Un peu plus tard, le capitaine Hosteen, qui devait diriger la première tentative de pénétration dans le labyrinthe, vint le saluer. Hosteen avait le teint basané. Il était petit et très trapu. Son nez aplati et sa manière de porter son uniforme comme s’il allait lui tomber sur les talons lui donnaient une allure un peu comique mais Boardman savait qu’il pouvait compter sur lui. Hosteen serait prêt à sacrifier un bon nombre de vies, y compris la sienne, pour réussir sa mission.
Son regard se posa quelques instants sur l’écran de vision puis il se tourna vers Boardman :
— Vous avez appris quelque chose ?
— Rien de nouveau.
— On retourne au campement ?
— Oui, ce sera aussi bien, dit Boardman. (Il se tourna vers Rawlins :) À moins que vous n’ayez encore quelque chose à vérifier, Ned ?
— Moi ? Oh ! non… non… C’est-à-dire que… euh, je me demande si, après tout, il est absolument nécessaire que nous pénétrions dans le labyrinthe. Vous comprenez ? Si nous pouvions attirer Muller dehors, d’une façon ou d’une autre, et lui parler…
— Non !
— Cela ne marcherait pas ?
— Non, répéta Boardman. D’abord, Muller n’acceptera jamais de sortir de son antre si nous le lui demandons. C’est un misanthrope. Vous ne devez pas l’oublier. Il est venu s’enterrer ici afin de fuir l’humanité. Pourquoi voulez-vous qu’il se montre coopératif avec nous ? Deuxièmement, pour l’attirer en dehors du labyrinthe, nous serons obligés de lui dire en partie ce pour quoi nous sommes venus le chercher. Non. Dans cette affaire, Ned, il nous faut employer une stratégie mûrement réfléchie et non jouer tous nos atouts d’un seul coup.
— Je ne comprends pas.
— Supposez que nous utilisions votre méthode d’approche, reprit patiemment Boardman. Que diriez-vous à Muller pour le pousser à sortir ?
— Eh bien… que nous sommes venus de la Terre pour lui demander son aide, car notre planète traverse une crise qui peut détruire tout notre système. Que nous avons rencontré une race d’extra-terrestres avec lesquels nous sommes incapables de communiquer et qu’il est absolument nécessaire que nous puissions franchir ce barrage au plus vite. Et il est le seul homme qui puisse réussir… notre seule chance… et nous…
Le rouge aux joues, il se tut subitement comme frappé par la vanité de ses propres paroles. Il reprit d’une voix rauque :
— Cela ne fera pas bouger Muller d’un pouce, n’est-ce pas ?
— Non, Ned. Une fois déjà, la Terre lui avait confié une mission identique et c’est cela qui l’a démoli. Il n’est certainement pas disposé à recommencer.
— Alors, comment ferons-nous pour le convaincre de nous aider ?
— En jouant sur son sens de l’honneur. Mais pour l’instant ce n’est pas notre problème. Notre problème actuel consiste à savoir comment nous pourrons le faire sortir de son sanctuaire. Vous suggériez de mettre en place des haut-parleurs et de lui dire ce que nous voulons de lui. Puis nous l’attendons gentiment et, quand il sort, nous le prions de faire de son mieux pour sauver notre bonne vieille planète. C’est bien cela ?
— Oui. À peu près.
— Vous savez déjà que cela ne marchera pas. Donc il nous faut pénétrer nous-mêmes dans le labyrinthe, gagner la confiance de Muller, et finalement nous essayerons de le persuader de nous venir en aide. Pour cela nous devons à tout prix lui taire la situation réelle jusqu’à ce que ses soupçons se soient évanouis.
Un éclair d’admiration illumina le visage de Rawlins :
— Alors, que lui dirons-nous, Charles ?
— Pas nous. Vous !
— Que lui dirai-je, alors ?
Boardman soupira lourdement :
— Des mensonges, Ned. Beaucoup de mensonges.
Comme il se doit, l’astronef contenait l’équipement et les informations nécessaires pour tenter de résoudre l’énigme du labyrinthe. L’ordinateur de bord était bien sûr de la dernière génération et avait digéré les données de toutes les précédentes tentatives venues de la Terre, sauf de celle, la seule malheureusement, qui avait réussi. Quoi qu’il en soit, il ne fallait négliger aucun indice. L’équipement comprenait entre autres des robots téléguidés volants et rampants, pourvus d’appareils de vision et de détection à distance. Avant de risquer une seule vie humaine, Boardman et Hosteen essaieraient toutes les possibilités des engins électroniques et mécaniques, dont un des avantages était qu’ils pouvaient être réparés ou fabriqués sur place, les soutes du vaisseau contenant tout un arsenal de pièces de rechange. Mais, à un certain moment, ils devraient céder la place aux hommes : le rôle des appareils était de ramasser le plus d’informations possible. Après, ce serait aux hommes de les utiliser.
C’était la première fois qu’autant de moyens étaient mis en œuvre pour forcer le labyrinthe. Les premiers explorateurs étaient entrés à pied sans prendre de précautions et avaient péri. Les suivants en savaient assez pour éviter les pièges les plus évidents et avaient utilisé, dans une certaine mesure, quelques instruments de détection, mais c’était la première fois que l’on essayait de repérer vraiment les lieux en détail avant d’y pénétrer. Même si cette technique n’annulait pas tous les risques, elle n’en constituait pas moins la meilleure et la plus sûre manière d’aborder le problème.
Les vols de reconnaissance du premier jour avaient permis à tous les membres de l’expédition de bien visualiser le labyrinthe. S’ils l’avaient voulu, ils auraient pu, confortablement installés dans leur campement, suivre sur de grands écrans les mêmes images transmises par des caméras montées sur des robots volants. C’était Boardman qui avait insisté. L’esprit enregistrait mieux quand l’œil regardait directement la réalité plutôt que l’image retransmise de cette réalité. À présent, tous avaient vu le labyrinthe de haut et ils avaient pu constater la puissance destructrice du champ protecteur qui recouvrait la cité.
Rawlins avait suggéré qu’il existait peut-être des trous dans ce champ protecteur. Ils vérifièrent cette hypothèse, l’après-midi même, en chargeant un robot de billes métalliques. Volant à une hauteur constante de cinquante mètres au-dessus du bâtiment le plus élevé du labyrinthe, l’engin couvrit toute la surface de la cité découpée en petits secteurs d’un mètre carré, en projetant une bille dans chaque portion. Devant les écrans les hommes suivaient la descente des projectiles. Aucune bille ne perça le barrage.