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Jon n’en regrettait pas pour autant d’être venu. Il y avait aussi des merveilles, ici. Il avait vu les rayons du soleil iriser les glaçons d’exquises cascades ruisselant aux lèvres de falaises à pic, et une prairie d’alpage constellée de corolles automnales sauvages, froilaps azur et feugivres écarlates et foisons de flûte-gramines en leur parure brun et or. Il s’était penché sur des gouffres tellement noirs et si insondables qu’ils devaient pour sûr ouvrir sur quelque enfer et, cinglé de rafales, avait à cheval franchi un pont jeté par la nature au travers du ciel. Des aigles nichés dans les nues fondaient chasser dans les vallées ou traçaient des cercles aériens, planant sur leurs immenses ailes d’un bleu si pâle qu’à peine les distinguait-on quelquefois du ciel. Une fois même il avait observé se couler le long d’un versant rocheux, telle une ombre fluide, un lynx-de-fumée puis, ramassé, bondir sur un mouflon.

A nous de bondir, à présent. Il aurait souhaité pouvoir se mouvoir d’une manière aussi silencieuse et sûre que ce chat sauvage, et pouvoir tuer aussi promptement. Dans son fourreau, Grand-Griffe lui battait le dos, mais peut-être n’aurait-il pas le loisir de l’utiliser. Dague et poignard seraient plus pratiques, en cas de corps à corps. Ils vont être armés, eux aussi, et je ne porte pas d’armure. La question s’imposa : qui serait le lynx, et qui le mouflon, tout à l’heure ?

Ils suivirent un bon bout de temps la sente, dont les lacets ne cessaient de monter, monter, monter toujours en serpentant contre le flanc de la montagne. Parfois, la montagne se reployait sur elle-même, et ils perdaient de vue le feu qui, tôt ou tard, finissait quand même par reparaître. L’itinéraire choisi par Vipre, les chevaux n’auraient en aucune manière pu l’emprunter. A certains endroits, Jon devait se plaquer le dos contre la pierre froide et n’avancer que latéralement, pouce après pouce, en crabe. Et, lors même qu’il s’élargissait, le passage était parsemé d’embûches ; il comportait des crevasses assez larges pour engouffrer une jambe d’homme, des cailloux traîtres à trébucher, des creux que les eaux transformaient le jour en mares et en patinoires la nuit. Un pas, et puis un autre, s’exhortait Jon. Un pas, et puis un autre, et ça ira, je ne tomberai pas.

Il ne s’était pas rasé, depuis son départ du Poing des Premiers Hommes, et le gel eut tôt fait de roidir le poil qui lui hérissait la lèvre. Pendant l’escalade, la bise lui décocha deux heures durant des ruades si virulentes qu’il ne pouvait guère faire que le dos rond et, collé à la roche, prier qu’une rafale ne l’emporte pas. Un pas, et puis un autre, reprit-il quand elle se fut calmée. Un pas, et puis un autre, et ça ira, je ne tomberai pas.

Ils n’avaient pas tardé à se trouver suffisamment haut pour que mieux valût s’abstenir de jauger le vide. Rien d’autre à voir, en bas, que le bâillement des ténèbres, et, en haut, que la lune et les étoiles. « La montagne est ta mère, avait dit Vipre quelques jours plus tôt, lors d’une ascension plus peinarde. Colle-toi à elle, enfouis ta bouille entre ses nichons, et elle ne te lâchera pas. » A quoi Jon avait répliqué d’un ton badin que s’il s’était toujours demandé qui était sa mère, jamais il n’avait songé la découvrir dans les Crocgivre. A présent, la blague lui semblait bien moins rigolote. Un pas, et puis un autre, se rabâchait-il, de plus en plus collé.

