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Geary fixa le lointain. Il luttait contre le désir impulsif de rejeter ces dernières paroles. « Vous avez raison. Je suis incapable de me placer dans le même état mental et émotionnel que vos contemporains. Je me vois mal souhaiter la perpétuation d’une guerre parce qu’il me semblerait que c’est ainsi que le monde devrait tourner. Mais j’ai bien remarqué la perturbation que semait la paix, les gens qui comme Duellos se sentaient à la dérive, et Duellos peut s’estimer heureux, parce que son train de vie n’a pas été réduit et que lui-même ne s’est pas retrouvé largué dans un système stellaire à l’économie vacillante à cause du coût de la guerre, ni soumis aux brusques coupes franches des dépenses de l’Alliance à mesure qu’on sabrait dans celles de la Défense. Mais j’ai aussi du mal à m’imaginer qu’on puisse chercher à provoquer une guerre dans le cadre d’un plan cynique…

— Non, le coupa encore Desjani en secouant la tête, avec lassitude cette fois. Vous n’y êtes toujours pas. Ce n’est pas du cynisme. Ils se sont persuadés qu’ils font ce qu’il faut. Vous et moi avons rencontré à Midway ces anciens dirigeants syndics… Des gens qui ont servi toute leur vie les despotes du Syndicat et un horrible régime dictatorial. Seuls quelques-uns m’ont paru foncièrement malfaisants, capables de tout pour acquérir richesse et pouvoir sans se soucier des souffrances et des morts qu’ils sèment dans leur sillage. La plupart m’ont fait l’effet de gens normaux qui servaient les Syndics à l’aide de force rationalisations. Je ne connais pas toutes les raisons qui les motivaient, mais je les soupçonne d’avoir cru qu’ils faisaient au mieux. Vous avez connu le capitaine Falco. Comment se voyait-il lui-même, d’après vous ?

— Je le sais bien. Comme le sauveur de l’Alliance. Comme quelqu’un qui savait mieux que personne ce qu’il fallait faire et qui le ferait. Il se trompait sur tout, mais il était sincère. C’est à des gens de cette espèce que nous avons affaire, selon vous ?

— Vous l’avez déjà dit. À Atalia. Ils croyaient que les vaisseaux obscurs étaient la solution idéale à tous leurs problèmes. Et maintenant la solution idéale est entrée dans le poulailler. »

Le regard de l’amiral se reporta sur l’écran. Il ne saurait pas avant plusieurs heures si les deux destroyers avaient suivi ses ordres. Ou s’ils avaient campé sur leurs positions, bien décidés à faire ce qu’ils croyaient être leur devoir.

D’ordinaire, l’attente était le pire moment. Le pire, pour l’heure, c’était de savoir déjà ce qui allait se produire.

Deux

« Que se passe-t-il, amiral Geary ? »

Timbal donnait l’impression d’hésiter entre fureur et confusion. Son expression, comme son élocution, reflétait les mêmes émotions mitigées. « J’ai reçu de votre part un message fragmentaire qui a ensuite disparu du système de com. Mes techniciens des trans ont cherché à le retrouver et ils ont découvert que plusieurs messages diffusés sous mon nom contredisaient un des vôtres, encore que je ne dispose d’aucun enregistrement de son contenu. J’ignore pour quelle raison vous cherchez à gagner le portail de l’hypernet à cette vélocité, et pourquoi les communications entre la plupart des vaisseaux du système et moi-même sont aussi perturbées que si un corps tout entier de meegees syndics étaient à l’œuvre ici. J’aimerais que vous détachiez un de vos destroyers pour m’apporter matériellement les derniers messages que vous m’avez envoyés, afin de m’assurer de leur possession et de connaître leur teneur. Timbal, terminé.

— Il n’a même pas appréhendé la menace, lâcha Geary, pris d’effroi. Il croit encore qu’il pourrait s’agir des Syndics. » Le mot « meegee » était un terme archaïque, dérivé d’un vieil acronyme désignant certaines techniques de la guerre électronique telles qu’intrusion, brouillage et interférences. Le matériel employé à cet effet avait considérablement changé depuis l’introduction du terme, mais les concepts de base relatifs au sabotage et à la perturbation des communications ennemies restaient applicables.

