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VINCENT NOUZILLE

Les tueurs de la République

Prologue.

La liste de Hollande

La liste est ultra-secrète. François Hollande la garde précieusement non loin de lui, dans son bureau du palais de l’Élysée. Elle contient les noms des personnes dont l’élimination a été secrètement approuvée. Selon les circonstances, il peut s’agir d’assassinats ciblés confiés à des soldats, des agents des services secrets français ou de pays amis. Dans le langage codé des professionnels du renseignement, on appelle cela les « opérations Homo », pour homicide. Depuis son élection, François Hollande assume le rôle sans sourciller, même si l’expression « opération Homo » reste taboue.

Comme chef des armées, le président de la République approuve régulièrement le déclenchement de frappes ou le déploiement de troupes sur les théâtres extérieurs, que ce soit au Mali, en Centrafrique ou au Moyen-Orient. Mais il s’agit là de tout autre chose, qui dépasse la notion de guerre traditionnelle. Ce sont des actions moins visibles, souvent clandestines, visant à « éradiquer » des réseaux considérés comme dangereux et à exécuter des ennemis présumés de la France. Les conflits larvés et la lutte contre le terrorisme ont pris des formes aussi occultes que radicales. Aujourd’hui, François Hollande dispose des outils nécessaires pour ce type de missions. Et, d’après les différents témoignages que j’ai pu recueillir, ces outils servent. Le Service Action (SA) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et les commandos des forces spéciales des armées n’ont, aux dires des connaisseurs, jamais été autant sollicités. Ils le sont de manière combinée ou complémentaire, sachant que les frontières entre l’action clandestine et l’action militaire visible sont désormais plus poreuses, puisque les conflits se prolongent sous des formes non conventionnelles face à des ennemis insaisissables.

Certes, officiellement le président de la République répugne encore à utiliser directement des drones armés, comme le font systématiquement les Américains dans le cadre du programme controversé d’assassinats ciblés lancé par le président George W. Bush et élargi par son successeur, Barack Obama, qui aurait tué plus de trois mille personnes en dix ans. Mais les armées françaises ne sont pas très loin de leur emboîter le pas : à Niamey, au Niger, par exemple, elles utilisent des drones de reconnaissance pour repérer les cibles, puis envoient des avions de combat pour les détruire, avec l’aval de l’Élysée. Le résultat est presque similaire, sans que le pouvoir s’en vante publiquement. De plus, François Hollande n’hésite pas, quand il en a besoin, à demander l’assistance des Américains, avec lesquels les Français, durant la guerre d’Afghanistan, ont commencé à traquer ce qu’ils appellent dans le langage militaire les High Value Targets (HVT), ou « cibles de haute valeur ». Français et Américains travaillent ainsi main dans la main à partir de leurs bases respectives de Djibouti pour « opérer » dans la corne de l’Afrique et à partir de celles du Niger pour frapper dans le Sud sahélien.

Un président belliqueux et des conseillers faucons

François Hollande décide seul de ces opérations exceptionnelles — une fermeté qu’explique son tempérament. Contrairement à certains jeunes de sa génération, il s’est débrouillé pour effectuer son service militaire, en 1977, comme aspirant au 71régiment du génie, à Oissel, alors qu’un premier examen médical l’en avait dispensé à cause de sa myopie. C’est en faisant ses classes à l’école militaire de Coëtquidan qu’il a rencontré plusieurs de ses fidèles amis, comme Michel Sapin et Jean-Pierre Jouyet, futurs condisciples à l’ENA. « François était particulièrement résistant. Il ne craignait pas les marches forcées[1] », a confié le premier au Nouvel Observateur. Féru d’histoire et de commémorations militaires, François Hollande, qui a été lieutenant de réserve, comme Jacques Chirac, a toujours suivi de près les affaires de défense et de renseignement. Détail méconnu : jeune chargé de mission à l’Élysée sous François Mitterrand, il dévorait déjà les rapports de la DGSE.

