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La main d’Aggo se crispa sur l’arakh. « Il est dit, Khaleesi, que beaucoup pénètrent au palais des Poussières et peu en sortent.

— Il est dit, confirma Jhogo.

— Nous avons juré de vivre et de mourir comme vous, reprit Aggo. Laissez le sang de votre sang vous accompagner dans ce noir séjour pour vous préserver de toute aventure.

— Il est des lieux que même un khal doit aborder seul, dit-elle.

— Acceptez du moins que je vous escorte, moi, pria ser Jorah. Le risque…

— La reine Daenerys entrera seule ou n’entrera pas. » Le conjurateur Pyat Pree surgit de sous les arbres. Nous épiait-il depuis le début ? se demanda-t-elle. « Qu’elle s’en retourne à présent, pour jamais les portes de la science lui seront fermées.

— Mon bateau de plaisance est toujours prêt à appareiller, lança Xaro Xhoan Daxos. Détournez-vous de ces mascarades, ô reine des reines opiniâtres. J’ai des flûtistes dont les mélodies suaves sauront apaiser les turbulences de votre âme et une fillette qui, sous sa langue, vous fera fondre et soupirer. »

Ser Jorah Mormont fusilla le prince marchand d’un regard sinistre. « Daignez, Votre Grâce, vous souvenir de Mirri Maz Duur…

— Je m’en souviens, dit-elle d’un ton brusquement résolu. Je me souviens du savoir qu’elle détenait. Quoiqu’elle fût une simple maegi. »

Un mince sourire éclaira Pyat Pree. « L’enfant parle avec autant de sagesse qu’une doyenne. Prenez mon bras, permettez que je vous conduise.

— Je ne suis pas une enfant. » Elle n’en prit pas moins le bras qu’il offrait.

Il faisait plus sombre qu’elle ne l’eût cru, sous les arbres noirs, et le parcours se révéla plus long. Bien que, depuis la rue, la sente courût droit jusqu’à la porte du palais, Pyat Pree ne tarda pas à s’en écarter. Pressé de questions, il répondit simplement : « Le chemin frontal mène à l’intérieur mais ne laisse plus aucune issue. Prenez bien garde à mes propos, ma reine. L’hôtel des Nonmourants ne fut pas conçu pour des hommes mortels. Si vous prisez votre âme, ayez soin d’agir exactement selon mes prescriptions.

— Je n’y manquerai pas, promit-elle.

— A votre entrée, vous découvrirez une pièce où s’ouvrent quatre portes : celle que vous aurez franchie et trois autres. Empruntez la porte à main droite. Chaque fois, la porte à main droite. Si vous arrivez devant une cage d’escalier, montez. Ne descendez pour rien au monde, et, pour rien au monde, n’allez emprunter d’autre porte que la première porte à main droite.

— La porte à main droite, récita-t-elle. Entendu. Et à mon départ, le contraire ?

— Pour rien au monde, répondit Pyat Pree. Partir et arriver, les préceptes sont identiques. Toujours vers le haut. Toujours la porte à main droite. D’autres portes sont susceptibles de s’ouvrir à vous. Elles offriront à vos yeux maint et maint spectacle troublant. Visions de délices et visions d’horreur, merveilles et terreurs. Soupirs et sons de jours enfuis et de jours à venir et de jours qui jamais ne furent. Il se peut qu’habitants ou serviteurs vous adressent la parole en route. Libre à vous d’en tenir compte ou de les ignorer, mais n’entrez dans aucune pièce avant d’avoir atteint la salle d’audiences.

— Entendu.

— En atteignant la salle des Nonmourants, montrez-vous patiente. Nos petites vies ne leur sont ni plus ni moins qu’un battement d’ailes de mite. Ecoutez attentivement, et gravez chaque terme dans votre cœur. »

Sur le seuil de la première porte qui, percée dans un mur à faciès humain, affectait l’ovale d’une vaste bouche, les attendait le plus petit nain que Daenerys eût jamais vu, puisqu’à peine lui arrivait-il au genou. Attifé, nonobstant son museau pointu, cave et bestial, d’une délicate livrée pourpre et bleu, il portait dans ses minuscules mains roses un plateau d’argent. Dessus s’effilait une fine flûte de cristal emplie d’un épais breuvage bleu : ombre-du-soir, le vin des conjurateurs. « Prenez et buvez, prescrivit Pyat Pree.

