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Le message du loup, sous forme d’images, le montrait en train de courir dans un champ, des épis de blé lui caressant le museau. Un beau ciel, une brise rafraîchissante, l’appel impérieux de l’aventure… L’odeur de la pluie, aussi, et de vastes pâturages…

Dans le feu, Perrin s’empara de la dernière barre de fer, d’un jaune qui lui parut étrange et menaçant.

— Je ne peux pas partir, dit-il en brandissant sa pince en direction de Sauteur. Ça reviendrait à accepter d’être un loup et à renoncer à ce que je suis. Ça, je ne le ferai pas…

Perrin garda la barre presque fondue entre lui et Sauteur, qui l’étudia, des reflets jaunes dansant dans ses grands yeux.

Ce rêve était si bizarre. Jusque-là, le rêve des loups et les songes ordinaires restaient nettement séparés. Que signifiait ce mélange soudain ?

Perrin en frissonna de peur. Avec le fauve tapi en lui, il avait signé une trêve précaire. Être trop proche des loups était dangereux, mais ça ne l’avait pas empêché de demander leur aide quand il cherchait Faile. Pour elle, il était prêt à tout. Mais dans le processus, il avait failli devenir fou, essayant même de tuer Sauteur.

Perrin n’avait pas les choses en main autant qu’il le croyait. Le loup avec lequel il cohabitait pouvait prendre le dessus.

Sauteur bâilla et laissa pendre sa langue. Dans son odeur, Perrin reconnut de l’amusement.

— Ce n’est pas drôle…, grommela-t-il.

Il posa la petite barre de fer à l’écart sans essayer de la travailler. Elle refroidit et prit la forme d’un rectangle – quelque chose comme le début d’une charnière réussie.

Les problèmes ne sont pas amusants, Jeune Taureau, concéda Sauteur. Mais tu bondis inlassablement de bas en haut devant le même mur. Allons, viens courir avec moi.

Les loups vivaient au jour le jour. Alors qu’ils se souvenaient du passé et semblaient avoir une étrange prescience de l’avenir, ils se contrefichaient des deux. L’inverse des hommes… Les loups couraient à la poursuite du vent. Se joindre à eux reviendrait à ignorer la douleur, la tristesse et la frustration. Être libre…

Mais cette liberté coûterait trop cher à Perrin. Il y perdrait Faile et… l’être qu’il était vraiment. Devenir un loup ? Non, pas question ! Il voulait être un homme.

— Y a-t-il un moyen d’inverser ce qui m’est arrivé ?

Inverser ? Sauteur inclina la tête. Pour les loups, reculer n’était jamais envisageable.

— Puis-je… ? (Perrin chercha soigneusement ses mots.) Puis-je aller assez loin pour que les loups ne m’entendent plus ?

Sauteur parut troublé. Non. « Troublé » ne suffisait pas à décrire la douleur qui émanait de lui. Le néant, l’odeur de la chair pourrie, des cris de loups fous de douleur… À ses yeux, être coupé de la meute était un sort pire que la mort.

L’esprit de Perrin devint… confus. Pourquoi avait-il cessé de forger ? Il devait finir son travail, sinon maître Luhhan serait très déçu. Les charnières ratées étaient à vomir. Il allait devoir les cacher. Puis il créerait autre chose, pour montrer ses aptitudes. Il était capable de forger, n’est-ce pas ?

Un sifflement retentit dans son dos. Se retournant, il vit que de la fumée montait d’un des tonneaux de trempe.

Logique, puisque j’y ai laissé tomber les deux pièces précédentes.

Soudain très inquiet, il prit sa pince et la plongea dans l’eau bouillante. Tout au fond, il découvrit quelque chose qu’il ramena à la surface. Un morceau de métal encore chauffé au blanc.

Quand la lueur se dissipa, il vit qu’il s’agissait d’une figurine en acier représentant un homme de grande taille, une épée attachée dans le dos. Les détails se révélaient extraordinaires. Les plis de la chemise, le cuir qui entourait la poignée de la minuscule épée. Le visage, lui, était dévasté, la bouche ouverte sur un cri terrible.

