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Leg-Wot lui exposa leur situation dans ses grandes lignes. « Okay, fit la voix de Draere. J’ai compris. Si vous pouvez encore patienter dix minutes, je pense que tout va s’arranger. Les rétrofusées de la navette vont sûrement flanquer la trouille aux ignorants du coin, et si ça ne suffit pas nous avons à bord des armes à feu : Holmgre et son peloton nous accompagnent. On n’a laissé sur ce fichu îlot que des radio-robots. Restez en contact. Vous devriez pouvoir passer sur vos omnidirectionnels d’ici peu.

— D’ac. Terminé », répondit Leg-Wot. Ils avaient atteint la passe ouverte dans la ligne de faîte et entamaient la descente sur l’autre face. La couche de neige, formée au cours de tempêtes successives, y était plus épaisse. Devant eux, le traîneau barattait la neige molle, ses patins faisant office de minuscules pagaies. La femme reprit les commandes des mains de Bjault et guida l’engin le long de la pente en direction de la capsule détachable.

Il ne percevait toujours que le bruit de leurs pas et celui du traîneau. Peut-être Yoninne n’avait-elle entendu en fin de compte qu’un gros animal. Il fit jouer son pistolet-mitrailleur dans son étui. Depuis que, la veille, leur barrière sonore avait fait fuir une créature de taille respectable, ils savaient que les parages étaient fréquentés.

Leg-Wot fit sèchement virer le traîneau à droite, le laissa glisser encore pendant près de deux mètres et le stoppa. Il faisait maintenant complètement noir. En s’avançant, Ajao faillit trébucher sur un monticule incurvé recouvert d’une couche de neige poudreuse de plusieurs centimètres d’épaisseur. La capsule détachable ! Bjault mit un genou à terre et dégagea la coque de la neige. En dépit de ses gants, le contact de la céramique roussie lui procura un certain réconfort, même en sachant que l’engin était condamné à ne plus jamais voler. La capsule se composait simplement d’un habitacle sphérique de deux mètres de diamètre, offrant juste assez de place pour y loger deux individus, leur équipement et le parachute de l’appareil. Celui-ci, dépourvu de moteur, ne pouvait en fait servir qu’à une seule opération : lâché du haut d’un vaisseau spatial mis en orbite, il tombait à travers les couches supérieures de l’atmosphère jusqu’au moment où, ayant atteint l’altitude et la vitesse convenables, le parachute lui assurait un atterrissage en douceur. L’idée de cette capsule était presque aussi ancienne — et aussi simple — que celle de la roue. La race humaine avait bien dû les découvrir toutes les deux plusieurs centaines de fois au cours de ces treize derniers millénaires.

La voix de Yoninne parvint faiblement à son tympan gauche. Elle devait avoir fermé sa combinaison et lui parlait — à voix basse — par l’intermédiaire de sa radio de casque. « Communiquons par radio à partir de maintenant, Bjault. J’ai orienté le traîneau dans la mauvaise direction de manière que notre suiveur se fasse des idées fausses. À présent, je regagne la capsule. Si nous restons tranquillement allongés dans la neige, je ne vois pas comment ils pourraient savoir où nous sommes. Et n’oubliez pas que les armes automatiques, c’est nous qui les avons. »

Ajao ferma son casque. « Oui », chuchota-t-il en réponse ; mais il ne se sentait pas sûr de pouvoir tout bonnement tirer dans le tas, même si les circonstances l’exigeaient.

Il se laissa glisser dans la neige et tendit l’oreille. L’écouteur du casque assurait une parfaite liaison acoustique avec l’extérieur, mais il n’entendit rien de plus que le discret bruissement de la neige qui ne cessait de tomber. Quelque part vers le nord, au cœur de l’obscurité — peut-être encore à une dizaine de kilomètres d’altitude —, la navette descendait en chute libre dans leur direction à la vitesse de plusieurs centaines de mètres à la seconde. Une masse de cinq cents tonnes de titane et de plastique qui tombait. Quand Draere allait-elle mettre en marche ses rétrofusées ?