Hollande a aussi grandi dans la culture de la Ve République, assumant l’héritage gaullo-mitterrandien de la dissuasion nucléaire et les attributs du pouvoir solitaire des présidents. Impassible, il ne semble pas trembler lorsqu’il s’agit d’employer la force. Il a décidé, début 2013, que la France ne devait plus payer de rançon pour libérer des otages, quitte à les sacrifier. Cette règle inédite — qui a toutefois rapidement connu des exceptions — tranche avec la politique suivie ces dernières années de manière officieuse. Plus atlantiste et plus déterminé que ses prédécesseurs, il a aussi été profondément déçu que Barack Obama renonce au dernier moment, en septembre 2013, à s’engager aux côtés de la France pour punir la Syrie après la découverte de l’usage d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad.

Son bellicisme emprunte curieusement au vocabulaire de l’ancien président américain, George W. Bush, notamment quand il parle de guerre globale contre le terrorisme pour justifier sa posture. L’absence de nuances dans les propos et le ton martial employé l’apparentent, de manière étonnante, aux faucons néoconservateurs de l’administration Bush, qui voulaient venger les attentats du 11 septembre, mener une croisade contre Al-Qaïda et remodeler le Moyen-Orient à leur façon. Mais certains membres de son entourage avancent d’autres explications. « À défaut de popularité et de résultats au plan intérieur, Hollande veut au moins se construire une image de vrai chef de guerre », suggère un habitué de l’Élysée. « Il est surtout sous l’influence de quelques diplomates néoconservateurs et de généraux va-t-en-guerre », ajoute, un peu inquiet, un ancien pilier du Quai d’Orsay qui le connaît bien.

De fait, le président ne partage sa liste de cibles qu’avec une poignée de proches qui le conseillent et savent se taire, trois personnes principalement : son chef d’état-major particulier, le général Benoît Puga ; son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian ; et le directeur de la DGSE, le diplomate Bernard Bajolet. Un trio de « faucons » au tempérament trempé.

Les épaules carrées, des traits à la Lino Ventura, les cheveux ras et le verbe rare, le général Puga, soixante-deux ans, est un militaire chevronné, expert des interventions musclées, puisqu’il a notamment servi au Liban, au Tchad et en ex-Yougoslavie. Il a aussi, en mai 1978, sauté avec les légionnaires du 2REP sur Kolwezi, au Zaïre, lors d’un raid visant à sauver des milliers d’Européens des massacres perpétrés par les rebelles katangais. Passé par les postes clés de général commandant les opérations spéciales, de sous-chef opérations à l’état-major des armées et de directeur du renseignement militaire (DRM), cet ancien parachutiste conseillait déjà Nicolas Sarkozy à l’Élysée depuis 2010. François Hollande a décidé de le conserver comme chef d’état-major particulier, fonction qu’il doit occuper jusqu’en 2015. À ce titre, il supervise toutes les opérations militaires et rend compte au président, chaque jour, du détail des dossiers sur la base de renseignements qui lui sont fournis par les états-majors, la DRM et la DGSE. Adepte des opérations commandos, le général Puga a noué une relation privilégiée avec l’amiral William McRaven, le très puissant commandant des forces spéciales américaines, qui a propulsé ces dernières au cœur du dispositif de lutte contre le terrorisme avant de quitter son poste fin août 2014.

La liste de cibles est aussi examinée à la loupe à l’hôtel de Brienne, siège du ministère de la Défense, occupé par Jean-Yves Le Drian. Ancien maire de Lorient et ancien président du conseil régional de Bretagne, hollandiste de la première heure, ce Breton a repris la main sur les opérations militaires et les affaires de renseignement. Ces dernières années, celles-ci avaient un peu échappé au ministère au profit de l’Élysée et du chef d’état-major des armées. Le contexte de la guerre au Mali a modifié la donne. Avec son hyperactif directeur de cabinet Cédric Lewandowski, Jean-Yves Le Drian s’est imposé comme un partisan de la manière forte, faisant même un peu d’ombre à certains généraux, dont Benoît Puga.

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1

Voir Sylvain Courage, « Quand Hollande était bidasse », Le Nouvel Observateur, 28 janvier 2013.