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— Oui oui, en effet. » Hallyne épongea sa pâleur d’un revers de manche écarlate et noir. « Nous avons œuvré sans relâche, messire Main, hmmm.

— Ce qui suffirait, je suppose, à expliquer que vous produisiez tellement plus de substance qu’auparavant. » Avec un sourire, ses yeux vairons s’appesantirent sur le pyromant. « Mais qui justifie, je crains, que l’on se demande pourquoi vous n’avez pas œuvré sans relâche dès le début. »

Sa blafardise de champignon paraissait devoir interdire à l’alchimiste de blêmir si peu que ce fût, il en accomplit néanmoins l’exploit. « Nous le faisions, messire Main, mes frères et moi nous y sommes voués nuit et jour depuis le premier instant, je vous le proteste. Le fait est, hmmm, simplement qu’à force d’élaborer de telles quantités de substance nous sommes devenus plus, hmmm, opératifs, et aussi que d’aucunes… – l’embarras le rendait de plus en plus fébrile –, d’aucunes incantations, hmmm, primordiales dont notre ordre détient les arcanes, et infiniment délicates, infiniment pénibles et cependant indispensables pour que la substance acquière toutes ses, hmmm, vertus… »

La patience abandonnait Tyrion. Ser Jacelyn Prédeaux devait être arrivé, maintenant, et il détestait poireauter. « Oui oui, des incantations secrètes. Fantastique. Et alors ?

— Eh bien, on dirait qu’elles sont, hmmm, plus efficientes que précédemment. » Il délaya un pauvre sourire. « Vous excluez l’idée d’un rapport éventuel avec les dragons, n’est-ce pas ?

— A moins que vous n’en dénichiez un sous Fossedragon. Pourquoi ?

— Oh, pardon, juste un souvenir qui vient de me revenir de l’époque où je n’étais encore qu’un acolyte du vieux sage Pollitor. Un peu surpris que tant et tant de nos incantations parussent avoir, quoi, moins d’efficace que ne nous invitaient à le croire les grimoires, je lui en demandai raison. “C’est, me répondit-il, que la magie s’est progressivement retirée du monde à partir de la mort du dernier dragon.”

— Navré de vous désappointer, mais je n’ai point vu de dragon. J’ai en revanche aperçu rôder comme une âme en peine la justice du Roi. Et qu’aucun des fruits que vous m’envoyez se révèle empli d’autre chose que de feu grégeois, la même vision vous visitera. »

Hallyne s’enfuit si précipitamment qu’il manqua culbuter ser Jacelyn – lord Jacelyn, se fourrer ça dans la mémoire une bonne fois. Lequel se montra comme à l’ordinaire impitoyablement direct. Il avait ramené de Rosby un nouveau contingent de piques levé sur les domaines de lord Gyles et venait reprendre le commandement du Guet. « Comment se porte mon neveu ? demanda Tyrion, une fois épuisé le chapitre des défenses de Port-Réal.

— Le prince Tommen est aussi gaillard qu’heureux, messire. Il a adopté un faon capturé à la chasse par certains de mes hommes. Il en avait déjà eu un, dit-il, mais que dépeça Joffrey pour s’en faire un justaucorps. Il réclame parfois sa mère, et il commence souvent des lettres pour la princesse Myrcella, mais sans en achever aucune, apparemment. Quant à son frère, il n’a pas l’air de lui manquer du tout.

— Vous avez pris à son endroit toutes les dispositions nécessaires, au cas où nous serions vaincus ?

— Mes hommes savent ce qu’ils ont à faire.

— C’est-à-dire ?

— Vous m’avez interdit d’en parler à personne, messire. »

La réplique le fit sourire. « Je suis charmé que vous vous souveniez. » Il risquait aussi bien, si Port-Réal tombait, d’être pris vivant. Mieux valait dès lors qu’il ignore où se cacherait l’héritier de Joffrey.

Prédeaux venait à peine de se retirer qu’apparut Varys. « Quelle créature sans foi que l’homme », dit-il en guise de salutations.

Tyrion soupira. « Qui est notre traître du jour ? »

L’eunuque lui tendit un rouleau. « Pareille vilenie, voilà qui chante une chanson lugubre de notre temps. L’honneur serait-il mort avec nos pères ?

