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Malko les dévisagea. Ils étaient vêtus de blue-jeans délavés et de tricots de corps. Leurs cheveux étaient trop longs et ils ressemblaient aux centaines de chômeurs qui traînaient dans Wang-chai, proposant des filles ou de l’opium. Ils regardèrent Malko puis échangèrent quelques mots. C’était, sans nul doute, ceux qui devaient transporter son cadavre.

Avec une petite secousse, le funiculaire s’arrêta. Une vieille femme monta. Comme pour jouer, les deux types sautèrent de leur compartiment et rejoignirent celui où se trouvaient Malko et le contrôleur. Celui-ci marmonna quelque chose qui ne devait pas être gentil. Tassée sur son siège la vieille regardait la cloison de bois.

Il y eut une rapide conversation entre les deux jeunes Chinois. Puis, comme pour jouer, l’un d’eux commença à pousser Malko. Celui-ci se garda bien de répondre à la provocation. L’autre, les cheveux plantés bas sur le front, un mufle de bouledogue, continua.

Encore quelques minutes et le wagon ralentit puis s’arrêta à une station déserte. La vieille femme descendit. De nouveau, le Chinois donna un coup d’épaule à Malko. Celui-ci se déplaça légèrement. Le funiculaire glissait maintenant entre deux à-pics de vingt mètres.

Le contrôleur, qui avait suivi le manège sans comprendre, fit une remarque en chinois aux deux voyous.

Ensuite, tout se déclencha très vite.

Celui qui avait provoqué Malko agrippa le vieil homme par le col de sa veste et le poussa vers la porte ouverte. Le vieux hurla, tenta de se rattraper au marchepied, glissa dans le vide. Malko aperçut une main ridée et décharnée sur la barre de cuivre, puis plus rien.

Au moment où le contrôleur disparaissait dans le vide, le second Chinois arracha la courroie de la sacoche contenant l’argent de la perception, avant de se retourner sur Malko.

Sa cupidité le perdit. Se suspendant aux courroies de sécurité, Malko bondit, les pieds en avant, frappant le voyou en pleine poitrine. Déséquilibré, il jaillit hors du wagon, comme happé par le vide. Ils longeaient un mur de pierre : il y eut un bruit horrible d’écrasement et le corps disloqué du Chinois retomba entre les rails.

Le second plongea la main dans la jambe de son blue-jeans et se redressa avec un rasoir.

De nouveau, le funiculaire glissait entre deux à-pics vertigineux. Le Chinois avançait lentement sur Malko, le rasoir à la hauteur de son ventre, les jambes écartées.

Brusquement, Malko sauta par-dessus la banquette, dans l’autre compartiment. Surpris, son adversaire ne réagit pas assez vite. Le rasoir entailla le bois, faisant jaillir une énorme écaille. Déjà Malko franchissait une autre banquette : le frein à main était à l’avant, c’était sa seule chance.

Animé de l’énergie du désespoir, il sauta la dernière banquette et se rua sur le frein de secours. Le temps de faire sauter la goupille rouillée et le voyou était sur lui. Malko surveillait son reflet dans la vitre. Son pied partit atteignant l’autre sur le poignet. Le rasoir vola en l’air.

Malko tournait le lourd volant comme un fou.

Peu à peu le wagonnet ralentissait. Le Chinois sauta sur son dos, lui passa le bras autour du cou et commença à serrer.

Dans un dernier grincement le wagonnet s’arrêta complètement. Le Chinois, surpris, relâcha sa prise. Aussitôt Malko lui porta un violent coup de coude à la gorge. L’autre tomba par terre avec un gargouillement inquiétant. Malko se pencha à la porte : le funiculaire venait de dépasser Kennedy Station, la dernière halte avant l’arrivée.

Par la route en lacet, il en avait pour dix bonnes minutes. La voie la plus rapide était de descendre entre les rails. Il se laissa glisser sur la voie, et commença sa périlleuse descente. Les traverses de bois glissaient comme si elles avaient été huilées. Plusieurs fois, il faillit perdre l’équilibre.

