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Ces opérations secrètes sont confiées principalement aux forces spéciales françaises présentes dans la région depuis 2008. En leur sein, une Escouade spéciale de neutralisation et d’observation (ESNO) a été créée pour identifier et frapper des cibles en quelques heures, avec l’aide d’experts en imagerie et de tireurs d’élite des commandos marine[5]. La DGSE et la DRM sont priées de partager leurs informations sur les fameuses High Value Targets. Les listes des chefs djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de ses alliés du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) et d’Ansar Dine sont actualisées. De puissants moyens d’écoutes sont déployés pour les repérer.

Outre les six cents à mille combattants djihadistes tués pendant l’opération Serval, les têtes commencent à tomber parmi les HVT. Entre le début 2013 et la mi-2014, selon des sources proches des états-majors et à la DGSE, plus d’une quinzaine de HVT ont été éliminées au Mali sur ordre de l’Élysée. C’est ce qu’a confirmé Marc Pimond, directeur adjoint du renseignement à la DGSE : « Avant, on faisait des fiches sur Al-Qaïda ; maintenant, on traque et on neutralise[6]. »

Le 12 janvier 2013, des bombes guidées au laser, larguées par des chasseurs français, tuent les numéros deux et trois d’Ansar Dine dans la ville malienne de Douentza[7]. Figurant sur la liste des HVT, le leader de la mouvance, Iyad Ag Ghali, longtemps considéré par les Français comme un interlocuteur touareg crédible, en réchappe. Sa maison à Kidal est ciblée par un bombardement français fin janvier, sans succès. Le 2 février, une frappe aérienne élimine une autre HVT, non identifiée, dans des baraquements situés aux environs du Tigharghar, au cœur de l’Adrar des Ifoghas, le massif montagneux du nord-est du Mali où se sont repliés des djihadistes.

Le suivant sur la liste est Abou Zeid, de son vrai nom Mohammed Ghediri, l’un des chefs les plus influents d’AQMI, qui détient alors des otages français. Localisé dans la même région, semble-t-il grâce à des interceptions téléphoniques, il meurt le 22 février 2013 avec de nombreux membres de sa brigade, la katiba Tarik Ibn Ziyad, probablement à la suite d’un raid aérien français. Accessoirement, Abou Zeid était considéré comme le commanditaire de l’assassinat de l’ingénieur français Michel Germaneau, enlevé au Niger en avril 2010. La France continue de régler ses comptes… Un autre pilier d’AQMI, le Mauritanien Mohamed Lemine Ould El-Hassen, chef de la katiba Al-Fourghan, est tué au même moment lors d’affrontements avec les forces spéciales françaises dans la zone du Timétrine.

Au cours des mois suivants, les assassinats ciblés se poursuivent, en marge des opérations militaires classiques. Des listes de chefs djihadistes à abattre sont ainsi transmises aux soldats français et maliens dans le cadre d’une opération antiterroriste baptisée Hydre, déclenchée en octobre 2013. Un nom de code révélateur de la difficulté à éradiquer la nébuleuse djihadiste, qui ne cesse de se transformer.

Certaines des figures recherchées passent entre les mailles du filet, probablement en se réfugiant dans le Sud libyen avec des centaines de leurs affidés. C’est le cas bien connu de Mokhtar Belmokhtar, surnommé « le Borgne », un dissident d’AQMI longtemps rival d’Abou Zeid et l’instigateur de la prise d’otages de janvier 2013 dans le complexe d’In Amenas, en Algérie. Plusieurs de ses proches sont toutefois éliminés par les forces françaises, avec l’accord de l’Élysée : son lieutenant Abou Moghren Al Tounsi, fin septembre 2013 ; ses fidèles Fayçal Boussemane et Al-Hassan Ould Al-Khalil, en novembre 2013 ; son beau-père, Omar Ould Hamaha, dit « Barbe rouge », en mars 2014 ; Abou Bakr Al-Nasr, dit « l’Égyptien », spécialiste des armes, en avril 2014[8]. D’autres dirigeants du Mujao et d’Ansar Dine sont également « neutralisés ».