« Comment pourrait-il l’appréhender si le logiciel efface tout ce qui lui mettrait la puce à l’oreille ? demanda Desjani.

— Des meegees syndics opéreraient-ils vraiment ici ? Ou bien serait-ce la besogne des nôtres ? »

Tanya éclata de rire. « Les frontières sont brouillées depuis si longtemps que nul ne saurait le dire. Nos gens conçoivent un code offensif, les leurs le décryptent et s’amusent un peu avec puis nous le renvoient. Là-dessus, nous retravaillons sur leur envoi et nous le leur retournons, et qui diable pourra dire ensuite d’où provient initialement la plus grande part ? Il y a plus de virus dans nos systèmes que dans notre organisme, et ceux de nos ordinateurs mutent bien plus vite.

— D’accord, concéda Geary. Mais Timbal a eu une très bonne idée. Je vais détacher le Marteau pour lui faire parvenir mes informations. »

Les yeux de Tanya étaient rivés sur l’écran. « Il n’arrivera pas à temps. »

Les vaisseaux obscurs n’étaient plus qu’à dix heures de transit du portail et leur vélocité se maintenait à 0,2 c. Deux heures-lumière de distance. Grosso modo deux milliards de kilomètres. Une sacrée trotte. Mais, en l’occurrence, une distance de très loin insuffisante. Depuis sa position dans le détachement de Geary, le destroyer Marteau mettrait près de sept heures à rejoindre l’amiral Timbal et le vaste complexe orbital de la station d’Ambaru, et il faudrait à un message adressé par Ambaru aux deux destroyers de faction au portail quatre heures pour les atteindre. Même si Timbal l’envoyait aussitôt, il arriverait une heure trop tard.

Morose, Geary ruminait sur la passerelle de l’Indomptable en regardant s’accomplir l’inéluctable : les vaisseaux obscurs se rapprochant de plus en plus des deux destroyers inconscients du portail. Le seul point positif, c’était le nombre de ses propres bâtiments à Varandal : cuirassés, croiseurs lourds et légers, destroyers, qui tous appelaient pour signaler qu’ils avaient téléchargé les correctifs logiciels, la plupart du temps en accompagnant leur accusé de réception de questions ébahies quant à la position actuelle des vaisseaux obscurs et ce qu’ils venaient faire à Varandal.

Mais, quand ceux-ci ne furent plus qu’à cinq heures de transit du portail, Geary fronça les sourcils : une idée venait subitement de lui venir. « Tanya. »

Elle était encore sur la passerelle, bien entendu, imperturbable en dépit des longues heures qu’elle y avait passées. « Oui, amiral ?

— Admettons que je commande ces vaisseaux obscurs…

— Autant que nous le sachions, les routines des IA qui les pilotent se basent sur vos propres tactiques, fit-elle remarquer.

— Exactement. » Geary désigna son écran. « Je sais qu’on me poursuit. Je sais que, si je m’enfuis en empruntant l’hyperespace, je vais révéler la position de ma base à l’ennemi, lui permettre de l’attaquer et de mettre ma flotte à genoux. Que fais-je ? »

Desjani se renfrogna à son tour. « Vous ? Vous n’empruntez sûrement pas le portail. Jamais de la vie.

— Non. » Geary se redressa et fixa son écran d’un œil noir. « Je me rends compte que je ne peux pas m’échapper sans trahir ma propre flotte et, dans la mesure où ça signifie mon anéantissement, je m’arrange pour faire le plus de dommages possibles avant la destruction de tous mes vaisseaux. »

Tanya le scruta un instant puis se focalisa de nouveau sur son propre écran. Ses mains volaient sur les touches à mesure qu’elle simulait diverses trajectoires et opérations. « Nos ancêtres nous préservent ! Ils vont s’en prendre à Ambaru, n’est-ce pas ?