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Il n’y avait rien d’autre.

Il se mit à avancer. Une foulée l’emmena hors du champ visuel d’Arha. La lumière s’évanouit Arha s’apprêtait à replacer l’étoffe et le carreau, lorsqu’à nouveau le doux rayon de lumière s’éleva du sol devant elle. L’homme était revenu à la porte. Peut-être s’était-il rendu compte que, s’il la quittait pour pénétrer dans le dédale, il était peu probable qu’il la retrouve.

Il parla : un seul mot, à voix basse. « Emenn », dit-il puis une nouvelle fois, plus fort : « Emenn ! » Et la porte de fer grinça dans ses chambranles, et de sourds échos roulèrent au long du tunnel en voûte, comme le tonnerre, et il sembla à Arha que le sol tremblait sous elle.

Mais la porte resta close.

Il rit alors, d’un rire bref, celui d’un homme qui réfléchit :

« Quel idiot je fais ! » Il parcourut les murs des yeux une autre fois, et comme il levait la tête, Arha vit le sourire qui s’attardait sur son visage sombre. Puis il s’assit, défit son paquetage et en sortit un morceau de pain sec, qu’il se mit à mâchonner. Il déboucha sa gourde en cuir et la secoua ; elle semblait légère dans sa main, comme si elle eût été presque vide. Il remit en place le bouchon sans boire. Il posa son sac derrière lui en guise d’oreiller, étendit son manteau sous lui et s’allongea. Le bâton était dans sa main droite. Comme il se couchait, la petite boule, ou ce tortillon de lumière, se détacha du bâton et alla se suspendre, avec un faible éclat, derrière sa tête, à quelques pieds du sol. Sa main gauche reposait sur sa poitrine, serrant quelque chose qui pendait d’une lourde chaîne à son cou. Il était étendu de manière tout à fait confortable, les jambes croisées sur les chevilles ; son regard errant se posa sur le judas puis s’en détacha ; il soupira et ferma les yeux. La lumière s’affaiblit peu à peu. Il dormait.

La main serrée sur sa poitrine se détendit et glissa sur le côté, et Arha qui l’observait en haut, vit alors quel talisman il portait à sa chaîne : un morceau de métal brut, en forme de croissant, semblait-il.

La lueur faible due à son pouvoir magique s’éteignit. Il reposait dans le silence et les ténèbres.

Arha remit en place l’étoffe et le carreau, se releva doucement et se glissa jusqu’à sa chambre. Là, elle resta longtemps étendue, éveillée, dans l’obscurité ou vociférait le vent, conservant devant les yeux la splendeur cristalline qui avait scintillé dans la maison de la mort, le feu discret qui ne brûlait point, les pierres de la paroi du tunnel, le visage paisible de l’homme endormi.

VI. LE PIÈGE

Le jour suivant, quand elle eut accompli ses devoirs dans les différents temples, et enseigné les danses sacrées aux novices, elle s’esquiva vers la Petite Maison et, faisant l’obscurité dans la pièce, ouvrit le judas pour scruter le tunnel. Il n’y avait pas de lumière. Il était parti. Elle ne pensait pas le voir rester longtemps devant la porte inutile, mais c’était le seul endroit où elle pût observer. Comment allait-elle le retrouver maintenant qu’il s’était perdu ?

Les tunnels du Labyrinthe, selon les dires de Thar et sa propre expérience, s’étendaient, avec tous les méandres, leurs embranchements, leurs spirales et culs-de-sac, sur plus de trente kilomètres. L’impasse la plus éloignée des Tombeaux ne devait pas être à beaucoup plus d’un kilomètre en ligne droite. Mais sous terre il n’existait pas de ligne droite. Tous les tunnels s’incurvaient, se divisaient, se rejoignaient, se ramifiaient, s’entrecroisaient, formaient des boucles, traçaient des chemins qui finissaient où ils avaient commencé, car il n’y avait pas de commencement, et pas de fin. On pouvait marcher, marcher, et marcher, sans arriver nulle part, car il n’y avait nulle part où arriver. Il n’y avait pas de centre, pas de cœur à ce dédale. Et, une fois la porte fermée, il n’y avait pas de fin. Aucune direction n’était la bonne.

