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Raymond s’évanouit.

Je ne perds pas de temps à le ranimer. Et pourtant, très honnêtement, je crois à son innocence.

Elle m’est apparue brusquement ! M’est devenue évidente. D’abord, n’a-t-il pas dit à son supposé complice, alors qu’il se croyait seul avec lui : « Après tout, on n’a rien fait de mal ». Et maintenant son évanouissement à l’annonce des deux meurtres… Si spontané ! Ça ne s’invente pas.

Des machins bouillonnent dans ma tête. Ma cervelle pétille pire que jamais. Elle crépite comme un incendie. Elle doit fumer. Je chauffe des méninges, les gars ! Faut pas laisser refroidir. Faut se décarcasser le panier.

Ah ! la carne de bateau ! Ah ! comme ses fameux tonneaux sont redevenus noisettes ! Des fœtus sur un fétu, voilà ce que nous sommes ! Une poignée de connards jetés aux flots vengeurs.

Me faut un vache bout de temps pour atteindre le sauna. Je parcours quatre fois la distance, à force de louvoiements et de reculades. Enfin m’y voici. Au bar de la piscine, j’ai remarqué, il y a un porte-voix pour appeler les baigneurs ! Je l’empare et, toujours ballotté, me place à l’orée de la porte du massage.

Ce que je vais tenter est probablement idiot. Mais j’aime l’idiotie (vous en savez quelque chose, mes pôvres). Je pense à ces repas réclamés par Hanne, aux dires de Camille. Je pense à bien d’autres détails encore. Tante est si bien que j’entonne le porte-voix. Mon timbre éclate, caverneux, puissant, pathétique, grave, précis.

« Allô ! Allô ! débite votre San-A. Avis à tous les passagers ! Malgré la tempête et ses conséquences, nous leur demandons de conserver le plus grand calme. Une importante voie d’eau vient de se déclarer à la suite de la rupture du scrapotage de jonction. Il est probable que la mise en action des pompes sera insuffisante, aussi devons-nous prévoir l’évacuation du navire. Que chacun se munisse de la ceinture de sauvetage située dans sa cabine à l’endroit indiqué par les panneaux fixés derrière la porte. Les passagers devront se diriger ensuite vers les embarcations qui leur sont affectées. Surtout pas de panique ! Nos appels de détresse ont été entendus et des secours s’organisent ! »

Dites, c’est pas du texte, ça, mes agneaux ? C’est pas de la littérature documentaire ? On se croirait pas à bord du Titanic, admettez ?

M’reste plus qu’à attendre les effets. Heureusement, le Mer d’Alors embarde tant et plus. Y a pas besoin de se stimuler l’imagination pour se la figurer, la voie d’eau ! Mon appel à la gomme aurait été entendu de tous les passagers, vous verriez cette partie de sauve-qui-peut ! Le commandant et les hommes d’abord ! Les femmes et les mouflets after, s’il reste de la gâche dans les canots et si ça ne fait pas surcharge. Dans les paniques collectives, quoi qu’on vous chante, les héros ne sont pas nombreux ! Drôlement fatigués, dirait Christine ! La flotte continue de vaser hors de la piscine. Il en bondit de pleins seaux qui se répandent un peu partout, selon l’humeur des roulades et des tangages. Il en dégouline chez les masseurs comme ailleurs. Ça fait des plouf, des floc, des tchbitzz. J’sais pas ce qui la pique, la Méditerranée, aujourd’hui, mais elle se dessale drôlement, la gueuse ! Epileptique en plein, elle est devenue, la Grande Bleue ! Mauvaise ! Teigneuse ! Rageuse ! Une furie, quoi, faut bien tomber dans les qualificatifs éprouvés. Je suis alerté par un grincement continu. Je tends l’oreille, comme une épuisette pour capter l’origine de ce bruit. Croyez-moi ou allez vous faire démanteler le fondement, c’est un vieil Anglais qui fait du cheval décontractant dans la salle de gym’voisine. Bien droit sur son tronçon de bourrin de bois, il caracole dans les typhons, le rosbif ! Comme si c’était le moment d’aller à la selle ! Y a un changement de vitesses au gaye mécanique. Il est sur galop, le gracieux sujet de l’empire britannique. A dada ! A dada ! Badaboum, badaboum, badaboum ! La fantasia berbère ! Yohoo ! Le rodéo Texan ! La tempête, il s’en est seulement pas aperçu, mister Branlbitt ! Ancien major de l’alarmé des Indes, je suppose, il grimpe son palefroi comme s’il faisait une démonstration pour les recrues de fatigues, à l’école militaire d’Horsequikette ! Dagada, dagada, dagada ! Il se croit en rase campagne, chez l’éboueur, pardon chez les Bœrs. Il galope sus aux Zoulous ! Il vole à la rescousse de Napoléon IV ! Veut intercepter Grouchy ! Participer à la victoire d’Azincourt ! C’est toute l’Angleterre qui galope au cœur de ce naufrage ! Badaboum, badaboum, badaboum ! Comme ça, imperturbable ! Inconscient ! A contre-vie, toujours. Faut le voir déferler, le major ! Son maigre dargiflard se soulève en cadence. Par moments, sa monture est presque à l’horizontale, mais il garde son assiette quand même ! Emérite, j’ose le dire, ce cavalier ! J’aimerais le voir opérer sur un dada en bidoche, un athentique, un pur-blood à pédigree ! Ce sera pour une autre fois, mes amies, car mon attention est détournée par un certain mouvement en direction du sauna.

