Zyeux-roses éveillé, elle n’osait regagner son lit. Faute d’autre cachette, elle se décida pour le bois sacré. Le parfum tonique des vigiers, des pins lui plaisait, ainsi que le contact de l’herbe et de l’humus entre ses orteils et la chanson du vent dans les frondaisons. Un petit ruisseau prélassait ses méandres parmi les arbres, et il avait, à un endroit, creusé la terre sous une cascade.
C’est là qu’elle avait dissimulé, sous du bois pourri et des entrelacs de branches brisées, sa nouvelle épée.
Ce butor de Gendry regimbant à lui en faire une, elle l’avait bricolée elle-même en épluchant les barbes d’un balai. Ce qui donnait une arme beaucoup trop légère et de prise pour le moins scabreuse, mais elle en aimait la pointe hérissée d’échardes. Dès qu’elle avait une heure de loisir, elle filait en douce travailler les bottes que Syrio lui avait apprises et, pieds nus sur les feuilles mortes, se démenait à tailler les branches, rosser les fourrés. Parfois même, elle grimpait aux arbres et, tout en haut, les orteils agrippés à son mouvant perchoir, avançait, reculait, dansait, chancelait un peu moins de jour en jour et recouvrait son équilibre. La nuit surtout s’y montrait propice ; jamais personne ne la dérangeait, la nuit.
Elle grimpa. Aussitôt parvenue au royaume des feuilles, elle dégaina et les oublia tous momentanément, ser Amory comme les Pitres, tous, jusqu’aux gens de Père, s’abîma elle-même dans la sensation de l’écorce rêche à ses pieds et les pfffiiou de l’épée dans l’air. Un rameau brisé lui devint Joffrey. Qu’elle frappa jusqu’à ce qu’il dégringole. La reine et ser Ilyn et ser Meryn et le Limier ne furent que des feuilles, mais elle les tua de même, tous, n’en laissant qu’une charpie verte. Son bras finit par se lasser, jambes pendantes elle s’assit sur une haute branche afin de reprendre souffle et de se gorger de fraîcheur nocturne tout en écoutant piauler les roussettes en chasse. Au travers du feuillage se discernait, tel un squelette, la membrure blême de l’arbre-cœur. D’ici, il ressemble tout à fait au nôtre, à Winterfell. Que n’était-ce lui… Elle n’aurait eu qu’à redescendre pour se retrouver de plain-pied chez elle et, qui sait ?, découvrir Père assis à sa place ordinaire, en bas dessous, là, près du tronc.
Après avoir glissé l’épée dans sa ceinture, elle se faufila de branche en branche et rejoignit le sol. Si la clarté lunaire peignait d’argent laiteux l’écorce du barral tandis qu’Arya portait ses pas vers lui, la nuit bitumait les cinq lancéoles pourprées de ses feuilles. La face sculptée dans le tronc vous dévisageait. C’était une face effroyable, avec sa bouche tordue, ses yeux flamboyants de haine. Etait-ce là l’aspect d’un dieu ? Les dieux étaient-ils vulnérables, tout comme les gens ? Je devrais prier, se dit-elle brusquement.
Elle tomba sur ses genoux. Elle ne savait trop par où commencer. Elle joignit les mains. Aidez-moi, vous, les dieux anciens, demanda-t-elle en silence. Aidez-moi à tirer ces hommes de leur cachot pour tuer ser Amory, et ramenez-moi à la maison, à Winterfell. Faites de moi un danseur d’eau et un loup sans plus de peur, jamais.
Cela suffisait-il ? Ne fallait-il pas prier à voix haute pour se faire entendre des anciens dieux ? Elle devait, peut-être, prier plus longuement. Il arrivait à Père de prier très très longuement, se souvint-elle. N’empêche que les anciens dieux l’avaient abandonné. Cette pensée la mit hors d’elle. « Vous auriez dû le sauver ! gronda-t-elle. Il vous priait tout le temps. Ça m’est bien égal, que vous m’aidiez ou pas ! Vous en seriez bien incapables, d’ailleurs, je crois, même si vous vouliez… !
