Выбрать главу

« En outre, pourquoi avons-nous vu si peu d’hommes à l’extérieur ? Qu’est-ce qu’ils font ? Comment gagnent-ils leur vie ?

— Nous avons déjà parlé de tout ça, Bjault. Ces types sont des mineurs. Ils passent le plus clair de leur temps sous terre. Ces collines doivent regorger de cuivre natif. Et je parierais que cette catégorie de mots eneng a quelque chose à voir avec le travail de la mine ; il n’y a donc rien d’étonnant à ce que nous n’ayons pas pu observer les activités auxquelles ils se réfèrent.

— Mais comment transportent-ils le minerai ou le métal, une fois qu’ils l’ont extrait ? Les routes… »Parlons-en, des routes ! Avant de quitter leur orbite, Ajao avait vu les photos prises par Draere. Il y avait bien des « routes », mais elles se réduisaient à des sentiers reliant entre eux les petits lacs artificiels dont le réseau couvrait les continents habités de la planète. Dans certains cas, ces « routes » décrivaient avec une précision géométrique des arcs de cercle s’étirant sur des centaines de kilomètres — sans pour autant suivre le tracé des méridiens. Draere lui avait signalé que les courbes décrites par ces routes correspondaient à l’intersection de la surface de la planète avec des plans parallèles à son axe de rotation. Comment les Azhiris pouvaient-ils être capables d’une telle précision et ignorer en même temps que le plus court chemin entre deux points d’une sphère passe par un grand cercle ?

Yoninne l’interrompit avec une certaine impatience. « Oh, je vous en prie, Bjault ! Il existe peut-être des choses troublantes dans cette civilisation, mais au fond rien d’inquiétant. Nous avons acquis la certitude que les Azhiris ne connaissent ni l’électricité ni l’énergie nucléaire. Et, d’après ce que nous avons vu, ils ignorent même la poudre. Je présume qu’ils ne vivent pas trop mal, mais ce sont tout de même desprimitifs… Qu’avez-vous fait de votre esprit d’aventure ? C’est seulement la cinquième fois en treize mille ans que la race humaine rencontre une autre espèce douée d’intelligence — ou même des artefacts dus à une autre espèce. Je serais diablement surprise s’il ne restaitpas quelques questions en suspens. » Elle tourna une clé sur le boîtier de commande et le traîneau pivota sur son patin gauche pour éviter un gros rocher. Eux le suivaient, marchant dans les profondes ornières qu’il creusait au milieu des congères. Il neigeait, et le temps bouché obscurcissait davantage le crépuscule.

« Croyez-moi, Yoninne, si je vous dis que je trouve ça excitant — encore que nous ayons de fortes chances de tomber simplement sur une colonie oubliée. Mais j’estime que nous devrions attendre et explorer encore un peu le coin avant de faire venir la navette. L’expédition ne possède en tout et pour tout que trois navettes. Si les choses tournent mal, je ne suis pas certain qu’on en distraie encore une de la colonie de Novamérika.

— Par bonheur, Draere ne partage pas votre opinion. Quand je lui ai envoyé un message, elle avait l’air toute prête à quitter cet îlot perdu sur lequel elle est coincée depuis ces derniers jours. Réjouissez-vous. Vous allez pouvoir parler à quelqu’un d’autre. »

Dieu merci, se dit Bjault. Il augmenta la température de son radiateur individuel et emboîta le pas à Leg-Wot. La neige tombait dru à présent, au point que le village et l’océan étaient devenus complètement invisibles. Au sein de l’obscurité crépusculaire, Leg-Wot et le traîneau paraissaient deux ombres. Aucun souffle de vent ne faisait bruire les conifères au tronc tordu qui les environnaient. Les seuls sons perceptibles étaient lecrunch-crunch de la neige sous leurs pas, le ronron des moteurs du traîneau et le chuintement discret mais omniprésent de la neige tombant doucement sur la forêt.

Cette importante chute de neige était une des raisons qui avaient poussé Draere et ses collègues à choisir cette nuit-là pour l’atterrissage, car les autochtones seraient dans l’impossibilité d’apercevoir la lueur des rétrofusées de la navette au milieu des ténèbres. En outre, le bruit des réacteurs serait considérablement amorti par l’air saturé de neige. Comme il n’y avait pas de vent, la navette n’aurait aucune difficulté à se diriger vers le radio-réflecteur qu’il avait installé avec Leg-Wot dans la vallée située à sept kilomètres au nord de la ville.

L’obscurité était maintenant presque totale, mais Yoninne Leg-Wot guidait le traîneau avec sûreté en direction de la passe s’ouvrant dans les collines qu’ils apercevaient devant eux. Il devait bien s’avouer que cette femme suscitait parfois son admiration. Elle possédait en particulier un troublant sens de l’orientation. La colonie de Novamérika n’ayant jugé bon de confier cette mission de reconnaissance au sol qu’à des rebuts de la société, il fallait reconnaître qu’elle aurait pu trouver pire que Yoninne Leg-Wot et le vieil archéologue Ajao Bjault. Ne te mets pas à pleurnicher, se dit intérieurement Ajao. À ton âge, tu n’aurais jamais pu décrocher une place de colon sans la considération que pas mal de gens conservent pour toi. Tu as eu une veine de pendu que ce système solaire comporte deux planètes habitables. En sus de quoi, on découvre sur l’une des deux planètes une espèce douée d’intelligence, et tu trouves encore le moyen de te plaindre de ta carrière en perte de vitesse !

Il secoua la neige qui s’était accumulée sur sa tête et rabattit son casque devant son visage. Une chute de neige dense et silencieuse comme celle-ci dégageait une profonde impression de paix. Sans la pression continuellement exercée sur sa frêle ossature par la pesanteur élevée régnant sur cet astre, il eût presque pu se croire sur sa planète d’origine, à dix parsecs — et quarante années — de distance.

Leg-Wot ralentit de façon à marcher de front avec lui. « Je crois que nous sommes suivis, dit-elle à voix basse.

— Quoi ? » Sa réponse tenait à la fois du sifflement et du cri.

« Ouais. Tenez ça (elle lui tendit le boîtier de commande du traîneau) et passez-moi le maser. Okay ; maintenant continuons à marcher. Je crois qu’il n’y en a qu’un et il reste à distance. »

Bjault n’essaya pas de discuter et tenta plutôt d’apercevoir quelque chose à travers la grisaille de plus en plus obscure. Mais ses efforts demeurèrent vains ; d’ailleurs il était déjà assez difficile de distinguer à temps le tronc d’un pin afin d’éviter au traîneau de le heurter. Yoninne devait avoir entendu un bruit quelconque : elle avait l’ouïe plus fine que la sienne.

À sa droite, elle tâtonnait pour régler le maser, qu’elle pointa ensuite vers le ciel dans la direction du nord. Elle formula le signal oral convenu dans son micro de casque sans obtenir de réponse — ce qui n’avait toutefois rien de surprenant. Afin d’économiser son carburant, la navette approchait tous moteurs arrêtés, mettant à profit l’atmosphère de la planète pour ralentir sa descente. Il était probable que le vaisseau spatial se trouvait momentanément occulté par l’ionisation consécutive à la pénétration.

Leg-Wot attendit deux minutes, puis renouvela son appel. Presque aussitôt, l’écouteur de Bjault leur transmit la voix joyeuse de Draere. « Salut, là-dessous ! » fit la voix, sans s’embarrasser de formalités. « Nous sommes à peu près à soixante kilomètres d’altitude et nous descendons rapidement. Ne vous inquiétez pas, le facteur sera à l’heure. »