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Au même moment le premier des chasseurs embarqués décolla de sa catapulte avec une explosion sourde et fila au ras des flots. Un second appareil l’imita et passa dans un grondement d’apocalypse au-dessus de la tête de Malko, qui vit distinctement la tête du pilote dans le cockpit transparent.

Il arrivait à la minuscule cabine de commandement. À travers les vitres il aperçut plusieurs hommes à l’intérieur. Mais l’un d’eux se retourna et vit Malko. Il y eut un remue-ménage à l’intérieur et deux Chinois se précipitèrent vers la porte et s’y adossèrent. Malko de l’extérieur pesa de tout son poids. Sans le moindre résultat. De toute façon, même s’il parvenait à ouvrir la porte, il ne pourrait venir à bout de tous ses adversaires.

Découragé, il reprit son souffle et regarda au-dessous de lui la masse impressionnante des Chinois groupés à l’avant. Les petites filles continuaient à chanter de leurs voix aiguës. Comme si elles avaient été dans une chorale.

Deux explosions sourdes firent trembler le ferry, suivies de deux énormes gerbes d’eau à quelques mètres de l’avant du ferry qui éclaboussèrent les chanteurs et les drapeaux rouges. Les pièces de 127 du Coral-Sea tiraient à obus réels, volontairement trop court. De quoi pulvériser le vieux ferry.

Malko regarda le visage des hommes dans l’habitacle. Ils étaient impassibles, comme si les coups de canon ne les avaient pas concernés. C’en était incroyable. Ils n’étaient pas assez fous pour croire qu’ils allaient échapper aux canons tirant à bout portant. Ils n’approcheraient jamais le Coral-Sea. Le ferry et ses passagers voleraient en éclats avant.

Tout ce plan compliqué pour en arriver à un échec aussi flagrant ! Ce n’était même plus une mission-suicide, mais de la stupidité.

Et les petites Chinoises qui continuaient à entonner leurs hymnes, inconscientes du danger !

Tout à coup, la vérité apparut à Malko, fulgurante. Si les Chinoises chantaient avec autant de cœur, c’est qu’elles pensaient qu’il n’y avait pas de danger. Pour elles, c’était une démonstration pacifique contre les impérialistes. Seuls les hommes de la dunette savaient la vérité. Ils n’avaient jamais eu l’intention de s’attaquer au Coral-Sea. Il fallait seulement que les Américains le croient, qu’ils tirent, qu’ils détruisent le ferry, que les obus déchiquettent les fillettes et les civils…

Froidement ils avaient sacrifié la vie de plusieurs centaines de participants pour monter leur provocation. Tout avait été fait pour mettre les Américains en condition, pour leur faire croire à un danger qui n’existait pas. C’était le système des fausses bombes alternées avec les vraies. Peu à peu on détruisait les nerfs de l’adversaire…

Le Coral-Sea n’était pas en danger. Mais avec le premier obus qui atteindrait le ferry, ce serait le commencement de la fin pour les Anglais de Hong Kong. C’était l’incident grave dont les communistes avaient besoin pour faire céder les Anglais, leur faire perdre définitivement la face.

Tout le monde s’était trompé depuis le début. Y compris Max l’ordinateur. Le plan communiste n’était pas dirigé contre la 7e flotte, mais contre les Anglais.

Malko serra les poings de désespoir. Il restait moins d’une minute et il n’avait aucun moyen de prévenir le Coral-Sea. Il avait le choix entre deux solutions : sauter par-dessus bord ou être pulvérisé avec le ferry. Un bruit troubla sa réflexion. La porte de l’habitacle s’ouvrit et un Chinois sortit, un pistolet à la main.

Précipitamment, Malko battit en retraite, tournant autour de la dunette. Soudain, une corde lui fouetta le visage. Il leva la tête et vit qu’elle commandait la sirène de brume du ferry.

Aussitôt, il l’empoigna. L’homme au pistolet arrivait. Il leva son arme vers Malko et visa soigneusement.