— Il ne faut pas moquer les dieux, petite. »
La voix la fit tressaillir, bondir sur ses pieds, tirer son épée de bois. Jaqen H’ghar se tenait si parfaitement immobile dans les ténèbres qu’on l’eût pris pour un arbre parmi les arbres. « Un homme vient entendre un nom. Après un puis deux suit trois. Un homme voudrait avoir terminé. »
Elle abaissa vers le sol la pointe hérissée d’échardes. « Comment saviez-vous que j’étais ici ?
— Un homme voit. Un homme entend. Un homme sait. »
Elle lui décocha un regard soupçonneux. Etait-il l’envoyé des dieux ? « Comment avez-vous fait tuer Weese par son propre chien ? Et Rorge et Mordeur, les avez-vous tirés de l’enfer ? Et Jaqen H’ghar, c’est votre vrai nom ?
— Certains êtres ont des tas de noms. Belette. Arry. Arya. »
Elle recula, recula, finit par se retrouver adossée contre l’arbre-cœur. « Gendry a parlé ?
— Un homme sait, répéta-t-il. Lady Stark, ma dame. »
Il était peut-être, vraiment, l’envoyé des dieux. Afin d’exaucer ses prières. « J’ai besoin de votre aide pour tirer ces hommes de leur cachot. Le nommé Glover et les autres, tous. Il nous faudra tuer les gardes et nous débrouiller pour forcer la porte…
— Une petite oublie, dit-il sans s’émouvoir. Deux elle a eus, trois étaient dus. S’il faut qu’un garde meure, elle n’a qu’à dire son nom.
— Mais un garde ne suffira pas, il nous faut les tuer tous pour ouvrir le cachot ! » Elle se mordit violemment la lèvre afin de réprimer ses pleurs. « Je veux que vous sauviez les hommes du Nord comme moi je vous ai sauvé. »
Il la toisa d’un air impitoyable. « Trois vies ont été dérobées à un dieu. Trois vies doivent être remboursées. Il ne faut pas moquer les dieux. » Sa voix avait le soyeux de l’acier.
« Je ne les moquais pas. » Elle réfléchit un moment. « Le nom…, puis-je nommer n’importe qui ? Et vous le tuerez ? »
Il inclina la tête. « Un homme a dit.
— N’importe qui ? répéta-t-elle. Homme, femme, nouveau-né, lord Tywin ou le Grand Septon, votre propre père ?
— Le géniteur d’un homme est mort depuis longtemps mais, s’il était en vie et qu’une petite connaisse son nom, il mourrait sur ordre d’une petite.
— Jurez-le, dit-elle. Jurez-le par les dieux.
— Par tous les dieux de la mer et de l’air et même par celui du feu, je le jure. » Il enfonça sa main dans la gueule de l’arbre-cœur. « Par les sept dieux nouveaux et par les innombrables dieux anciens, je le jure. »
Il a juré. « Même si je nommais le roi…
— Nomme-le, et la mort viendra. Viendra demain ou lors du changement de lune ou dans un an d’ici, viendra. Un homme ne vole pas comme un oiseau, mais un pied avance et puis l’autre et, un jour, un homme est là, et un roi meurt. » Il s’agenouilla, de sorte qu’ils se retrouvèrent bien face à face. « Une petite dit tout bas si elle craint de dire haut. Tout bas, maintenant. C’est Joffrey ? »
Elle avança les lèvres et, dans l’oreille, lui souffla : « C’est Jaqen H’ghar. »
Même quand, dans la grange en feu, des murs de flammes le dominaient et le cernaient, captif et aux fers, il n’avait pas eu l’air si égaré qu’à présent. « Une petite…, elle veut rire…