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— Qu’allez-vous faire à présent ?

— Rentrer chez moi, je vous l’ai dit. Ici, je suis chez moi.

— Sur Lemnos ?

— Sur Lemnos.

— Dick, laissez-moi me rendre à votre bord. Accordez-moi dix minutes avec vous… en personne. S’il vous plaît, ne refusez pas.

— Je n’ai pas refusé, répondit Muller.

Bientôt, un petit engin se détacha de l’autre vaisseau, régla sa vitesse sur la sienne et s’approcha pour le rendez-vous. Muller attendit patiemment. Rawlins passa le sas et entra. Il ôta son casque. Ses traits étaient pâles et tirés. Il semblait avoir vieilli. Même ses yeux contenaient à présent une expression que Muller n’y avait jamais vue auparavant. Ils restèrent longtemps face à face, silencieux. Puis Rawlins s’avança et serra fortement le poignet de Muller.

— Je craignais de ne plus jamais vous revoir, Dick, commença-t-il. Je voulais vous dire…

Il s’arrêta brusquement.

— Oui ? demanda Muller.

— Je ne les sens pas, bredouilla Rawlins. Je ne les sens pas !

— Quoi ?

— Vos émanations. Vous ! Regardez, je suis devant vous, tout près. Je ne sens rien. Toute cette puanteur… la douleur… les désespoirs… Disparus ! Évanouis !

— C’est l’être extra-galactique qui a tout absorbé, répondit calmement Muller. Je ne suis pas surpris. Pendant un moment, mon âme m’a quitté. Et tout ne m’a pas été rendu.

— De quoi parlez-vous ?

— Je le sentais m’aspirer jusque dans mes plus profondes réserves. Je savais qu’il était en train de me changer. Pas délibérément. Ce n’était qu’une altération accidentelle. Je suis devenu un dérivé de l’ancien Richard Muller.

— Alors, vous le saviez ? demanda lentement le jeune homme. Avant même que je monte à bord ?

— Vous me le confirmez.

— Et vous voulez toujours retourner dans le labyrinthe ? Pourquoi ?

— Parce que c’est ma maison.

— C’est la Terre votre maison, Dick. Maintenant il n’y a plus aucune raison qui s’oppose à votre retour. Vous êtes guéri !

— Oui, dit Muller. C’est une fin heureuse pour une bien triste histoire. Je conviens à nouveau à l’humanité. Ce doit être ma récompense pour avoir noblement risqué ma vie une seconde fois. Quelle justice merveilleuse ! Mais vous êtes-vous demandé si l’humanité me convient ?

— Ne retournez pas là-bas, Dick. C’est vous, aujourd’hui, qui dites une absurdité. Charles m’envoie vous chercher. Il est tellement fier de vous. Nous tous d’ailleurs. Ce serait une grave erreur de vous enfermer maintenant dans le labyrinthe.

— Retournez à votre bord, Ned, dit Muller.

— Si vous allez dans le labyrinthe, j’y vais avec vous.

— Je vous tuerai si vous faites cela. Je veux être seul, Ned, ne comprenez-vous pas ? J’ai fait mon boulot. Mon dernier. À présent je me retire, débarrassé de mes cauchemars. (Muller se força à sourire :) Ne me suivez pas, Ned. Je vous avais fait confiance et vous m’avez presque trahi, vous aussi. Tout le reste ne compte pas. Quittez mon bord maintenant. Je crois que nous nous sommes dit tout ce que nous avions à nous dire. Adieu, Ned.

— Dick…

— Adieu, Ned. Saluez Charles pour moi… et les autres.

— Ne faites pas cela !

— Là, en dessous, il y a quelque chose que je ne veux pas oublier, reprit Muller. Je ne peux pas l’oublier. J’ai appris la vérité sur les hommes. Je ne veux plus vous voir… aucun de vous ! Laissez-moi tous tranquille ! Maintenant partez !

Ned se revêtit en silence. Il se dirigea vers le sas. Au moment où il allait le franchir, Muller l’appela :

— Dites adieu aux hommes pour moi, Ned. Je suis heureux que ce soit vous que j’aie vu le dernier. Grâce à vous, ce fut un peu plus facile.