Bien que les directions et les tournants vers les différentes chambres et régions fussent bien ancrés dans le mémoire d’Arha, elle avait quand même emporté, dans ses explorations les plus longues, une balle de fine laine, qu’elle avait laissée se dérouler derrière elle, et rebobinée sur le chemin du retour. Gar si elle manquait l’un des virages ou des passages qu’il fallait dénombrer, même elle pouvait se perdre. Une lumière ne servait à rien, car il n’y avait pas de repères. Tous les couloirs, toutes les portes et toutes les ouvertures étaient semblables.

Il avait pu à présent parcourir des kilomètres, et n’être cependant qu’à douze mètres de la porte par laquelle il était entré.

Elle se rendit à la Salle du Trône, au temple des Dieux Jumeaux et à la cave sous les cuisines, et, choisissant un moment où elle était seule, scruta par tous les judas les ténèbres froides et épaisses. Quand vint la nuit, glaciale et enflammée d’étoiles, elle alla en certains endroits de la Colline, leva certaines pierres, balaya la terre, et regarda à nouveau en bas, pour y voir l’obscurité sans étoiles.

Il était là. Il fallait qu’il soit là. Pourtant il lui avait échappé. Il mourrait de soif avant qu’elle ne le trouve. Il faudrait qu’elle envoie Manan dans le Labyrinthe pour le retrouver, lorsqu’elle serait sûre qu’il était mort. C’était là une pensée insupportable. Tandis qu’elle était agenouillée, dans la clarté des étoiles, sur le sol âpre de la Colline, des larmes de rage montèrent à ses yeux.

Elle alla jusqu’au sentier qui descendait vers le temple du Dieu-Roi. Les colonnes aux chapiteaux gravés étincelaient de givre dans la lumière stellaire, blancs comme des ossements. Elle frappa à la porte de derrière, et Kossil la fît entrer.

« Qu’est-ce qui amène ici ma maîtresse ? » dit la corpulente femme, froide et attentive.

— Prêtresse, il y a un homme dans le Labyrinthe. »

Kossil était prise au dépourvu ; pour une fois se produisait une chose qu’elle n’avait pas prévue. Elle la fixa. Ses yeux semblèrent se gonfler un peu. L’esprit d’Arha fut traversé par l’idée que Kossil ressemblait beaucoup à Penthe imitant Kossil, et un fou rire naquit en elle, pour s’éteindre aussitôt, vite réprimé.

— « Un homme ? Dans le Labyrinthe ? »

— « Un homme, un étranger. » Puis, comme Kossil continuait à le regarder avec incrédulité, elle ajouta : « Je peux reconnaître un homme, bien que j’en aie peu vu. »

Kossil dédaigna son ironie. « Comment un homme a-t-il pu s’introduire ici ? »

— « Par sorcellerie, je pense. Sa peau est sombre ; peut-être vient-il des Contrées de l’Intérieur. Il est venu piller les Tombeaux. Je l’ai rencontré tout d’abord dans l’En-Dessous des Tombeaux, sous les Pierres mêmes. Il a couru vers l’entrée du Labyrinthe quand il s’est aperçu de ma présence, comme s’il savait où il allait. J’ai fermé la porte en fer derrière lui. Il a pratiqué des envoûtements, mais ils n’ont pas fait s’ouvrir la porte. Le matin il est reparti dans le dédale. Je n’arrive plus à le retrouver à présent. »

— « A-t-il de la lumière ? »

— « Oui. »

— « De l’eau ? »

— « Une petite gourde, à demi pleine. »

— « Sa chandelle sera déjà consumée. » Kossil évaluait. « Quatre ou cinq jours. Peut-être six. À ce moment, vous pourrez envoyer mes gardiens en bas pour retirer le corps. Le sang devra être répandu devant le Trône et le… »