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En effet, convint à part lui Theon. Rien n’excluait qu’ils fussent partis chasser. Tôt ou tard, ils retourneraient auprès de Bran et Rickon. « Gariss, Murch, prenez quatre chiens, rebroussez chemin, et découvrez à quel endroit nous les avons perdus. Toi, Aggar, tu me les tiens à l’œil, qu’ils n’essaient pas de nous blouser. Farlen et moi suivrons les loups. Une sonnerie de cor pour m’annoncer que vous avez retrouvé la trace, deux si vous apercevez les bêtes. Une fois repérées, elles nous mèneront à leurs maîtres. »

Lui-même prit Wex, Ginyr Nez-rouge et le petit Frey pour ses recherches vers l’amont, Wex chevauchant avec lui sur une rive, Walder sur l’autre avec Nez-rouge, une double paire de chiens complétant ce dispositif. Comme les loups pouvaient être sortis du ruisseau par n’importe quel côté, Theon se fit attentif au moindre indice susceptible de les trahir, traces, foulées, rameaux brisés, mais identifia seulement des empreintes typiques de daim, d’orignac, de blaireau. Wex surprit une renarde en train de s’abreuver, Walder leva trois lapins tapis dans les fourrés et fut assez adroit pour placer une flèche au but. Ailleurs, un ours s’était fait les griffes sur l’écorce d’un grand bouleau. Mais des loups-garous, nul signe.

Un peu plus loin, s’exhortait Theon. Après ce chêne, sur l’autre versant, passé le prochain coude du ruisseau, nous finirons bien par trouver. Tout en sachant qu’il aurait dû depuis longtemps revenir en arrière, il s’opiniâtrait, malgré l’anxiété qui lui tordait de plus en plus les tripes. Midi flambait quand, le dépit le faisant enfin renoncer, il violenta la bouche de Blagueur pour rebrousser chemin.

Quel qu’eût été leur stratagème, Osha et les maudits gamins étaient en train de lui échapper. Une gageure inconcevable, à pied, et avec un infirme et un bambin qu’il fallait porter. Et chaque heure qui s’écoulait rendait plus probable le succès de leur évasion. S’ils atteignent un village… Jamais les gens du Nord ne renieraient les fils de Ned Stark, les frères de Robb. Ils leur fourniraient des montures pour aller plus vite, des provisions. Les hommes mettraient leur point d’honneur à se battre pour les protéger. Et ce putain de Nord rallierait tout entier leur cause.

Les loups sont allés vers l’aval, voilà tout. Il se raccrocha à cette pensée. Cette lice rouge saura nous flairer l’endroit où ils sont sortis du ruisseau, et la traque recommencera.

Mais, dès qu’on eut rejoint le groupe de Farlen, un simple coup d’œil à la physionomie du maître-piqueux réduisit à néant les espoirs de Theon. « Ces chiens ne sont bons que pour une battue à l’ours, déclara-t-il avec colère. Que n’ai-je un ours à leur filer !

— Les chiens n’y sont pour rien. » Farlen s’accroupit entre un molosse et son inestimable chienne rouge, une main posée sur chacun. « L’eau qui court ne garde pas d’odeurs, m’sire.

— Il a bien fallu que les loups en sortent quelque part.

— Et ils l’ont fait, sûr et certain. Aval ou amont. On trouvera où, si on persévère, mais dans quel sens ?

— Jamais j’ai vu un loup r’monter un courant sur des milles et des milles, intervint Schlingue. Un type pourrait. S’y saurait qu’on l’ traque, y pourrait. Mais un loup ? »

Theon demeura néanmoins sceptique. Ces fauves-là n’étaient pas des loups ordinaires. Maudits machins ! Mieux fait de m’offrir leurs peaux…

La même rengaine lui fut à nouveau servie tout du long quand on eut récupéré Gariss et consorts. Ils avaient eu beau suivre leurs propres traces jusqu’à mi-chemin de Winterfell, rien n’indiquait que les Stark et les loups-garous se fussent nulle part faussé compagnie. Aussi contrariés que leurs maîtres semblaient les limiers, qui reniflaient désespérément arbres et rochers en échangeant des jappements grincheux.