— Cela va-t-il me bleuir les lèvres ?

— Une flûte ne fera que vous désobstruer les oreilles et dissoudre la taie de vos yeux. Ainsi serez-vous à même de voir et d’entendre les vérités qui se présenteront à vous. »

Elle porta la flûte à ses lèvres. La première goutte avait sur les papilles un goût d’encre et de viande avariée, mais l’absorption en dissipa la fétidité, et Daenerys eut le sentiment que le liquide, en elle, venait à la vie, s’animait. Cela faisait comme des vrilles qui se développaient dans sa poitrine et qui, tels des doigts de feu, lui enserraient le cœur, elle avait sur la langue des saveurs qui évoquaient le miel, la crème et l’anis, le lait maternel et la semence de Drogo, le sang chaud, la viande rouge et l’or en fusion. A la fois toutes les saveurs qu’elle avait connues et aucune d’elles… – et la flûte se retrouva vide.

« A présent, vous pouvez entrer », déclara le conjurateur. Elle reposa la flûte sur le plateau du nain et s’aventura à l’intérieur.

Le vestibule de pierre qui l’accueillit comportait comme annoncé quatre portes, une par mur. Sans la moindre hésitation, elle emprunta celle de droite. Dans la deuxième pièce, jumelle exacte de la première, elle fit de même et, la porte poussée, découvrit encore un vestibule que quatre portes desservaient. Me voici face à face avec la sorcellerie.

Ovale au lieu d’être carrée, la quatrième pièce avait des murs non plus de pierre mais de bois vermoulu et non plus quatre mais six issues. En empruntant la plus à droite, on aboutissait dans un long corridor obscur et très haut de plafond. Sur le côté droit brûlaient de loin en loin des torches qui répandaient une lumière orange et fuligineuse, mais il n’y avait de portes que sur la gauche. Drogon déploya ses vastes ailes noires et, brassant l’air confiné, voleta sur une vingtaine de pieds avant de s’abattre piteusement. Elle pressa l’allure pour le relever.

De ses coloris somptueux de jadis, le tapis mité qu’elle foulait ne conservait qu’un vague souvenir. On y discernait encore le miroitement terne et intermittent d’un fil d’or parmi verts sales et gris délavés. Ces pauvres vestiges servaient tout au plus à étouffer les bruits de pas, mais ce n’était pas forcément un bien. Car le silence permettait d’entendre, émanant de l’intérieur des murs, des fuites furtives et des grattements qui suggéraient la présence de rats. Drogon les percevait aussi. Sa tête en suivait les déplacements, leur cessation lui arracha un hoquet rageur. De certaines des portes closes provenaient d’autres sons, bien plus inquiétants. Des coups ébranlaient l’une d’elles comme si quelqu’un cherchait à la fracasser. Une autre laissait filtrer des fïfrements si discordants que la queue du dragon se mit à fouetter frénétiquement. Daenerys se dépêcha de passer outre.

Et toutes les portes n’étaient pas fermées. Je ne regarderai pas, se dit-elle, mais la tentation fut trop forte.

Dans une pièce se tordait à même le sol une beauté nue sur qui s’agitaient quatre petits hommes. Ils avaient, à l’instar du serviteur nain, des pattes roses minuscules et des museaux de rat pointus. L’un d’eux soubresautait entre les cuisses de la femme, un autre s’acharnait sur ses seins, lui ravageant les tétons dans ses mandibules écarlates, les déchiquetant et les mastiquant.

Elle tomba plus loin sur un banquet de cadavres. Abominablement massacrés, les convives gisaient pêle-mêle, recroquevillés parmi des sièges renversés, des tables à tréteaux démolies, dans des mares de sang mal coagulé. Certains n’avaient plus de membres ni même de tête. Des mains tranchées tenaient toujours qui coupe sanglante, qui cuillère de bois, pilon rôti, morceau de pain. De son trône les dominait un mort à face de loup. La tête couronnée de fer, il tenait en guise de sceptre un gigot d’agneau, et, lourd d’un appel muet, son regard suivait Daenerys.