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Gaun paraissait presque gêné par sa propre suggestion. Non qu’il leur fût impossible de trouver un Azhiri disposé à passer plusieurs années en hibernation entre deux étoiles : aventureux comme il l’était, Prou n’eût été que trop heureux de partir. Mais le vaisseau stellaire, jaugeant son million de tonnes, qui avait amené les colons de Mèreplanète était à présent partiellement démonté, une grande partie de son appareillage ayant servi à édifier les installations terrestres de Novamérika. La reconstruction du vaisseau exigerait de très gros efforts et la colonie en sortirait affaiblie. Tel était l’argument qu’Ajao opposa à Gaun.

« Je sais, et c’est justement pour cette raison que je m’adresse à toi », avoua le conseiller scientifique. « Le Conseil n’appréciera pas beaucoup cette idée ; et si je cherche à la lui faire avaler de force, comme ça m’est arrivé dans le passé, elle lui plaira encore moins. Mais ses membres te respectent et même t’admirent. Tu as toujours l’air si peu sûr de toi, tout en ayant si souvent raison, que, le jour où tu enverras le Conseil au diable, il te demandera probablement le chemin.

« Je voudrais que tu défendes mon projet devant le Conseil et que tu lui fasses comprendre quel profit la colonie finira par tirer de ce sacrifice. Je sais bien que nous allons régresser d’une ou deux décennies — même en réarmant le vaisseau stellaire avec un minimum de frais —, mais quand le premier vaisseau VSL arrivera de Mèreplanète, nous comblerons notre retard, et au-delà ! Tu le leur diras, Aj ? »

Bjault avait accepté. Le moment venu, il s’était exprimé devant le Conseil et la question avait été soumise à un référendum général par le va-et-vient. Ils n’avaient pas eu à craindre un vote serré et, dans moins d’un an, Thengets del Prou, Ajao Bjault, ainsi qu’une dizaine d’autres hommes, entameraient le voyage de quarante années qui devait les mener à Mèreplanète.

… Mais Yoninne Leg-Wot resterait ici, peut-être à jamais inconsciente du rôle essentiel qu’elle avait joué. Cette idée le ramena au présent, à la chambre d’hôpital, à Pelio et à Yoninne. Il s’aperçut soudain que les yeux de la jeune femme étaient ouverts et qu’elle devait être éveillée depuis plusieurs secondes. S’il discerna dans son regard la conscience de soi, il n’y découvrit ni ce feu ni cette volonté qu’il avait connus.

« Bonjour, dit la jeune femme. Je m’appelle Ionina, Qui êtes-vous ? » Sa voix était calme et paisible, mais elle employait la langue du Royaume de l’Été et prononçait son propre nom de la même étrange façon que Pelio.

Bjault répondit, mais Yoninne n’ajouta rien ; bien que ses yeux fussent toujours ouverts, elle semblait indifférente à ce qui l’entourait. Quand Pelio détourna son regard de la jeune femme, ses traits exprimaient une vive émotion. « Vous l’avez entendue, Ajao ! Les docteurs avaient raison. Elle guérira ! »

Bjault tenta, de se mettre au diapason de l’enthousiasme du garçon, mais n’y parvint pas. Dès qu’il avait repris connaissance, il s’était enquis de Yoninne. « Son état ira en s’améliorant, avait dit le toubib. Je ne vois aucune raison pour qu’elle ne finisse pas par se débrouiller toute seule et par parler, voire écrire. Mais elle est atteinte d’amnésie quasi générale et il est possible qu’elle ne soit plus jamais capable de raisonner abstraitement. »

Voilà. Leur aventure sur Giri lui avait ouvert la voie des étoiles mais l’avait privée, elle, de l’essence même de son être. L’association de ces deux idées avait quelque chose d’infiniment douloureux…

Elle fut heureuse de voir partir l’étranger. Elle se rendait vaguement compte qu’il appartenait à un passé aboli, à l’instar des souvenirs, des connaissances et de l’expérience qui avaient fait d’elle une personne différente. Mais à cette personne, qui avait beaucoup souffert et ne s’était jamais réellement amusée dans l’existence, il était accordé une seconde chance.

Elle leva les yeux vers la face grise de Pelio et prit sa grosse main entre les siennes. Elle venait de perdre presque tout ce qui a du prix, mais elle n’était pas stupide : elle savait reconnaître un heureux dénouement.