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Holy Tong émergea de sa béatitude. Une crainte mal formulée commençait à se glisser dans son esprit, gâchant en partie sa joie. Mme Yao ne faisait jamais rien sans raison. C’est toujours elle qui se servait de lui, cette fois, elle lui avait permis de se servir d’elle.

C’était délicieux et inquiétant.

Holy avança timidement la main vers le corps de sa maîtresse. Elle ne se déroba pas, au contraire, bombant le ventre comme pour appeler une caresse. Holy repartit comme une fusée Saturne.

Au moment où il l’attirait vers lui, elle demanda d’une voix douce :

— Veux-tu que nous faisions toujours l’amour de cette façon, mon fripon adoré ?

Holy grogna, muet de volupté.

— Cela ne dépend que de toi, mon cœur, insista Mme Yao.

Holy arrêta son geste.

— Que dois-je faire ? demanda-t-il, légèrement inquiet.

— Tu vas tuer l’Américain, fit paisiblement Mme Yao. Holy Tong eut l’impression qu’on le trempait dans l’eau glacée. Il aurait voulu être à des milliers de kilomètres, loin de Mme Yao.

— Tu plaisantes, fit-il faiblement.

Mme Yao se redressa sur le divan, les yeux flamboyants.

— Chien puant, tu ne me toucheras plus jamais. Je te ferai tuer par mes hommes.

Holy, défait, gémit :

— Mais, mon cœur, comment veux-tu que je tue cet homme ? C’est un dangereux agent américain, il se méfie déjà de moi. Et je n’ai jamais tué personne.

— Il n’est pas armé, fit sèchement Mme Yao en s’essuyant. Nous avons fouillé sa chambre à plusieurs reprises. Et si j’en suis réduit à demander cela à un misérable ver de terre comme toi, c’est parce que je n’ai pas le choix. Notre action doit avoir lieu aujourd’hui. Cet homme est dangereux, s’il réfléchit suffisamment. Il doit disparaître.

Holy Tong se tordit les mains :

— Mais mon doux cœur, je n’ai pas plus de force qu’un poulet ! Comment puis-je tuer un homme aussi redoutable ?

— Je peux te donner un pistolet, fit Mme Yao. Toujours nue, elle se leva et prit dans son sac un petit pistolet nickelé. Holy poussa un cri.

— N’aie pas peur, fit Mme Yao, apaisante, je ne te forcerai pas à le tuer ainsi.

Holy avait remis son kimono et repris un peu de courage. Il dit le plus fermement qu’il le put :

— Je ne tuerai pas cet homme. Je ne peux pas. Calmement, Mme Yao fit claquer la culasse de son pistolet. Holy aperçut l’éclair jaune de la cartouche qui montait dans le canon.

— Qu’est-ce que tu fais ? balbutia-t-il.

Les yeux jaunes se plissèrent méchamment :

— Je vais te tuer. Je dirai que tu as tenté de me violer. Alors que j’étais venue me faire soigner. Je suis honorablement connue à Hong-Kong. J’ai le droit d’avoir un pistolet, car je transporte souvent la recette de mon cinéma.

Elle leva l’arme, braquée sur Holy Tong.

Affolé, il tomba à genoux. Mme Yao posa le canon sur sa tempe. Quand il sentit le métal froid contre sa peau, Holy se liquéfia littéralement.

Encerclant les genoux de sa maîtresse, il supplia :

— Ne me tue pas, j’exécuterai l’Américain.

Le canon ne s’éloigna pas, mais la Chinoise demanda :

— Je peux compter sur toi ?

— Oui, oui, sanglota Holy Tong.

Comme à regret, elle remit son arme dans son sac et s’assit sur le divan. Elle avait repris son expression cruelle. Holy Tong se releva. La tête lui tournait et il se demandait si tout cela n’était pas un cauchemar.

Devant ses yeux de chien battu, Mme Yao eut un sourire cruel :

— Si cette fois-ci tu me trahis, je t’arracherai tes parties viriles et je te les ferai manger…

Holy baissa les yeux et gémit :

— Mais comment vais-je faire ? Je ne sais pas me servir d’une arme…

— Mais si, mais si, fit Mme Yao, tu as de merveilleuses armes. J’ai tout prévu. Voici ce que tu vas faire : Si tu m’écoutes, rien ne t’arrivera et je serai très gentille avec toi…

Holy Tong écouta les explications de sa maîtresse pendant près d’une demi-heure.