Autant de noms qui ont pu être rayés de la liste secrète. Mais, parallèlement, celle-ci s’allonge régulièrement. Les militaires comme les agents de la DGSE sont mobilisés pour la compléter. AQMI et les mouvances djihadistes n’ont pas disparu. Ils se déplacent et se recomposent. Leurs hiérarchies se renouvellent. De nouveaux fronts s’ouvrent au Moyen-Orient, par exemple en Irak ou en Syrie.

Visiblement, François Hollande n’a pas d’états d’âme concernant cette liste et les opérations qu’elle implique[9], rappelant ainsi un certain Guy Mollet : ce dirigeant socialiste, président du Conseil sous la IVe République, appelé au pouvoir en 1956 pour mettre fin au conflit en Algérie, y envoya davantage de conscrits et y multiplia secrètement les opérations Homo. D’ailleurs, la détermination de François Hollande ravive bien des souvenirs dans les milieux militaires et du renseignement. « Franchement, nous n’avions pas vu cela depuis la guerre d’Algérie[10] », confie, surpris, un haut gradé dans le secret des opérations. Un étonnement que partage un ancien chef du Service Action de la DGSE, ajoutant : « Un président qui assume des opérations comme cela, c’est rare[11]… »

Cela faisait des années que les assassinats de ce type n’avaient pas fait l’objet de consignes aussi claires. Mais, en vérité, ils n’ont jamais cessé.

Introduction.

Côtés sombres

C’est l’un des secrets les mieux gardés de la République : en son nom et sur ordre des plus hautes autorités politiques, la France s’est livrée à des assassinats ciblés et à d’autres opérations très spéciales visant à éliminer certains de ses ennemis. Si elles ont été récemment remises au goût du jour, ces opérations ont toujours existé. Simplement, il ne fallait pas en parler. Officiellement, les opérations Homo n’existent pas. Et les sanglantes guerres secrètes menées à l’étranger ne sont pas forcément revendiquées. Pourtant, depuis la naissance de la Ve République en 1958, tous les présidents, chacun à sa manière, ont recouru à ce type d’action, même s’ils s’en sont défendus. Accorder ce permis de tuer fait partie de leurs prérogatives. C’est leur domaine très réservé.

Ces ordres reposent en effet sur un secret absolu, partagé par un comité restreint de responsables — généralement, le directeur de la DGSE, le chef d’état-major particulier du président et le chef d’état-major des armées quand les soldats sont engagés. Même les ministres de la Défense ne sont pas toujours dans la confidence.

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5

L’Escouade spéciale de neutralisation et d’observation (ESNO), issue de l’expérience de la guerre en Afghanistan, a été initiée en 2013 par les commandos marine de Penfentenyo et de Montfort, basés à Lorient. Composée de binômes ou de petits groupes, elle vise à « renseigner pour détruire » grâce à des moyens de communication sophistiqués et au recours au tir d’élite de haute précision (TEHP). Elle est destinée essentiellement aux opérations de contre-terrorisme. Voir Alain Monot, « La marine aux grandes oreilles », Cols bleus, janvier 2014.

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6

Christophe Cornevin, « DGSE, au cœur de nos services secrets », Le Figaro Magazine, 11 juillet 2014.

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7

Voir Jean-Christophe Notin, La Guerre de la France au Mali, Tallandier, 2014, p. 207.

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8

Nathalie Guibert, « L’armée française a tué un haut cadre d’Al-Qaïda au Sahel », Le Monde, 10 mai 2014.

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9

Sollicitée à plusieurs reprises par l’auteur en novembre 2014, la présidence de la République n’a pas répondu.

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10

Entretien avec l’auteur, juin 2014.

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11

Entretien avec l’auteur, août 2014.