Aram, se souvint Perrin. Il s’appelait Aram.

Il ne pouvait pas montrer ça à maître Luhhan. Pourquoi avait-il forgé une chose pareille ?

La bouche de la figurine s’ouvrit davantage sur un cri muet.

Perrin cria aussi, laissa s’ouvrir sa pince et recula. En s’écrasant sur le sol, la figurine éclata en mille morceaux.

Pourquoi te soucies-tu tant de celui-là ? émit Sauteur en bâillant à s’en décrocher la mâchoire. Il est fréquent qu’un jeune loup défie le chef de la meute. C’était un idiot et tu l’as vaincu.

— Non, souffla Perrin. Chez les humains, ce n’est pas fréquent. Surtout entre amis.

Les cloisons de la forge se transformèrent soudain en fumée – un événement qui sembla tout à fait naturel. Du coup, Perrin se retrouva devant une rue, en plein jour. Une ville où toutes les vitrines des boutiques étaient cassées…

— Malden, dit-il.

Une image translucide de lui se tenait au milieu de la rue. Elle ne portait pas de veste, les muscles de ses bras nus saillant agressivement. Avec sa barbe courte, ce Perrin-là paraissait plus vieux et plus… sérieux. Avait-il l’air aussi imposant que ça ? Une forteresse d’homme aux yeux jaunes qui semblaient briller en permanence. Un guerrier armé d’une hache au tranchant en demi-lune plus grand que la tête d’un homme…

Quelque chose clochait avec cette hache… Sortant de la forge qui n’existait plus, Perrin avança et traversa son double fantomatique. Aussitôt, il devint cette image de lui-même et sentit la hache peser entre ses mains. Sa tenue de travail disparut, remplacée par celle d’un guerrier.

Il se mit à courir. Oui, c’était Malden, et il y avait des Aiels dans les rues. Cette bataille, il l’avait déjà livrée. Mais cette fois, il était beaucoup plus calme. Précédemment, il s’était abandonné à l’ivresse du combat et à l’excitation de chercher Faile.

Il s’arrêta au milieu de la rue.

— Ce n’est pas exact. À Malden, j’avais mon marteau. La hache, je m’en suis débarrassé…

Jeune Taureau, une corne ou un sabot… Savoir lequel des deux tu utilises pour chasser est-il important ?

Dans la rue inondée de soleil, Sauteur était assis à côté de Perrin.

— Oui, c’est important pour moi.

— Pourtant, tu utilises les deux de la même façon.

Deux Shaido apparurent au coin de la rue. Sur leur gauche, ils observaient quelque chose que Perrin ne pouvait pas voir.

Il chargea comme un taureau.

Tranchant la gorge du premier guerrier, il enfonça la pique de sa hache dans le ventre du second. Après une attaque si brutale, les deux Aiels et leur bourreau tombèrent sur le sol. Pour achever le second Shaido, il fallut plusieurs coups de pique.

Perrin se releva. Il se souvenait d’avoir tué ces Aiels, mais avec son marteau et un couteau. Leur mort, il ne la regrettait pas. Parfois, un homme devait se battre, et il n’y avait rien à ajouter. Si atroce qu’elle fût, la mort était souvent nécessaire. À dire vrai, il avait trouvé merveilleux son combat contre les deux Shaido. On eût dit qu’il était un loup en chasse…

Au combat, Perrin devenait presque quelqu’un d’autre. Et ça, c’était dangereux.

Il jeta un coup d’œil accusateur à Sauteur, qui se prélassait au coin d’une ruelle.

— Pourquoi me fais-tu rêver à ça ?

Te faire rêver ? Ce n’est pas mon songe, Jeune Taureau. Sens-tu mes crocs sur ta nuque, te forçant à faire ceci ou cela ?

La hache était rouge de sang. Perrin devina ce qui allait se passer. Se retournant, il vit approcher Aram, une lueur assassine dans les yeux. La moitié du visage de l’ancien Zingaro était couverte de sang, et il en coulait de son menton, souillant sa veste rouge à rayures.

Aram propulsa sa lame vers la gorge de Perrin, qui recula vivement. Pas question de vivre ce combat une seconde fois.