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Les soldats postés sur la rive saisirent les filins et remorquèrent le bateau jusqu’à l’appontement. Le préfet et la fanfare se trouvaient à présent placés presque directement au-dessous de lui. Il sourit discrètement en voyant Moragha tressaillir. Le préfet avait dû sentir le vent chaud soufflant du yacht.

Le bateau heurta légèrement le tablier et les soldats l’amarrèrent. Pelio salua la foule avant de se détourner de la rambarde. « Ici, Samadhom », dit-il d’une voix douce à son ours domestique. L’animal au pelage fauve trotta jusqu’à lui sur ses courtes pattes et se mit à lui lécher la main. Le prince avait davantage confiance en son ours qu’en aucun de ses gardes — car, en cas d’attaque kinésique, cette bête velue constituait un moyen de défense passive probablement aussi efficace que n’importe quel Azhiri, exception faite des membres de la Guilde. Pelio flatta Samadhom avant de descendre, en compagnie de ses gardes muets, l’escalier menant au premier pont. Les seigneurs et les dames qui le rejoignirent en arrivant sur le second pont étaient moins silencieux, mais Pelio ne répondit pas à leurs sempiternelles ovations parfaitement factices. Talonné par sa suite, il traversa la passerelle de fer forgé qui conduisait au quai et se dirigea vers l’endroit où l’attendait Parapfu Moragha, raide comme un piquet.

« Repos, mon cher Parapfu ! »

Moragha se détendit avec un soulagement visible et fit signe à la fanfare de sonner le « repos ». La foule massée sur le quai rompit aussitôt le silence qu’elle observait depuis que le prince avait mis pied à terre.

« En souhaitant la bienvenue à Votre Altesse, la population de ma préfecture et moi-même tenons à l’assurer de notre respectueuse affection. » Moragha s’inclina avec un empressement démonstratif. Le préfet se retourna ensuite, tout en faisant signe à Pelio de gravir l’escalier de pierre orné de mosaïque qui conduisait au palais préfectoral. « Nous avons tant de choses à montrer à Votre Altesse royale-impériale. » Moragha se plaça délibérément derrière Pelio, le séparant ainsi de sa suite. « Bodgaru a beau occuper les confins les plus septentrionaux du Royaume de l’Été, nous n’en maintenons pas moins dans nos cœurs l’esprit du verdoiement. »

Il désigna d’un geste le jardin de jade qui s’étendait de part et d’autre de leur chemin. Pelio suivit son mouvement du regard, mais s’abstint de tout commentaire. Il aperçut des pierres vertes et jaunes savamment sculptées et discerna vaguement que la densité de ces ouvrages en pierre se rapprochait de celle d’authentiques plantes. Il n’y en avait pas moins une certaine absurdité à vouloir imiter la vie avec de la pierre ou de la neige. Le comble de cette attitude lui paraissant représenté par le Roi des Neiges et son palais de cristal dressé aux bornes du monde. Ne recevant pas de réponse, Moragha se hâta d’ajouter : « Et il n’y a pas de mines plus vastes que celles de Bodgaru. Les sujets du Royaume de l’Été en extraient le minerai de cuivre depuis plus d’un siècle… »

À l’arrière du groupe princier, les serviteurs continuaient à faire venir par téléportation une brise tiède née dans l’hémisphère sud. Aux côtés de Pelio, le préfet commençait à transpirer dans son surtout de cuir repoussé, mais la cause en était moins la chaleur de l’air que le silence prolongé du prince. Peu de courtisans pouvaient se flatter de n’avoir pas subi son silence glacial et son regard sans expression. À la cour, ce mutisme passait pour un signe de grossièreté et de stupidité mais, à vrai dire, les manières de Pelio n’étaient pas dénuées d’arrogance, bien qu’en réalité un sentiment de méfiance et d’isolement l’emportât chez lui sur tout le reste.

Une fois achevé le discours qu’avait préparé Moragha, ils marchèrent un long moment en silence. Enfin Pelio, regardant son accompagnateur, lui dit : « Parle-moi de l’escarmouche d’hier soir, mon cher Parapfu.

