Выбрать главу

Huit gardes, compta Arya. Leurs narines aussi s’étaient dilatées. « Jamais vu plus moche, comme serveuse… ! lança leur capitaine à l’intention de Rorge. Y a quoi, dans ton pot ?

— Tes couilles et ta queue. T’en veux ou pas ? »

Jusque-là, l’un des gardes avait fait les cent pas, un autre était resté planté non loin de la grille, un troisième, le cul par terre, adossé au mur, mais l’idée de bouffer les attira tous vers la table.

« Sacrément temps qu’y pensent à nous !

— D’z-oignons, que j’ sens ?

— Où c’est qu’y a l’ pain ?

— Et les bols, foutre ! les coupes, les cuillères… ?

— Pas b’soin. » Rorge leur projeta la soupe bouillante en pleine gueule à travers la table, Jaqen l’imita, Mordeur fit de même avec ses deux marmites, mais en les balançant à bout de bras de manière qu’elles virevoltent dans la cave en pleuvant la soupe. L’une d’elles atteignit à la tempe le capitaine alors qu’il essayait de se lever et l’affala comme un sac de sable, inanimé. Le reste gueulait de douleur, implorait pitié, tentait à quatre pattes de s’esbigner.

Arya se plaqua contre la paroi lorsque Rorge se mit à trancher les gorges. Mordeur, lui, préférait empoigner les têtes par l’occiput et le menton dans ses énormes battoirs blêmes et leur rompre l’échine d’une simple torsion. Un seul des gardes s’était débrouillé pour tirer l’épée. Jaqen esquiva sa taillade en dansant, dégaina lui-même, accula l’homme dans un coin grâce à une averse de coups et l’y tua d’une pointe au cœur. Puis il retourna sa lame toute rouge et dégoulinante vers Arya pour l’essuyer sur le devant de son sarrau. « Une petite aussi doit être ensanglantée. Ceci est son œuvre. »

La clef du cachot était accrochée au mur au-dessus de la table. Rorge s’en empara pour ouvrir la grille. Le premier à la franchir fut le seigneur à l’emblème du poing brandi. « De la belle ouvrage, dit-il. Je suis Robett Glover.

— Messire. » Jaqen s’inclina.

Aussitôt libres, certains captifs délestèrent les morts de leurs armes et, l’acier au poing, cavalèrent vers la surface. Nombre de leurs compagnons se pressaient derrière eux, mains nues. Tous grimpaient vivement, presque sans mot dire. Aucun ne semblait aussi mal en point qu’Arya se l’était figuré lors de leur arrivée. « Futé, le coup de la soupe, commentait en bas le dénommé Glover. J’étais loin de m’y attendre. Une idée de lord Hèvre ? »

Rorge se mit à rire. Et il riait si fort que le trou qu’il avait à la place du nez débordait de morve. Carrément assis sur l’un des cadavres dont il tenait la main molle en suspens, Mordeur lui rongeait les doigts. Les phalanges craquaient sous ses dents.

« Qui êtes-vous donc ? » Un sillon se creusa entre les sourcils de Robett Glover. « Vous n’escortiez pas Hèvre, lors de sa visite au camp de lord Bolton. Vous faites partie des Braves Compaings ? »

D’un revers de main, Rorge torcha son menton ruisselant de morve. « Main’nant, oui.

— Un homme a l’honneur d’être Jaqen H’ghar, de la cité libre de Lorath, jadis. Les grossiers compagnons de cet homme s’appellent Rorge et Mordeur. Un seigneur se doutera lequel est Mordeur. » Il agita la main du côté d’Arya. « Et voici…

— Belette », lâcha-t-elle avant qu’il ne dévoilât sa véritable identité. Elle ne voulait pas laisser dire son nom ici, devant Rorge et Mordeur et tous ces gens qu’elle ne connaissait pas.