La porte d’icelui s’écarte et la frime de musaraigne mal peinte de Mme du Gazon-sur-le-Bide paraît.

32

Un autre qui, tout comme l’Anglais, se fout des éléments parce qu’il est plus déchaîné qu’eux. Un autre qui sème la tempête pour récolter le vents, c’est Béru.

Drôle de récital qu’il donne au salon de musique, le PDG. Commandant-Tortionnaire. Ah dites donc, Wagner, à côté, vous parlez d’un zéphyr ! D’un soupir ! D’un silence coagulé ! Il casse et concasse, mon Capitaine Fracasse ! Il malaxe ! Il tabasse ! Il passageatabasse !

Archimède est disloqué sur un canapé. Maintenant, c’est le ministre qui dérouille. Lui qui se faisait opérer du martinet, il en pâme de contentement de dérouiller des gnons bien vigoureux. Dans les bras d’un marteau-pilon, il est. Il a les yeux brouillés, les lèvres simultanément enflées et fendues, les pommettes couleur de truffe, les ratiches ébréchées. Il continue de glousser ! De dire merci ! D’en demander encore ! Il supplie qu’on n’arrête pas le massacre. Il raffole du marron. Les grandes taponnées le rendent dingue. Jusqu’alors, ses aspirations de père fouettard étaient contrariées par sa fonction. Personne voulait l’esquinter, Cézigue. Fallait lui préserver le physique, qu’il puisse encore serrer des mains et des mains, répondre sans zozoter devant les caméras de tes laides visions. Fallait qu’il puisse sourire au Président, rester sur ses talons dans les manies-festations (ce qu’est pas commode et nécessite un bon entraînement). En considération de quoi, on lui appliquait les demi-mesures, les branlées chétives, les roustes qui n’endolorent pas ! De la petite bibine de fouetté, quoi ! Du chat à neuf queues pour lymphatique. Elle s’était jamais assouvie en bloc, l’Excellence ! Au grand jamais !

Elle restait sur la faim. Ignorait la belle ivresse du roué vif ! On lui épargnait les profondes zébrures. Le sang qu’impur abreuvant les sillons. On ménageait sa ganache pour ne pas lui appliquer de cernes inquiétants, pas la marquer de taches suspectes, pas lui dessertir les croqueuses, lui dégrafer les étiquettes, pas lui dévier le pif ou lui bosseler la cafetière.

Elle aurait jamais osé espérer une dérouillade de cette ampleur, l’Excellence. Une pour de bon, par un vrai spécialiste, un orfèvre, un haut technicien de la chose ! Béru, c’est le dinandier de la castagne. Il cogne pas seulement : il façonne ! Il remodèle ! Un Claoué à l’envers ! Il te prend un play-boy et en fait Frankenstein. Il connaît les points sensibles pire qu’un bourreau chinois de l’époque Ming. Les endroits où ça tuméfie plus vite qu’ailleurs, où le raisin gicle plus fort, où les nerfs se mettent en torche. Il a des notions anatomiques vachement poussées, le Gros. Une science du corps qui ferait passer Ambroise Paré pour une crêpe. N’importe quel individu se transforme sous les poings du Mastar. La viande humaine devient argile avec lui. Alors vous parlez qu’il est à la fiesta, le ministre ! Il délecte dans les outrances ! Il s’extasie à haute voix ! Il trépide des basses membranes ! Béru prend son hystérie pour de la bravade, du vilain défi, et ça le survolte, l’enrogne plus encore ! Il bigorne tant qu’il peut en gesticulant des interrogations à brûle-pourpointes.