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L’expérience permit de calculer que l’épaisseur du champ de protection variait : approximativement à deux mètres au-dessus des zones intérieures, il se situait beaucoup plus bas vers la bordure externe. On pouvait le comparer à une immense tasse invisible renversée sur la cité. Mais il fallait se rendre à l’évidence ! il n’y avait pas de trous, le champ était continu.

— Peut-être peut-il être saturé ? dit Hosteen.

On rechargea le robot de billes qu’il alla catapulter simultanément sur tous les petits carrés à la fois. Le champ les détruisit toutes, créant un court instant une rotonde de feu qui illumina la cité.

Aux dépens de quelques robots excavateurs, ils découvrirent qu’il était également impossible d’atteindre la cité par un tunnel. Partant de la plaine, les taupes mécaniques creusèrent leur chemin à travers la terre sablonneuse jusqu’à une profondeur de cinquante mètres puis, quand elles furent sous la cité, elles entreprirent de remonter. En arrivant à vingt mètres de l’affleurement du sol, elles furent détruites aussi irrémédiablement que les engins volants. Le champ protecteur agissait souterrainement. Une tentative de percement juste à la base des remblais extérieurs se révéla tout aussi infructueuse. Le champ protecteur semblait constituer une sphère entourant complètement la cité.

Un technicien proposa de dresser un pylône interférentiel qui pourrait drainer l’énergie du bouclier. Ce fut un échec. Le pylône, d’une centaine de mètres de haut, condensa une puissance fantastique ; des éclairs bleutés crépitaient et auréolaient les accumulateurs, mais sans que cela n’affecte l’imperméabilité du champ. Ils inversèrent le circuit et envoyèrent une décharge d’un million de kilowatts vers la cité. Le champ absorba le courant et il semblait capable de supporter beaucoup plus. Personne ne pouvait avancer la moindre théorie expliquant la source de la puissance qui nourrissait le champ. Le technicien qui avait proposé la solution électrique proféra sérieusement : « Il doit capter l’énergie intrinsèque de rotation de cette planète », puis, réalisant à quel point sa remarque était inutile pour leur mission, il se détourna et aboya quelques ordres dans son haut-parleur.

Trois journées passées en expériences similaires leur démontrèrent définitivement qu’aucun passage ne pouvait être ménagé, par le haut ou par le bas.

— Il n’y a qu’un seul moyen, dit Hosteen, il faut entrer à pied, par l’ouverture principale.

— Si les habitants de cette cité avaient désiré se protéger à ce point, demanda Rawlins, pourquoi ont-ils laissé une porte ouverte ?

— Peut-être se réservaient-ils le droit, pour eux-mêmes, d’entrer et de sortir librement, répondit Boardman, doucement. Ou peut-être ont-ils voulu accorder une chance aux envahisseurs éventuels. Pour le sport, pourrait-on dire. Bon, Hosteen, envoyons-nous quelques engins à l’intérieur ?

* * *

C’était un matin gris. Le ciel, souillé de nuages rappelant la fumée d’un feu de bois, semblait apporter la pluie. La bise écorchait le sol, projetant des grains de sable qui griffaient les visages. Derrière les nuages, comme si la couleur s’était dissoute dans le ciel, luisait faiblement un disque orange. Il paraissait légèrement plus grand que le soleil vu de la Terre, et pourtant la distance était plus de deux fois inférieure. Le soleil de Lemnos était un astre nain, lugubre, froid et triste, autour duquel gravitaient une douzaine de vieilles planètes. La plus proche, Lemnos, était la seule qui eût jamais abrité une forme de vie ; les autres étaient stériles et mortes, n’étant pas fertilisées par les pâles rayons de l’astre moribond. Cet ensemble constituait un système languissant, à mouvement lent, dans lequel la planète la plus rapprochée elle-même mettait trente mois pour effectuer sa révolution. Les trois lunes tournoyantes qui voltigeaient sur des orbites croisées à quelques milliers de kilomètres autour de Lemnos n’étaient, de toute apparence, pas contaminées par cette ambiance morbide.