Theon rechignait à s’avouer vaincu. « On retourne au torrent. Chercher de nouveau. En allant cette fois aussi loin qu’il faut.

— Nous ne les trouverons pas, dit brusquement le petit Frey. Pas tant que les bouffe-grenouilles sont avec eux. Des pleutres, ces bourbeux, qui n’acceptent pas de se battre comme les gens honnêtes, qui se planquent pour vous décocher des flèches empoisonnées. Vous ne les voyez jamais, mais ils vous voient, eux. Ceux qui les poursuivent dans les marais s’égarent et ne reparaissent jamais. Ils ont des maisons qui bougent, même les châteaux comme leur Griseaux. » Il promena un regard nerveux sur la noire verdure qui les pressait de toutes parts. « Ils sont peut-être là-dedans, en ce moment même, à écouter ce que nous disons. »

Farlen éclata de rire pour bien montrer ce qu’il pensait de telles assertions. « Mes chiens sentiraient n’importe quoi dans ce fouillis, mon gars. Leur seraient sur le râble avant que t’aies fait qu’ouf.

— Les bouffe-grenouilles ne sentent pas comme les humains, maintint Frey. Ils puent le marécage, comme les grenouilles et les arbres et les eaux croupies. De la mousse leur pousse aux aisselles en guise de poils, et ils peuvent vivre avec rien d’autre à manger que de la tourbe et respirer que de la vase. »

Theon se disposait à lui conseiller de balancer par-dessus bord ces contes de nourrice quand mestre Luwin prit la parole : « Les chroniques assurent qu’à l’époque où les vervoyants tentèrent d’abattre la masse des eaux sur le Neck, les paludiers vivaient dans l’intimité des enfants de la forêt. Il se peut qu’ils détiennent des savoirs secrets. »

Brusquement, le bois sembla bien plus sombre qu’auparavant, comme si un nuage venait d’intercepter les rayons du soleil. C’était une chose que d’entendre un petit crétin débiter des crétineries, mais les mestres étaient censés dispenser la sagesse. « Les seuls enfants qui m’intéressent sont Bran et Rickon, trancha Theon. Retour au ruisseau. Sur-le-champ. »

Une seconde, il crut qu’on n’allait pas lui obéir, mais la force séculaire de l’habitude finit par l’emporter, et, quitte à suivre d’un air maussade, du moins suivit-on. Ce froussard de Frey palpitait autant que ses lapins de la matinée. Après avoir réparti ses hommes sur les deux rives, Theon se mit à longer le courant. Ils chevauchèrent des milles et des milles, lentement, sans rien négliger, mettant pied à terre afin de précéder les chevaux dans les passages les plus scabreux, laissant les chiens tout-juste-bons-pour-une-battue-à-l’ours flairer la moindre touffe et le moindre buisson. Là où la chute d’un arbre l’avait barré, le torrent formait des lacs verts qu’il fallait contourner, mais, s’ils avaient fait de même, les loups n’avaient pas laissé de foulées ni d’empreintes. Ils s’étaient apparemment pris de passion pour la natation. Quand je les attraperai, je te leur en ferai passer le goût, moi, de nager. Je les offrirai tous deux au dieu Noyé.

Lorsque le sous-bois commença de se faire encore plus ténébreux, Theon Greyjoy comprit qu’il était battu. Soit que les paludiers connussent véritablement les sortilèges des enfants de la forêt, soit qu’Osha se fût servie de quelque ruse sauvageonne pour le posséder. Il ordonna de presser l’allure en dépit de l’obscurité, mais, comme s’éteignait la dernière lueur de jour, Joseth empoigna son courage pour grogner : « C’est peine perdue, messire. On va qu’écloper un cheval ou y casser la jambe.

— Joseth a raison, appuya mestre Luwin. Tâtonner de par les bois à la lumière des torches ne nous sera d’aucun profit. »

Un goût de bile ulcérait l’arrière-gorge de Theon, et son ventre grouillait de serpents qui s’enchevêtraient dans leurs morsures mutuelles. S’il regagnait Winterfell bredouille, tout aussi bien ferait-il dès lors d’endosser le bigarré des fols et d’en coiffer le chapeau pointu, car le Nord tout entier se gausserait de lui. Et lorsque Père l’apprendra, de même qu’Asha…