— Mon père n’est toujours pas mort. » Il parcourut la liste. « Je connais certains de ces noms. Artisans, négociants, boutiquiers. Pourquoi donc comploteraient-ils à notre détriment ?

— Parce qu’ils misent apparemment sur la victoire de Stannis et convoitent leur part de gâteau. Ils ont choisi l’appellation d’Epois, par référence à la ramure du cerf couronné.

— Quelqu’un devrait leur signaler que Stannis a changé d’emblème. Et leur suggérer d’adopter plutôt Cœurs Bouillants. » Il n’y avait pas lieu de blaguer, toutefois ; lesdits Epois avaient armé plusieurs centaines de partisans qui devaient s’emparer de la Vieille Porte, une fois la bataille engagée, pour introduire l’ennemi. Parmi les conjurés figurait le maître armurier Salloreon. « Et voilà comment je vais me priver, j’ai peur, se désola Tyrion tout en griffonnant l’ordre d’arrestation, de cet effroyable heaume à cornes de démon. »

THEON

Il dormait. S’éveilla soudain.

Bras léger sur le sien, seins frôlant son dos, nichait contre lui Kyra. A peine en percevait-il le souffle, doux et régulier. Ils s’étaient entortillés dans le drap. Le plus noir de la nuit. La chambre n’était que ténèbres et silence.

Qu’y a-t-il ? Aurais-je entendu quelque chose ? Quelqu’un ?

Le vent soupirait imperceptiblement aux volets. Quelque part, au loin, miaula une chatte en chaleur. Rien d’autre. Dors, Greyjoy, s’intima-t-il. Le château repose, et tes gardes sont à leur poste. Devant ton seuil, aux portes, au-dessus de l’armurerie.

Fallait-il mettre son émoi sur le compte d’un mauvais rêve ? Il ne se souvenait pas d’avoir seulement rêvé. Kyra l’avait éreinté. Avant qu’il ne la mande, elle avait vécu ses dix-huit printemps dans la ville d’hiver sans jamais fiche ne fût-ce qu’un pied dans l’enceinte de Winterfell. Aussi n’était-elle, en vraie fouine, venue l’y rejoindre, onduleuse et moite, que plus ardemment. Et ç’avait indéniablement épicé les choses que de se farcir une vulgaire fille de taverne dans le propre lit de lord Eddard Stark.

Elle émit un vague marmonnement lorsqu’il se détacha d’elle pour se lever. Quelques braises rougeoyaient encore dans la cheminée. Emmitouflé dans son manteau, Wex roupillait au pied du lit, mort au monde, à même le sol. Rien ne bougea. Theon gagna la fenêtre et l’ouvrit. Sous les doigts glacés de la nuit, la chair de poule courut sa peau nue. Prenant appui sur l’entablement de pierre, il parcourut du regard le sombre des tours, les cours désertes, le ciel noir et cette multitude d’astres que, dût-il vivre centenaire, nul homme ne pourrait compter. Une demi-lune qui flottait au-dessus de la tour Beffroi mirait son reflet sur la toiture des jardins de verre. Et point d’alarme, pas une voix ni ne fut-ce qu’un bruit de pas.

Tout va bien, Greyjoy. Entends-tu ce calme ? Tu devrais être ivre de joie. Tu t’es emparé de Winterfell avec moins de trente hommes. Une geste digne de chanson. Il entreprit de retourner au lit. Il allait te rouler Kyra sur le dos et te la foutre encore un coup, ça chasserait bien les fantômes. Les hoquets de la garce et ses gloussements ne seraient pas du luxe contre ce silence.

Il s’immobilisa. Il s’était si fort accoutumé aux hurlements des loups qu’il ne les entendait quasiment plus…, mais quelque chose en lui, quelque instinct fauve de chasseur, percevait leur absence.

Dos tendineux barré d’un écu rond, Urzen veillait sur le palier. « Les loups se sont tus, lui dit Theon. Va voir ce qu’ils fabriquent et reviens immédiatement. » La seule idée des loups-garous courant en liberté lui noua les tripes. Il revit en un éclair Eté et Vent-Gris déchiqueter les sauvageons, le jour de l’agression de Bran.