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Effectivement, en fin de diatribe à bout d’arguments, quand le pot de peinture est vide, quand il a essoré le Littré pour en faire couler sa dernière louange peaufinée, l’armateur d’émotions fortes dégage sa propose de sa giberne, comme un sadique son goumi à fermeture Eclair. Elle est simple mais ambitieuse, la requête du P. D. G. de la compagnie Pacqsif. Il veut inviter une flopée de poulets en vacances à bord du Mer d’Alors. Qu’il y en ait partout, que ça grouille, la mouchaille. Que ça guette, que ça trou-de-serrure en couronne. Il est d’ac pour héberger leurs bobonnes en supplément de programme et histoire de faire plus authentique. Leurs chiares aussi, les belles-doches impotentes, les tatans gâteuses du temps qu’on y est, toute la family, avec Médor si ça peut aplanir les difficultés, le canari, les plantes vertes !

Tout le « cheni », comme disent mes amis suisses et lyonnais. Une monstre équipée de matuches ! La croisière des godasses à clous ! L’odyssée de la maison parapluie ! Il voudrait la P. J. au complet, à bord, la Sûreté Nationale. Avec les gendarmes travestis en mousses. Les grandes vacances de la poule, mes lascars ! Toute la volaille devenue canards et barbotant en Méditerranée afin de traquer le vampire du Mer d’Alors, en finir avec ce démon.

— Vous comprenez, postillonne Gaumixte, un navire c’est grand, il faut des effectifs pour arriver à contrer le maniaque.

— Bien sûr, bien sûr évasive le Vieux.

J’attends la décision du Scalpé. Il ne m’appartient plus de me manifester à ce point des converses.

— Vous vous rendez compte combien ce que vous nous demandez là est délicat, mon cher Oscar ?

Oscar va remporter celui de la persuasion un de ces quatre. Faut le voir repartir dans sa plaidoirie, bloquer le compteur de son moulin à parlottes. Il promet la lune dans du papier de soie. Y aura une prime féodale pour les zœuvres de la police. La Légion d’honneur pour tout le monde et des promotions d’exception pour ceux qui l’ont déjà.

Le Vieux se voit avec une rosette sur toast et il en a les narines qui frémissent de Marseillaise anticipée.

Le Big Dirlo de la compagnie Pacqsif, c’est pas de la rognure de basse cantine. Il a les bras tellement longs que toutes les équipes de basket lui feraient un pont d’or, à l’armateur, pour se l’annexer. La main au panier directe, ça serait pour lors. Mon bien cher dabe, il préfère collectionner les personnages à longs bras plutôt que les bagues de cigare. Ça lui paraît plus utile, plus opérant. A toutes les époques et sous tous les régimes (comme disait un murisseur de bananes de mes relations) faut s’entourer d’une palissade de longs bras si on veut se garer des arnaqueries de l’existence.

On est en bute à tellement de bras courts grouilleurs, qui s’agitent, qui tentaculent grâce au nombre, qui ventousent perfidement et vous encoconnent à la doucereuse.

Le Vioque, ses avancements, ses honneurs, son accession à la vie Tout-Parisienne, c’est pas en fréquentant des clodos qu’il les a accédés[3]. Son carnet d’adresses, c’est un digest du Bottin mon Daim. Il préfère le gratin de queues de langoustes au gratin de macaroni. Chacun ses goûts et ses dégoûts !

Il le sait bien qu’il y a gros à affurer avec cette histoire, question rubans et cartes d’adhérent. Ce qu’il guigne, le Vitrifié de la calbasse. C’est son admission au Jockey Club, je vous parie. P’t’être même la Cadémie Françouaise.

Il a déjà un bon point pour lui au départ : il écrit pas. Il se voit bicorné de frais, prononçant l’éloge de Monseigneur La Bagouze qui a tant fait, tant fait, le cher prélat, pour l’emploi de la pilule dans les couvents. Tout de même, ainsi qu’il vient de le souligner, ce que lui sollicite Gaumixte est d’une délicatesse extrême. De la requête en verre filé. On mobilise pas comme ça les troupes flicadières pour préserver le prestige d’une prestigieuse compagnie de navigation. Ou alors où est-ce qu’on irait ? Suffirait qu’il y ait un vol de bijoux chez la marquise de la Pomponnette, une fugue de rosière dans les aciéries, un enfant asocial dans les sucres pour que la Grande Cabane se déguise en agence Mystéria, célérité, digression

Il le dit, s’en explique, le déplore.