— Comment avez-vous… » commença le préfet, qui se hâta de ravaler sa surprise. « Il n’y a pas grand-chose à dire, Votre Altesse. L’affaire demeure mystérieuse. Mes agents ont repéré des intrus dans les collines du Nord. J’y ai envoyé des soldats de la garnison. Ils ont dû affronter une énorme créature volante qu’ils ont réussi à détruire.

— Et les intrus ? » insista le jeune homme.

Le préfet fit un geste dédaigneux de la main.

« Des Prof… des personnes sans importance, Votre Altesse. »

Des profanes ! Ainsi son informateur anonyme lui avait dit la vérité. Qui eût jamais pensé que des Profanes fussent capables d’offrir une résistance aux gens normaux ? « Des Hommes des Neiges ? » demanda négligemment Pelio en s’efforçant de dissimuler son trouble.

« Non, Votre Altesse. Du moins je n’ai jamais vu d’Hommes des Neiges qui leur ressemblent.

— Je veux les interroger.

— Mais le général baron Ngatheru dispose d’interrogateurs expérimentés à Atsobi… »

Tu te contredis, pauvre sot ! pensa Pelio. Tu es donc effectivement tombé sur une chose intéressante.

« Les étrangers ont-ils été conduits à la garnison ?

— Euh, non, Votre Altesse ; ils se trouvent dans un des cachots de mon palais. Le général baron pensait…

— Fort bien, Parapfu. Je vais donc interroger immédiatement ces étranges prisonniers. »

Le préfet était assez sage pour ne pas s’opposer à un caprice royal, fût-ce celui de Pelio. « Certainement, Votre Altesse. Il sera plus pratique d’utiliser le bassin de transit de mon palais. »

Ils avaient à présent atteint la terrasse de quartz rose entourant la demeure du préfet. Si le palais ne se dressait qu’à cent cinquante mètres du lac, il était néanmoins perché à une quinzaine de mètres de hauteur, sur le flanc de la crête protégeant le terminus de la Voie Royale contre les activités des espions du Nord. Il était naturel que Moragha n’eût pas proposé de gagner le palais en s’y téléportant : l’usage par une telle température d’un bassin de transit risquait en effet d’être un exercice désagréable.

Comme la plupart des édifices construits dans les régions hivernales, le palais disposait d’une entrée pratiquée dans la muraille. Pelio appréciait les ouvertures de cette sorte, car elles lui rendaient en partie cette mobilité que les autres possédaient naturellement. Il y avait trop peu de place à l’intérieur du palais pour que les souffleurs de vent de Pelio pussent remplir leur office, et les salles à l’atmosphère confinée restaient glaciales. La pâle lumière filtrant à travers les épaisses vitres était loin d’apporter le même réconfort que celle qu’il avait l’habitude de voir dans les salles de bal à ciel ouvert du Palais de l’Été. Les esclaves de Moragha circulaient au milieu de l’assistance avec du vin et des sucreries. Le préfet avait même réussi à faire venir un petit groupe de chanteurs du sud d’Atsobi. En somme… une vraie fête.

Parapfu conduisit le prince et ses gardes du corps à l’écart de la foule et, après avoir traversé un jardin intérieur aux plantes flétries ils parvinrent au bassin de transit du palais, au bord duquel les serviteurs leur tendirent des combinaisons étanches.

« Le cachot se trouvant à près de cinq cents mètres au-dessous du sol, je pense, Votre Altesse, que le bassin de transit constitue l’accès le plus pratique. »

Pelio acquiesça et enfila sa tenue. Si Moragha possédait suffisamment d’habileté, ils pouvaient sauter de l’endroit même où ils se tenaient. Mais cinq cents mètres représentaient une longue descente. Un jour, il avait été téléporté jusqu’à six cents mètres de profondeur — directement, sans s’immerger au préalable dans un bassin de transit. Mais l’échauffement qui en avait résulté lui avait donné des maux de tête pendant une nouvenne.