Hors de souffle, il dévala dans le terminus de Garden Street. Les voyageurs le dévisageaient, interloqués. Un Blanc qui courait comme un fou entre les rails… Malko ne s’attarda pas. Bousculant les gens, il déboucha sur la placette où plusieurs taxis attendaient : sa montre indiquait six heures moins cinq. Il tendit un billet de cinquante dollars au chauffeur du premier.

— Six o’clock at the Star ferry.

Le billet fit l’effet du rouge sur le taureau. Le Chinois dévala Garden Road comme s’il avait eu tous les lanciers du Bengale à ses trousses, manqua de peu un tram vert au croisement de Queen’s Road, grilla le feu rouge de Connaught Road et accéléra encore.

Il était six heures pile quand il stoppa au pier. Il fallut à Malko quelques secondes pour s’orienter.

Deux ferries étaient en partance. Celui de droite enlevait déjà sa passerelle. Malko vit une grande banderole rouge en chinois tendue sur deux piquets. C’était certainement celui dont avait parlé Holy Tong. Il fonça pour être arrêté par deux policiers chinois.

— Spécial, sir, firent-ils avec un sourire.

Ils lui montrèrent l’autre ferry. D’ailleurs, il y avait déjà un mètre d’eau entre le quai et celui-ci. Malko n’avait jamais couru si vite. Il s’engouffra sur le ferry normal de Kowloon, fit le tour du pont, courant vers l’avant. Du même élan, il monta sur le bastingage. Le second ferry défilait devant lui à deux mètres. Il sauta.

Ses pieds glissaient sur le métal de la coque mais il parvint à se raccrocher au bastingage et à se hisser sur le pont. Heureusement. Tous les passagers étaient à l’arrière, en train de crier et de chanter. Malko se dissimula derrière une des cloisons amovibles utilisées pour les transports de voitures, afin de reprendre son souffle.

Il venait de comprendre soudain tout le mécanisme de l’opération. C’était diabolique et il lui restait cinq minutes pour faire échouer la tentative.

S’il réussissait, cela valait bien une aile entière de son château…

CHAPITRE XIX

Le lieutenant Cari Schwab, calé dans un siège de toile sur la passerelle de commandement du Coral-Sea, suivait à la jumelle les ferries et les jonques qui se croisaient dans Victoria Harbour, s’amusant à repérer les jolies filles. L’équipage du Coral-Sea étant consigné, il n’y avait rien de mieux à faire.

Pour l’instant, il suivait un gros ferry vert qui venait de partir de Hong-Kong et semblait se diriger sur Kwa-wan, le quartier entourant l’aéroport de Kai-tak. Il allait passer près du Coral-Sea. Après deux mois d’opérations dans le golfe du Tonkin, la vue d’une jolie Chinoise, même à cent mètres, était un réconfort.

Les jumelles bien au point, Schwab commença à inspecter le ferry, qui semblait bondé.

Soudain une petite tache rouge apparut dans les jumelles, aussi petite qu’un défaut dans une photo en couleur.

Croyant à une saleté collée sur le verre, Schwab souffla sur ses jumelles et reprit son observation.

Le temps de refaire le point sur le ferry, il y avait dix taches rouges identiques.

Se demandant s’il avait des hallucinations, le lieutenant Schwab héla l’homme de quart debout dans sa cage étroite, au-dessus de lui :

— Hé ! Jimmy, regarde le ferry à « trois heures ». Qu’est-ce que tu vois ?

De nouveau, il fit le point soigneusement sur le ferry qui arrivait droit sur le Coral-Sea. Comme une rougeole géante, les taches rouges s’étaient encore multipliées ! Il en naissait sous les yeux de l’officier américain. Tout à coup Schwab jura.

Il distinguait maintenant que les taches rouges étaient des drapeaux communistes brandis par les passagers du ferry !

Au même moment, Jimmy, l’homme de quart, hurla :