À moins d’un kilomètre des premières murailles du labyrinthe se tenait Ned Rawlins, devant un récepteur d’images. Il sentit un frisson le parcourir tandis qu’il regardait les ingénieurs et les mécaniciens vérifier les engins-robots et leurs instruments pour la dernière fois. Même la planète Mars, aussi désolée qu’elle fût, ne l’avait pas déprimé à ce point ; parce qu’elle avait toujours été morte, alors qu’ici la vie avait existé et avait fui. Ce monde était la demeure de la mort. Une fois, à Thèbes, il avait pénétré dans le tombeau d’un pharaon, vieux de cinq mille ans. Pendant que ses compagnons de voyage contemplaient les fresques murales gaiement colorées représentant la navigation sur le Nil ou d’autres scènes de la vie quotidienne, lui n’avait pu détacher ses yeux du sol de pierre sur lequel gisait un scarabée mort, les élytres raidis, au milieu d’un petit tas de poussière. Pour lui, l’Égypte évoquerait toujours ce scarabée à moitié enterré dans la poussière, et Lemnos se résumerait à des plaines balayées par des vents froids d’automne et une ville sur laquelle régnait le silence. Il se demanda comment un homme comme Dick Muller, aussi doué, aussi vivant, aussi énergique et chaleureux, avait échoué dans ce labyrinthe lugubre.

Puis il se rappela ce qui était arrivé à Muller sur Bêta Hydri IV et il admit que même un homme comme lui avait eu de bonnes raisons pour venir dans une cité pareille, sur cette planète fantomatique. Lemnos était le refuge idéal : un monde dont les conditions étaient plus ou moins identiques à celles de la Terre, inhabité, où il avait la quasi-certitude de ne pas être importuné et de trouver enfin la solitude. Et nous sommes venus troubler sa paix et le chasser de sa retraite, pensa-t-il sombrement. C’était ignoble, ignoble, ignoble ! Et tout ce gâchis au nom de la vieille rengaine à propos de la fin et des moyens. Au loin, il voyait la silhouette massive de Charles Boardman. Lui, il était devant un récepteur central. Il agitait ses bras pour faire signe à certains hommes de ne pas s’approcher trop près du labyrinthe. Ned commençait à comprendre que Boardman l’avait entraîné dans une aventure douteuse. Avant de partir, le vieux renard fourbe ne s’était pas expliqué sur les méthodes exactes qu’il emploierait pour obtenir la coopération de Muller. Boardman avait présenté la mission comme une croisade glorieuse. En réalité, ce serait une sale tricherie. Boardman n’aimait pas donner de détails tant qu’il n’y était pas obligé, ainsi que Ned l’avait appris. Règle numéro un : ne pas annoncer trop hâtivement la couleur. Garder des atouts dans sa manche. Et voilà ce que je suis, songea le jeune homme, une carte dans le jeu de Boardman.

Hosteen et Boardman avaient réparti une douzaine d’engins aux différentes entrées du labyrinthe. Il était clair que le seul accès offrant une réelle possibilité de réussite était la porte nord-est ; mais ils avaient une quantité de robots de rechange et ils désiraient collecter le plus d’informations possible. Le récepteur dont Rawlins avait la charge correspondait à une de ces entrées. Déjà, sur l’écran, il pouvait voir un bout du labyrinthe et il avait tout le temps d’étudier l’enfilade de méandres, de replis, de zigzags et de contorsions. Il devait suivre la progression de l’appareil dans son secteur. Il en était de même aux autres entrées. Chaque robot était contrôlé doublement par l’ordinateur et par un homme. Boardman et Hosteen, eux, se trouvaient à la régie centrale d’où ils pouvaient surveiller le déroulement de l’opération dans son ensemble.