Quand Mme Yao se leva pour partir, il était tellement assommé qu’il ne songea pas au moindre geste érotique. Dès qu’il fut seul, il prit son nécessaire à opium et se prépara une pipe. Seule la drogue lui permettrait de passer cette effroyable journée. Il maudissait le jour funeste où il avait voulu se rendre important auprès de Cheng Chang. Il y a un proverbe chinois qui dit : « La parole que tu n’as pas prononcée est ton esclave, celle que tu as dite devient ton maître. » Maintenant le vin était tiré, il fallait le boire.

Holy Tong était revenu de sa mystérieuse absence. Tuan avait ouvert à Malko comme si de rien n’était.

Ce dernier n’arrivait pas à trouver le calme. L’action contre le Coral-Sea devait avoir lieu dans deux heures. Sans qu’il ne puisse rien faire pour l’empêcher.

Il retrouva presque avec plaisir le douillet cabinet de travail de Holy Tong. Toute l’horreur de l’histoire qu’il vivait semblait être restée à l’extérieur. Il se déshabilla et s’étendit sur le divan.

Soudain un fait inhabituel le frappa. Holy Tong ne disait pas un mot. D’habitude, Malko arrivait tout juste à lui dire bonjour. Aujourd’hui, il s’était immédiatement absorbé dans la préparation de ses aiguilles d’or, les piquant sur un coussin de velours rouge, dans un ordre mystérieux :

— Vous n’êtes pas dans votre assiette ? demanda Malko. Holy eut un sursaut si brusque qu’il laissa tomber une des aiguilles.

Le Chinois la ramassa et jeta un coup d’œil affolé à Malko :

— Si, si, fit-il. Mais j’ai eu beaucoup de travail. Beaucoup de travail.

Malko sourit avec indulgence :

— Ce sont encore vos belles Chinoises qui vous ont fait trop vous dépenser. Qui avez-vous encore séduit ?

— Oh ! personne, répliqua Holy avec nostalgie. Personne. Je ne suis plus qu’un vieux bonhomme.

Malko tiqua : Holy était toujours intarissable sur ses exploits amoureux. Décidément, quelque chose allait de travers. Du coin de l’œil, il surveilla le Chinois. Les préparatifs semblaient normaux. Holy se concentrait assis à la yoga, les yeux fermés, comme d’habitude.

Puis, d’un geste sec, il arracha la plus longue des aiguilles et ordonna :

— Allongez-vous et ne bougez plus.

Malko obéit. La tête sur le côté, il vit soudain la main du Chinois reflétée dans une petite glace posée sur le bureau. Cette main tremblait.

En un éclair, une des phrases de Holy lui revint en mémoire. Un jour, il s’était vanté auprès de Malko de ne jamais trembler, même après une nuit blanche, passée au Kim Hall.

L’aiguille était à un centimètre des reins de Malko. Brusquement celui-ci se retourna et saisit le poignet du Chinois, immobilisant la main qui la tenait.

— Pourquoi tremblez-vous, monsieur Tong ? demanda-t-il, soudain sérieux.

Derrière les lunettes sans monture, les yeux du Chinois dansaient une sarabande effrénée. De vraies boules de loto. Une petite rigole de sueur coula entre les sourcils. Malko affermit sa prise. Tout cela était bien bizarre.

— Je ne tremble pas, fit Holy Tong, la voix étranglée, laissez-vous faire, sinon, je vais vous faire mal.

Il avait terminé sa phrase d’un ton aigu, presque hystérique. Malko plongea ses yeux dorés dans les siens. Cette fois, il était sérieusement en alerte. Le Chinois tremblait comme une feuille de thé… Pas seulement la main, mais tout le corps. Mollement, il tenta de repousser Malko sur le divan. Celui-ci, sans crier gare, saisit l’aiguille par le milieu et l’enleva de sa main.

Holy poussa une sorte de gémissement :

— Rendez-moi mon aiguille ! Mais il ne tendit pas la main.