Rawlins sortit et disparut.

Un peu plus tard, Muller programma son vaisseau pour qu’il rejoigne automatiquement la station de contrôle la plus proche. Il gagna sa capsule d’atterrissage et se prépara à descendre sur Lemnos. Ce fut un voyage facile et sans histoires. Il se posa parfaitement à deux kilomètres de l’entrée principale. Le soleil était haut et brillant. Muller marcha rapidement vers le labyrinthe.

Il avait fait ce qu’ils lui avaient demandé.

Maintenant, il rentrait chez lui.

* * *

— C’est bien de lui, dit Boardman, mais il en sortira.

— Je ne le crois pas, répondit Rawlins. Il semblait le penser sincèrement.

— Vous étiez tout près de lui et vous n’avez rien ressenti ?

— Rien. Il n’émet plus rien.

— Le sait-il ?

— Oui.

— Alors il reviendra, affirma Boardman. Nous le surveillerons et quand il demandera à quitter Lemnos nous irons le chercher. Tôt ou tard, il aura besoin des autres. Il est passé par tant d’épreuves qu’il lui faut tout repenser pour bien réaliser ce qui lui est arrivé. Et il estime que le labyrinthe est l’endroit idéal pour une telle réflexion. Il n’est pas encore en état de se replonger dans une vie normale. Je lui donne deux ou trois ans, quatre au maximum mais il reviendra. Les deux altérations qu’il a subies se sont finalement annulées et il pourra bientôt rejoindre la civilisation.

— Je ne crois pas, dit Rawlins tranquillement. Je ne crois pas qu’elles se soient vraiment annulées, Charles. Elles l’ont changé d’une manière plus subtile. Je pense qu’il n’est plus du tout humain… plus du tout…

Boardman éclata de rire :

— Vous voulez parier ? Je prends à cinq contre un que Muller sortira volontairement de son labyrinthe avant cinq ans.

— Eh bien… euh…

— Donc vous acceptez. Pari tenu.

Rawlins quitta le bureau de Boardman. Il faisait nuit à présent. Il emprunta le pont situé en face de l’immeuble. Dans une heure, il serait en train de dîner avec quelqu’un de chaud et de doux et de tendre. Elle considérait comme un grand honneur d’être la maîtresse du célèbre Ned Rawlins. Elle écoutait bien, le cajolant pour qu’il lui raconte l’histoire de ces hommes capables d’affronter de tels risques ou qu’il lui parle de ses rêves et de tous les combats qui restaient à mener. Elle était aussi une délicieuse compagne de lit.

Il s’arrêta sur le pont et leva la tête pour regarder les étoiles.

Un milliard de petits points lumineux scintillaient dans le ciel. Là-bas était Lemnos, là Bêta Hydri IV, là les mondes occupés par les extra-galactiques et toutes les planètes colonisées par les hommes, et encore, réelles bien qu’invisibles, d’autres galaxies peut-être elles aussi habitées par des créatures intelligentes. Là-bas au milieu d’une vaste plaine s’étendait le labyrinthe, là une forêt d’arbres spongieux de plusieurs centaines de mètres de haut, là des milliers de planètes émaillées de jeunes cités humaines et, quelque part, un caisson étrange gravitant autour d’un monde conquis. Dans le caisson reposait quelque chose d’intolérablement étrange. Sur les milliers de planètes vivaient des hommes apeurés craignant le futur. Sous les arbres spongieux se déplaçaient de gracieuses et silencieuses créatures dotées de plusieurs bras. Dans le labyrinthe était enfermé… un… homme.

Peut-être, d’ici à un an ou deux, irai-je lui rendre visite, songea Rawlins.

Il était encore trop tôt pour prévoir la tournure des événements. Personne ne savait encore comment les extra-galactiques avaient réagi, s’ils réagissaient, à ce qu’ils avaient appris de Richard Muller. Le rôle que joueraient les Hydriens, les efforts des hommes pour se défendre, le retour possible ou non de Muller de son labyrinthe, tout cela restait autant de mystères évolutifs et variables. De penser qu’il vivait toutes ces probabilités excitait le jeune homme et l’angoissait aussi un peu.