Comme en réponse à ses pensées, la voix de Draere parvint aux oreilles de Bjault. « Des ennuis avec les autochtones ?

— Non, mais Yoninne croit que nous avons toujours de la compagnie.

— Ah ! (Une pause.) Bon, je vais allumer mes réacteurs. On va bien voir ce que ça va donner. À bientôt ! »

Le silence se prolongea encore pendant une demi-minute. Puis un intense grondement continu se développa au-dessus d’eux. La navette était encore assez loin et seules les plus basses fréquences échappaient au brouillage occasionné par l’atmosphère. Ce qu’on entendait ressemblait à un coup de tonnerre d’une espèce inhabituelle : débutant sourdement, il ne cessait de s’enfler. Pour quelqu’un qui n’était pas accoutumé aux moteurs à réaction, ce bruit pouvait faire croire à la présence d’un gigantesque monstre, à peine éloigné de quelques centaines de mètres et se rapprochant graduellement.

Une lumière blanche à l’éclat nacré luisait faiblement ; dans l’obscurité du côté du nord : même la lueur des réacteurs à gaz ionisé avait du mal à percer le rideau de neige de plusieurs milliers de mètres d’épaisseur qui tombait sans répit. Il entendit Draere annoncer calmement au micro l’altitude de la navette.

Le son s’amplifia au point de se muer en une véritable force physique qui s’acharnait sur lui à travers l’air et le sol. Les tourbillons provoqués par l’air surchauffé jaillissant des réacteurs chassaient la neige autour de lui. La tempête se trouvait proprement annihilée par l’énorme quantité d’énergie que dégageaient les réacteurs. Ajao enfouit la visière de son casque dans la neige, mais il pouvait voir du coin de l’œil les flammes d’un bleu métallique crachées par les réacteurs de la navette. Atterrissage nocturne tout ce qu’il y a de normal, apprécia-t-il in petto, en cherchant à s’enfoncer davantage dans la neige. Ah ! Comme il allait être agréable de prendre une douche et de faire un repas correct ! Sans compter qu’il serait débarrassé de Yoninne Leg-Wot.

La voix de Draere leur parvint lointaine et déformée à travers le rugissement des moteurs. « À trois cents mètres d’altitude, votre réflecteur est visible cinq sur cinq juste en dessous. Tenez bon, les gars ! » La masse de la navette, longue de quelque trente mètres, se balança en l’air avant de descendre lentement en direction du réflecteur que Bjault et Leg-Wot avaient installé au fond de la vallée, trois kilomètres plus loin. La tempête était littéralement neutralisée dans tout ce périmètre et, en levant les yeux, Bjault pouvait voir le flanc des collines éclairé par une lumière bleue douloureusement vive. Ajao sursauta : ils avaient bien été suivis. Sur toute l’étendue des champs de neige bleutée qu’il voyait se dérouler jusqu’au fond de la dépression se découpaient nettement des dizaines de silhouettes.

La navette n’était plus qu’à une cinquantaine de mètres d’altitude quand l’appareil fit une légère embardée et s’inclina sur le côté. Aussi calme que si elle eût conversé dans un salon, Draere annonça : « Il y a une sacrée turbulence au sol. » Deux des réacteurs de la navette imprimèrent une poussée et l’appareil partit obliquement, prenant lentement de la hauteur. « Je n’arrive pas à redresser… »

La navette à l’avant carré décrivit une gracieuse trajectoire vers le sol et s’écrasa sur le flanc, au fond de la vallée, où elle explosa avec des jets de flammes bleutées au moment où le plasma des réacteurs s’échappa des réservoirs.

La mâchoire inférieure de Bjault pendait de saisissement. Draere, quarante personnes, toutes mortes… en moins d’une seconde. Il resta allongé pendant un moment dans un état d’hébétude, tandis que des débris enflammés pleuvaient du ciel. Autour du point d’impact, on ne voyait plus que des feux d’origine chimique produisant d’horribles flammes rouges et orange qui brûlaient pratiquement sans bruit, comparativement au vacarme des réacteurs.