— Rendez-vous compte, mon bon Oscar, que présentement, la moitié de nos effectifs sont en vacances. Impossible de piocher dedans. Quant aux vacanciers, il est trop tard pour tenter de les récupérer…

Une lueur sauvage balaie les lunettes de notre compagnon. Comme tous les souverains, il n’admet pas qu’on lui résiste. Ses caprices sont des ordres, à Gaumixte. Celui qui ose lui dire non ouvre grande la porte des calamités, comme les martyrs chrétiens ouvraient celle des lions.

Enfin, bon Dieu, mon cher, tonne-t-il en glaviotant des guirlandes de tabac, vous n’allez pas m’abandonner dans ce merdier, quoi, merde ! Le prestige national est en cause. N’oubliez pas une chose, Vieux, n’oubliez pas que ce n’est pas le pavillon panamien qui flotte au mât du Mer d’Alors mais le drapeau français, vous m’entendez : fran-çais !

Le Vieux a un tic. Jehanne of Arc esgourdant la voix de son maître. Il laisse tomber sa quenouille. Ce pavillon tricolore claquant au vent du large lui essore la tripe. Lui mouille les orifices. Le rend suintant de partout. L’humecte sur toute sa superficie. Il a le derme qui fait l’oursin. L’œil va se perdre dans les méandres de la patrie.

— Evidemment, oui, bien sûr… murmure-t-il à voix moribonde.

Puis, soudain, me posant la main sur le genou :

— San-Antonio, mon petit : et si nous y allions ?

Bloinggg ! Servez chaud ! Ça m’atterrit sur la coloquinte comme un paquet de neige tombé du toit.

Je surprends un regard d’intelligence entre les deux compères. Je pige brutalement que tout ce cinoche n’avait pour but que d’entraîner mon acceptation à moi. Ces deux fumelards sont de connivence, et depuis un bon moment déjà. Poire je fus de ne pas m’en gaffer plus vite. La preuve ? Depuis le moment où l’on a appelé le Vioque à la terrasse et celui où l’on m’a convoqué, il ne s’est point écoulé un laps de temps suffisant pour permettre à l’affreux Gaumixte de déballer ses déboires au Dirlo.

Or, le Dabe a déclaré, une fois faites les présentations : « Répétez donc à San-Antonio ce que vous venez de me dire. » Mon œil, hé, baderne ! Tu la savais déjà, l’histoire du Mer d’Alors, comme tu savais que je participais à ce tournoi de tennis, hein, fripon ? Et si tu as insisté pour que je vinsse prendre un pot à ton hôtel, c’est parce que le rendez-vous était pris, le coup ourdi, le filochon à connard bien tendu.

Il lit dans mes yeux que je ne suis pas dupe et pâlit un chouïa.

— Mille excuses, monsieur le directeur, mais je suis actuellement en vacances avec ma mère et la chère femme a attendu trop longtemps cette joie pour que je l’en prive.

Gaumixte me brandit un étui à cigares sous le pif. Un bel étui de croco à quatre compartiments. Deux Roméo et Juliette s’y trouvent encore.

— Et alors, cher monsieur, me fait-il, votre maman a un préjugé contre les croisières ? Elle connaît Istanbul ? Hein, répondez, quoi, merde ? Et Casa ? La Grèce ! Le Parthénon, quoi, merde, c’est autre chose que la baie de Cannes. Sans parler de Malaga ! Parfaitement, c’est la grande virée qu’entreprend le Mer d’Alors. De Casablanca au Bosphore, en passant par l’Espagne, Ies Canaries, la Grèce éternelle, Chypre, les îles des Dieux, quoi, merde ! Puisque je me fous une laryngite à vous dire que j’invite toute la famille. Vous avez pas un oncle infirme, un petit neveu désargenté, un frère mongolien, une voisine dans la gêne ? J’invite, j’invite tout le monde, et en first comme disent les copains d’Air France. Le caviar sur l’évier, quoi, merde ! Le homard thermidor au petit déjeuner. Et le coucher du soleil sur le Bosphore ? Elle connaît ça, votre mère ? J’sais pas si je me fais bien comprendre. Prenez un cigare, quoi, merde !

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Note pour mes lecteurs lycéens : Surtout, n’utilisez jamais le verbe accéder comme je le fais ici, sinon on vous abreuverait de sarcasmes. On vous dirait que vous êtes les rois de l’ignardise et on vous demanderait si vous avez appris à lire dans San-Antonio. Vous avez beau les mettre au pli, y reste encore pas mal de truffes dans le Coran saignant.