrange complet colonial en toile kaki, aussi décoloré que ses cheveux ; et, bien qu’on eût l’habitude, au Croissant, des tenues hétéroclites, il ne passait pas inaperçu.

À la vue de Jacques, il se dressa, et son visage pâle se colora brusquement. Il fut un instant avant de pouvoir articuler un mot.

— « Enfin ! » soupira-t-il.

— « Tu es donc à Paris, toi aussi, mon petit Vanheede ? »

— « Enfin ! » répéta l’albinos. Sa voix chevrotait. « Je commençais à avoir terriblement peur, Baulthy, savez-vous ! »

— « Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? »

La main en visière pour protéger ses prunelles, Vanheede regarda prudemment vers les tables voisines.

Jacques, intrigué, s’assit à son côté, et pencha l’oreille.

— « On a besoin de vous », souffla l’albinos.

L’image de Jenny passa devant les yeux de Jacques. Il releva nerveusement sa mèche, et demanda, d’une voix mal assurée.

— « À Genève ? ».

Vanheede secoua négativement sa tête ébouriffée. Il fouillait dans sa poche. Il sortit de son portefeuille une lettre cachetée, sans suscription. Tandis que Jacques l’ouvrait fébrilement, Vanheede lui chuchota :

— « J’ai encore autre chose pour vous. Des papiers d’identité, au nom de Eberlé. »

L’enveloppe contenait une feuille double : sur le recto de la première page étaient tracées quelques lignes, de l’écriture de Richardley. L’autre page semblait blanche.

Jacques lut :

« Le Pilote compte sur toi. Lettre suit. Nous nous retrouverons tous, mercredi, à Bruxelles.

« Amitiés,

« R. »

« Lettre, suit… » Jacques connaissait la formule. La page blanche contenait des instructions à l’encre sympathique.

— « Il faut que je rentre chez moi pour déchiffrer ça… » Il tournait impatiemment la lettre entre ses doigts. « Et si tu ne m’avais pas trouvé ? » demanda-t-il.

Vanheede eut un sourire angélique :

— « Mithœrg est avec moi. Ça est lui, qui, dans ce cas-là, devait ouvrir l’enveloppe, et exécuter tout à votre place… Nous devons retrouver les autres, mercredi, à Bruxelles… Vous n’habitez donc plus chez Liebaert, rue des Bernardins ? »

— « Où est-il, Mithœrg ? »

— « Il vous cherche, de son côté. Je dois le retrouver à trois heures, boulevard Barbès, chez Œrding, un compatriote à lui, qui nous loge. »

— « Écoute », dit Jacques, en glissant la lettre dans sa poche, « je préfère ne pas t’emmener dans ma chambre : inutile d’attirer l’attention de ma concierge… Mais trouve-toi, avec Mithœrg, à quatre heures et quart, devant le kiosque des tramways de la gare Montparnasse, tu sais ? Je vous emmènerai à une réunion intéressante, rue des Volontaires… Et, ce soir, après le dîner, nous irons ensemble place de la République, pour manifester. »

Une demi-heure plus tard, enfermé dans sa chambre, Jacques déchiffrait le texte du message :

« Sois à Berlin le mardi 28.

« Entre, à dix-huit heures, au restaurant Aschinger de la Potsdamer Platz. Tu y trouveras Tr. qui te donnera indications précises.

« Aussitôt en possession de la chose, file par premier train sur Bruxelles.

« Prends maximum de précautions. Aucun autre papier sur toi que ceux qui te seront remis par V.

« Si, par malchance, étais pris et accusé d’espionnage, choisis pour avocat Max Kerfen, de Berlin.

« Affaire préparée par Tr. et ses amis. Tr. a particulièrement insisté pour travailler avec toi. »

— « Eh bien, voilà », fit Jacques, à mi-voix. Et immédiatement, il pensa : « Être utile… Agir ! »

De la cuvette s’exhalait l’odeur alcaline du révélateur. Il s’essuya les doigts, et vint s’asseoir sur son lit.

« Voyons », se dit-il, s’efforçant de rester calme. « Berlin… Demain soir… Le train du matin ne me mettrait pas là-bas assez tôt pour que je sois à six heures au rendez-vous : il faut que je parte aujourd’hui, au train de vingt heures… De toutes façons, j’ai le temps de revoir Jenny… Bon… Mais je rate la manifestation… »

Il réfléchissait, le souffle un peu court. Dans la valise, ouverte à même le parquet, il y avait un indicateur. Il le prit et s’approcha de la croisée. La chaleur lui semblait suffocante.

« À la rigueur, pourquoi pas le semi-omnibus de minuit quinze ?… Le voyage sera plus long, mais ça me permettra d’être ce soir sur les boulevards… »

D’un logement voisin, montait une voix de femme, aigrelette et vibrante ; elle devait repasser, car le claquement des fers sur le réchaud interrompait par moments sa romance.

« Tr., c’est Trauttenbach… sans aucun doute… Qu’est-ce qu’il a manigancé ? Et pourquoi a-t-il voulu que ce soit moi ? »

Il épongea son visage en sueur. Il était à la fois exalté par la perspective d’agir, par le caractère mystérieux de cette mission, par les dangers qu’il pouvait courir ; et désespéré d’avoir à quitter Jenny.

« Puisqu’ils me donnent rendez-vous mercredi à Bruxelles », songea-t-il, « rien ne m’empêchera — si tout se passe bien — d’être revenu jeudi à Paris… »

Cette pensée l’apaisa. Ce n’était, somme toute, qu’une absence de trois jours.

« Il faut tout de suite prévenir Jenny… J’ai juste le temps, si je veux être à quatre heures et quart devant la gare Montparnasse… »

Comme il n’était pas certain de pouvoir revenir chez lui avant son départ, il vida son portefeuille, fit de ses documents personnels un paquet sur lequel, à tout hasard, il inscrivit l’adresse de Meynestrel ; il ne garda sur lui que les papiers d’Eberlé apportés par Vanheede.

Puis il partit pour l’avenue de l’Observatoire.

XLIV

Jenny ouvrit si vite à son coup de sonnette, qu’elle paraissait être restée, depuis la veille, au guet, à la place où il l’avait quittée.

— « Mauvaise nouvelle », murmura-t-il, sans lui dire bonjour. « Je dois partir, ce soir, pour l’étranger. »

Elle balbutia :

— « Partir ? »

Elle était devenue toute blanche, et le regardait fixement. Il paraissait si malheureux d’avoir à lui causer cette peine qu’elle eût voulu lui cacher son désespoir. Mais, perdre Jacques de nouveau, était une épreuve au-dessus de ses forces…

— « Je serai revenu jeudi, vendredi au plus tard », se hâta-t-il d’ajouter.

Elle tenait la tête baissée. Elle respira profondément. Une légère roseur reparut sur ses joues.

— « Trois jours ! » reprit-il, en se forçant à sourire. « Ce n’est pas long, trois jours… — quand on a toute la vie pour être heureux ! »

Elle leva sur lui un regard craintif, interrogateur.

— « Ne me demandez rien », dit-il. « J’ai été désigné pour une mission. Je dois partir. »

Au mot « mission », le visage de Jenny s’était empreint d’une telle angoisse, que Jacques, bien qu’il ne sût pas lui-même ce qu’il allait faire en Allemagne, crut devoir la rassurer :

— « Il s’agit seulement de prendre contact avec certains hommes politiques étrangers… Et, comme je parle couramment leur langue… »