L’amiral Riley, debout sur la passerelle de commandement, le visage de marbre, suivait la course du ferry dans ses jumelles. Le « bang » sourd des catapultes secouait le porte-avions toutes les trente secondes. Pétrifiés, un groupe d’officiers contemplaient le ferry couvert de drapeaux rouges. Un téléphone se mit à sonner et le lieutenant Schwab décrocha, puis tendit l’appareil à l’amiral.

— Vous avez le consul, sir.

La communication avait été coupée quelques secondes plus tôt.

— Ils ne sont plus qu’à quatre cents yards, annonça l’amiral. Je vais être obligé de les détruire.

Le consul eut un soupir angoissé :

— Êtes-vous sûr ?… Peuvent-ils vous occasionner d’importants dégâts ?

— Si ce ferry est chargé d’explosifs, fit l’amiral, et qu’il vienne s’écraser contre ma coque, il peut détruire mon navire, et mes avions. Je suis responsable du Coral-Sea devant le président des États-Unis, monsieur le consul, ne l’oubliez pas.

— Attendez le dernier moment, supplia le consul.

— C’est le dernier moment, martela l’amiral Riley.

Il y eut un court silence, puis le consul dit d’une voix presque inaudible :

— Détruisez-le, si c’est indispensable, mais que Dieu vous garde. Cela va être un massacre.

Le combiné toujours à la main, l’amiral regarda ses officiers. Tous baissèrent les yeux. Personne ne se souciait de prendre une telle responsabilité. Les hurlements rythmés des Chinois grandissaient.

— Que crient-ils ? demanda l’amiral.

L’officier de sécurité fit un pas en avant. Il parlait parfaitement le chinois :

— Ils crient des slogans, sir. « Gloire à Chairman Mao.

Mort aux impérialistes. Détruisons les fauteurs de guerre. »

L’amiral Riley prit une profonde aspiration. Les canons des destroyers et les deux pièces de 127 du Coral-Sea étaient prêts à déverser un déluge de feu sur le ferry.

— Lieutenant Schwab, ordonna-t-il, dans trente secondes, donnez l’ordre aux batteries d’ouvrir le feu. Visez la coque, tâchez d’épargner les gens.

L’officier se précipita vers l’interphone. Au même moment le ululement de la sirène du ferry couvrit les cris des Chinois.

Malko se pendit à la corde de la sirène. L’énorme coque grise du Coral-Sea approchait inexorablement. Sa traction déclencha un meuglement puissant qui couvrit les cris des Chinois. Il était peut-être temps encore d’éviter la catastrophe. Il ferma les yeux une seconde pour se concentrer. Lors de ses stages de formation, quelques années plus tôt, il avait appris le morse. Il avait eu peu l’occasion de s’en servir, mais tout était là, dans un recoin de sa fabuleuse mémoire.

Une explosion sèche le fit sursauter : il avait oublié le Chinois au pistolet. La première balle venait de le frôler.

Il leva les yeux sur le Chinois et comprit qu’il n’aurait jamais le temps de transmettre son message et d’échapper aux balles. Il eut une imperceptible hésitation. Il avait encore le temps de sauter par-dessus bord. Le Coral-Sea ne serait pas détruit et il s’en sortirait vivant. Sans que personne puisse rien lui reprocher.

Puis il pensa au colonel Whitcomb et à Po-yick. À sa place le vieil Anglais n’aurait pas hésité.

Chacun dans sa vie rencontre sa minute de vérité. Malko savait qu’il vivait la sienne. Ce serait peut-être la dernière de sa vie. Calmement, il commença à tirer sur la corde en cadence, sans perdre de vue le Chinois.

Lorsqu’il vit le doigt se crisper sur la détente, il se rejeta brusquement sur le côté. Il sentit une brûlure sur sa lèvre et immédiatement le goût du sang dans sa bouche. À petits coups, il continuait à émettre. Les mots se déroulaient avec une lenteur désespérante. À chaque seconde, il attendait l’obus qui enverrait le ferry par le fond.