Brusquement, la sente s’acheva devant un énorme épaulement noir de granit jailli des entrailles mêmes de la montagne. Et il sécrétait une ombre si noire qu’elle vous faisait, au sortir de la clarté lunaire, l’effet que vous tâtonniez dans une caverne. « Par ici, tout droit, l’orienta la voix calme du patrouilleur. Nous faut les avoir par en haut. » Il se défit de ses gants, les fourra dans son ceinturon, se noua une extrémité de sa corde à la taille, arrima l’autre autour de Jon. « Tu me suis dès qu’elle se tend. » Sans attendre de réponse, il se mit à grimper tout de suite en jouant des pieds et des doigts, et ce à une vitesse inimaginable. Tandis que la longue corde se déroulait régulièrement, Jon ne le lâchait pas des yeux, pour enregistrer de son mieux comment il s’y prenait, où diable il découvrait ses prises ; enfin, lorsque le dernier tour du rouleau vint à se dérouler, il se déganta à son tour et, bien plus lentement…, suivit.

En l’attendant, Vipre avait enroulé la corde autour du rocher lisse qui lui servait de perchoir mais, sitôt rejoint, la libéra et repartit. Ne trouvant pas d’entablement propice, au terme de cette deuxième cordée, il saisit son marteau capitonné de feutre, et une série de tapotements délicats lui servit à planter un piton dans une crevasse. Tout étouffé qu’était chacun des martèlements, la pierre le répercutait en échos si tonitruants que Jon s’en ratatinait, persuadé que les sauvageons l’entendaient aussi, forcément. Une fois le piton solidement fiché, Vipre y fixa la corde, et Jon reprit son ascension. Tète la montagne, se récita-t-il. Ne regarde pas vers le bas. Tout ton poids sur tes pieds. Ne regarde pas vers le bas. Regarde la paroi devant toi. Ça, oui, c’est une bonne prise. Ne regarde pas vers le bas. Je peux reprendre haleine sur cette saillie, là, le tout est d’y parvenir. Ne pas regarder vers le bas, jamais.

Comme il y prenait appui de tout son poids, son pied glissa, une fois, le cœur lui manqua, pétrifié, mais les dieux eurent la bonté de lui épargner la fameuse dégringolade. Malgré le contact glacé de la roche qui engourdissait ses doigts, il n’osait renfiler ses gants ; si parfaitement ajusté qu’il parût, leur drap fourré risquait par trop de jouer entre pierre et peau, risque mortel à des hauteurs pareilles. Cependant, l’ankylose n’en menaçait que mieux sa main brûlée, qui bientôt se mit à le lanciner. Du coup, l’ongle du pouce écopa si vilainement qu’il barbouilla tout ce qu’il éraflait de traînées sanglantes. Me restera-t-il un seul doigt quand nous en aurons terminé ?

Plus haut, plus haut, toujours plus haut…, noires ombres reptant sur l’à-pic blanchi par la lune. Du bas de la passe, ils devaient être on ne peut plus visibles, mais un pan de montagne les dérobait aux sauvageons blottis auprès du feu. On n’en était plus très loin, pourtant, Jon le sentait. Et, néanmoins, ce n’est pas vers les adversaires qui l’attendaient à leur insu que dériva son esprit, mais vers le petit frère de Winterfell. Bran adorait grimper. Trop heureux, si j’avais le dixième de son courage.

Aux deux tiers de sa hauteur, la paroi s’écartelait en une crevasse biscornue d’éboulis givrés. Vipre tendit la main pour aider Jon à se hisser. Voyant qu’il s’était reganté, Jon s’empressa de l’imiter. D’un signe de tête, le patrouilleur indiqua la gauche, et cent toises au moins de marche en crabe sur la corniche leur permirent enfin de revoir, par la commissure de la falaise, le halo dont s’orangeait pauvrement la nuit.

Les sauvageons avaient dressé leur feu de veille au creux d’une maigre dépression qui surplombait le point le plus resserré de la passe. Devant eux, la pente, abrupte. Derrière, des rochers qui les abritaient des pires morsures du vent. Ce même écran permettait aux deux frères noirs de s’approcher en tapinois. Et ils finirent, à plat ventre, par découvrir, un peu plus bas, les hommes qu’ils devaient tuer.