Elle ne fit manifestement qu’effleurer l’esprit de Glover. « Très bien, dit-il. Terminons à présent ce joli boulot. »

En haut de l’escalier, les gardes baignaient dans leur propre sang. Des gens du Nord couraient de tous côtés. On entendait des cris. La porte de la salle des Garnisaires s’ouvrit brutalement sur un blessé qui titubait en gémissant. Trois hommes se ruèrent à sa poursuite et l’achevèrent à coups de pique et d’épée. On se battait aussi dans les parages de la conciergerie. Rorge et Mordeur se précipitèrent avec Glover, mais Jaqen H’ghar s’agenouilla près d’Arya. « Une petite ne comprend pas ?

— Si fait », protesta-t-elle, bien que la réponse fût non, pas vraiment.

Le Lorathi dut le deviner à sa physionomie. « Une chèvre n’a pas de loyauté. Une bannière au loup ne tardera pas à flotter ici, je pense. Mais un homme voudrait d’abord entendre dédire certain nom.

— Je retire le nom. » Elle se mâchouilla la lèvre. « J’ai toujours une troisième mort ?

— Une petite est vorace. » Il toucha l’un des gardes qui gisaient là, brandit ses doigts ensanglantés. « Et ça fait trois et ça fait quatre et ça fait huit de plus en bas. La dette est payée.

— La dette est payée », convint-elle de mauvaise grâce. Elle se sentait un peu triste. Une souris de nouveau, pas plus.

« Un dieu a son dû. Et, maintenant, un homme doit mourir. » Un sourire étrange lui frôla les lèvres.

« Mourir ? » s’écria-t-elle, abasourdie. Que voulait-il dire ? « Mais j’ai dédit le nom ! Vous n’êtes pas obligé de mourir, à présent !

— Si. Mon temps est fini. » Il se passa la main sur la figure depuis le front jusqu’au menton et, lorsqu’il la retira, il se métamorphosa. Ses joues se firent plus pleines, ses yeux plus bridés ; son nez se recourba ; sa joue droite se marqua d’une cicatrice qui n’existait pas auparavant. Et lorsqu’il secoua la tête se dissipa sa longue chevelure raide, mi-partie rouge, mi-partie blanche, et il eut un casque de boucles noires.

Elle en demeura bouche bée. « Qui êtes-vous ? chuchota-t-elle, trop éberluée pour éprouver de l’effroi. Comment avez-vous fait ça ? C’était difficile ? »

Il eut un grand sourire où miroitait une dent d’or. « Pas plus que d’adopter un nouveau nom, si tu sais t’y prendre.

— Montrez-moi ! s’emballa-t-elle. Je veux le faire aussi !

— Pour apprendre, il te faudrait m’accompagner. »

Elle hésita. « Où ?

— Loin loin. De l’autre côté du détroit.

— Je ne peux pas. Je dois rentrer chez moi. A Winterfell.

— Nous devons donc nous séparer, dit-il, car j’ai des devoirs, moi aussi. » Il lui saisit la main et plaqua, au creux de la paume, une petite pièce. « Tiens.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une pièce inestimable. »

Elle y mordit et la trouva si dure que c’était forcément du fer. « Elle vaut assez pour acheter un cheval ?

— Elle n’est pas faite pour acheter des chevaux.

— Alors, elle sert à quoi ?

— Autant demander à quoi sert la vie, à quoi sert la mort. S’il arrive un jour que tu souhaites me retrouver, donne cette pièce à n’importe quel homme de Braavos en lui disant ces simples mots : valar morghulis.

— Valar morghulis », répéta-t-elle. Ce n’était pas difficile. Ses doigts se refermèrent étroitement sur la pièce. De l’autre côté de la cour s’entendaient des cris d’agonie. « Ne partez pas, je vous prie, Jaqen.

— Jaqen est aussi mort qu’Arry, dit-il tristement, et j’ai des promesses à tenir. Valar morghulis, Arya Stark. Redis-le.

— Valar morghulis », dit-elle une fois encore, et l’étranger qui portait les habits de Jaqen s’inclina devant elle avant d’aller, manteau flottant, se fondre à grands pas dans les ténèbres. Elle était seule avec les morts. Ils méritaient de mourir, songea-t-elle en se rappelant tous ceux qu’avait massacrés ser Amory Lorch dans le fort, là-bas, sur les bords du lac.