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— C’est tout ?

— Il n’en a pas dit plus. On l’a emporté pour le mener ici.

Le chirurgien chargé de donner ses soins au blessé venait d’arriver. C’était un grand homme sec à l’air sévère aux mains fines et étonnamment longues. Sous le regard de Nicolas qui observait la scène, il se pencha sur Truche de La Chaux et dégagea ses habits afin d’examiner les blessures. L’homme se débattait en criant et en poussant des plaintes douloureuses. Après quelques instants, le chirurgien chercha dans son sac un produit révulsif et de la charpie. Agacé par les manifestations du blessé, il le maintint fermement allongé afin de procéder plus aisément.

— Monsieur, lui dit-il avec dédain, vous faites bien du bruit pour peu de chose. Vous criez comme si vous étiez bien malade et, au lieu de blessures, je ne vois que des égratignures.

Après s’être enquis de la qualité de Nicolas et des raisons pour lesquelles il se trouvait là, le chirurgien lui demanda d’être son témoin. Il estimait, disait-il, qu’il y avait artifice et il ne voulait pas en rester là, désireux d’aller au fond de cette affaire dans une si grave occurrence.

— Regardez, monsieur le commissaire, et considérez l’habit et la veste de ce blessé. Pour tout homme sensé, il n’y a pas eu agression.

Il s’était penché et secouait l’habit de Truche de La Chaux qui geignait sourdement.

— Vous pensez, monsieur, dit Nicolas, qu’il y a tentative de fraude ?

— Et je le prouve ! Il n’a pu que se blesser lui-même. Regardez, les trous de l’habit et de la veste ne coïncident nullement avec les écorchures superficielles que nous constatons !

Poussé dans ses retranchements, l’homme égaré ressemblait à un animal pris au piège, cherchant de tous côtés la passe par où il pourrait s’enfuir. Il finit par être saisi d’une crise nerveuse et se mit à pleurer comme un enfant. Nicolas s’approcha.

— Je crois qu’il serait préférable pour vous de nous dire la vérité.

Truche le regarda et le reconnut. Il lui saisit la main comme s’il avait découvert un sauveur.

— Monsieur, aidez-moi. Je vais vous dire l’entière vérité. Je ne voulais faire de mal à personne. Je me suis retiré entre neuf et dix heures du soir sur l’un des escaliers où j’ai cassé mon épée et mis bas mon habit et ma veste. Je les ai percés de coupures en maints endroits, puis je me suis porté à moi-même des coups de couteau sur plusieurs parties du corps.

Nicolas était surpris de la candeur de l’homme avouant aussi facilement un crime capital.

— Et personne ne vous a découvert ?

— J’avais éteint les lumières qui auraient pu dénoncer mes préparatifs.

L’homme semblait désormais calmé, comme ayant pris son parti d’être convaincu d’imposture.

— Et ensuite ?

— Ensuite, j’ai remis mon habit et ma veste, je me suis couché à terre et ai réclamé des secours d’un ton plaintif.

— Et la raison de tout cela ?

— Monsieur, il faut bien vivre. Je souhaitais obtenir une pension du roi à quelque prix que ce fût.

Nicolas laissa le garde du corps aux mains des magistrats. Il courut faire son rapport à M. de Saint-Florentin qui le chargea de suivre de bout en bout cette affaire. Fort tard, il retrouva M. de La Borde qui était demeuré auprès du roi. Celui-ci s’apprêtait à passer une nuit d’inquiétude. Le fait que l’un des agresseurs était supposé être habillé en ecclésiastique conduisait certains à franchir le pas et à affirmer qu’il s’agissait d’un jésuite et qu’il fallait incontinent chasser la Société du royaume. Nicolas informa son ami du dernier état de l’enquête. Les jésuites pouvaient encore dormir tranquilles : ils n’étaient nullement impliqués dans la tentative médiocre d’un petit imposteur sans envergure. En revanche, songeait Nicolas, la favorite risquait sans doute de passer par des transes éprouvantes au su d’une affaire si grave et qui compromettait, qu’elle le veuille ou non, un de ses serviteurs occultes.

Le lendemain, la capitale fut informée du forfait et fut saisie d’épouvante ou d’ironie. Mais l’enquête se poursuivant et apportant des éléments nouveaux, chacun fut bientôt convaincu que le garde du corps était bien un fourbe réfléchi. Les interrogatoires serrés auxquels il fut soumis montrèrent qu’il avait conçu son plan coupable dès le mois d’octobre précédent. On apprit ainsi qu’il avait fait affûter un grattoir par un coutelier de Versailles, arme avec laquelle il avait tranché ses habits et s’était superficiellement coupé. Ceux qui étaient mieux informés colportèrent que ce malandrin sans caractère touchait au cercle le plus étroit de Madame Adélaïde, qui marquait toujours son faible pour les protestants convertis sans réflexion ni précaution. À aucun moment, Nicolas n’entendit évoquer la possibilité d’une collusion entre Truche de La Chaux et Mme de Pompadour. Tout cet aspect de l’affaire paraissait environné du secret le plus opaque.

Le 10 janvier, Truche de La Chaux fut emprisonné à la Bastille, puis transféré de la prison d’État au grand Châtelet pour son procès. De fait, la procédure aurait dû se dérouler devant le grand prévôt à Versailles, où s’étaient produits les faits, mais le transport à la Bastille l’avait tiré de la juridiction ordinaire. Il n’y eut ni témoin ni confrontation. On évoqua les précédents : en 1629, un soldat avait été rompu pour des faits identiques ; sous Henri III, un autre coupable avait été décapité. Truche ne fit pas usage de ses lettres de noblesse qui lui auraient permis d’être jugé par un autre tribunal. Le Parlement, par son arrêt du 1er février 1762, le condamna « à être mis dans un tombereau en chemise, la corde au cou, torche à la main, avec un écriteau devant et derrière portant l’inscription " fabricateur d’impostures contre la sûreté du roi et la fidélité de la Nation ", à être conduit dans cet état dans différents quartiers de Paris, à faire amende honorable devant Notre-Dame, au Louvre et à la Grève et, après avoir subi la question préalable, à être rompu vif ».

Le lendemain de cette condamnation, Nicolas reçut par un messager une instruction orale de M. de Saint-Florentin d’avoir à visiter Truche de La Chaux, qui se trouvait à la Conciergerie dans l’attente de son exécution. Il fut un peu étonné de la manière dont cette injonction sans explication lui parvenait. Il regagna Paris. Sa tâche à Versailles était d’ailleurs achevée, et il devait maintenant se mettre au travail pour rédiger son mémoire sur la sûreté du roi au château. Cette étude prenait d’autant plus d’importance après les derniers événements, qui avaient démontré de fâcheuses lacunes dans ce domaine.

À la Conciergerie, il se fit reconnaître, mais tout se déroula comme s’il eût été annoncé et qu’on attendît sa visite. Il parcourut avec le geôlier, dans le tintement du trousseau des grosses clefs, les galeries sombres de l’écrou. Ils s’arrêtèrent devant une lourde porte de bois renforcée de fer et munie d’un guichet. Plusieurs serrures furent actionnées et on le fit entrer dans le cachot du prisonnier.