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Ils durent finalement s’y mettre à trois pour l’extirper de là. Et tout ça pour rien. Sa literie avait bien brûlé mais, lorsqu’ils furent parvenus à l’emporter dehors elle-même, elle avait à nouveau du sang sur les cuisses. Comme si son propre corps l’avait trahie au profit de Joffrey en déployant l’écarlate d’une bannière Lannister au vu de l’univers entier.

Une fois le feu éteint, ils évacuèrent les vestiges noirâtres du matelas, chassèrent le plus gros de la fumée et apportèrent un baquet. Des femmes allaient et venaient, qui grommelaient en lorgnant Sansa d’une manière des plus bizarre. Elles emplirent le baquet d’eau bouillante et l’y plongèrent et la baignèrent et lui lavèrent les cheveux puis lui remirent une serviette pour étancher ses hémorragies. Elle avait entre-temps recouvré son calme et rougissait de sa folie. La fumée avait abîmé la plus grande partie de sa garde-robe. L’une des femmes s’en fut lui quérir un sarrau de laine verte à peu près à sa taille. « Il est pas tant joli que vos affaires à vous, mais c’est toujours ça, dit-elle en le lui enfilant par-dessus la tête. Et comme vos chaussures ont pas brûlé, au moins vous serez pas forcée de vous rendre pieds nus chez la reine. »

Cersei Lannister était en train de déjeuner dans sa loggia quand on introduisit Sansa. « Prenez donc un siège, dit-elle gracieusement. Avez-vous faim ? » Sa main désigna la table, chargée de gruau, de lait, de miel, d’œufs durs et de poisson frit croustillant.

La vue des mets souleva l’estomac de Sansa. Elle eût été fort en peine de rien avaler. « Non, Votre Grâce, je vous remercie.

— Je ne vous en fais pas grief. Entre Tyrion et lord Stannis, tout ce que je mange a un goût de cendre. Et voilà que vous allumez des feux, vous aussi. Quel exploit vous flattiez-vous d’accomplir là ? »

Sansa baissa la tête. « La vue du sang m’a affolée.

— Le sang est le sceau de votre féminité. Lady Catelyn aurait pu vous préparer. Vous venez d’avoir votre première floraison, sans plus. »

Jamais Sansa ne s’était sentie moins florissante. « Madame ma mère m’avait prévenue, mais je…. je m’attendais à quelque chose d’autre – différent.

— Différent comment ?

— Je ne sais. Moins…, moins sale – et plus féerique. »

Cersei se mit à rire. « Attendez donc d’avoir un enfant, Sansa. La vie d’une femme comporte neuf dixièmes de saletés contre un de féerie, vous l’apprendrez bien assez tôt…, et ce qui paraît féerique finit souvent par se révéler plus sale que tout. » Elle sirota une goutte de lait. « Ainsi, vous voici femme. Avez-vous la plus petite idée de ce que cela signifie ?

— Cela signifie que me voici désormais propre à être mariée, besognée, répondit-elle, et à porter les enfants du roi. »

La reine grimaça un sourire. « Une perspective qui ne vous séduit plus aussi fort qu’autrefois, à ce que je vois. Je ne vais pas vous le reprocher. Joffrey a toujours été difficile. Même pour naître… J’ai été en travail un jour et demi avant de le mettre au monde. Vous ne pouvez imaginer les douleurs, Sansa. Je criais si fort que je me figurais que Robert m’entendrait peut-être, dans le Bois-du-Roi.

— Sa Majesté n’était pas à votre chevet ?

— Robert ? Robert chassait. Sa coutume à lui. Chaque fois qu’approchait l’heure de ma délivrance, mon royal époux détalait se perdre dans les fourrés avec ses veneurs et ses chiens. A son retour, il m’offrait un massacre de cerf ou des pelleteries, et moi, je lui offrais un nouveau-né.

« Je ne désirais nullement le voir rester, note bien. J’avais à mes côtés le Grand Mestre Pycelle, ainsi qu’un bataillon de sages-femmes, et j’avais mon frère. Lorsqu’on prétendit lui interdire la chambre d’accouchement, Jaime sourit et demanda : “Qui compte me jeter dehors ?”

« Joffrey ne te montrera pas tant de dévotion, je crains. Tu en aurais pu rendre grâces à ta sœur, n’eût-elle péri. Jamais il n’est parvenu à oublier ce fameux jour où, dans le Trident, elle l’a mortifié sous tes yeux. Il se revanche en te mortifiant, toi. Tu es cependant plus forte qu’il n’y paraît. Je compte bien te voir survivre à quelques humiliations. Je l’ai fait. Il se peut que tu n’aimes jamais le roi, mais tu aimeras ses enfants.

— J’aime Sa Majesté de tout mon cœur. »

La reine soupira. « Tu ferais bien d’apprendre un petit lot de mensonges neufs, et vite. Lord Stannis n’appréciera pas celui-là, je te le garantis.

— Le nouveau Grand Septon l’a dit : les dieux ne permettront jamais à lord Stannis de l’emporter, puisque Joffrey est le roi légitime. »

Un demi-sourire effleura les traits de Cersei. « Le fils légitime de Robert et son héritier. Encore que Joffrey se mît à pleurer pour peu que Robert le prît dans ses bras. Sa Majesté n’aimait pas cela. Ses bâtards lui avaient toujours gargouillé des risettes et sucé le doigt, lorsqu’il le fourrait dans leurs petits becs vils. Robert voulait des sourires et des ovations, toujours. Aussi courait-il où il en trouvait, chez ses amis et chez ses putes. Robert voulait être aimé. Tyrion, mon frère, est atteint du même mal. Veux-tu être aimée, Sansa ?

— Tout le monde veut être aimé.

— Je vois que la floraison ne t’a pas rendue plus brillante, lâcha Cersei. Permets-moi, Sansa, de partager avec toi un rien de science féminine, en ce jour très particulier. L’amour est un poison. Un poison certes délicieux, mais qui n’en est pas moins mortel. »

JON

Il faisait sombre, dans le col Museux. Les flancs escarpés des montagnes qui le dominaient n’y laissant guère pénétrer le soleil, on chevauchait dans l’ombre presque tout le jour, souffle du cheval et du cavalier fumant au contact du froid. Des congères au-dessus s’effilaient de longs doigts de glace qui, goutte à goutte, alimentaient des flaques gelées qui se craquelaient en crissant sous la corne des sabots. De-ci de-là s’apercevaient de maigres touffes de chiendent cramponnées dans une anfractuosité de la roche ou des plaques de lichen pâle, mais d’herbe point, et l’on avait dès longtemps dépassé la lisière des arbres.

Aussi raide qu’exigu, le chemin serpentait toujours sans cesser de monter. Lorsque se resserrait par trop la passe, les patrouilleurs allaient à la queue leu leu, Sieur Dalpont en tête, l’œil scrutant constamment les hauts, son grand arc toujours à portée de main. Il passait pour avoir les yeux les plus perçants de la Garde de Nuit.

Aux côtés de Jon trottinait fébrilement Fantôme. De temps à autre, il s’immobilisait, se retournait, l’oreille dressée comme s’il entendait quelque chose à l’arrière. Tout en doutant qu’à moins de crever de faim les lynx ne s’attaquent à des hommes en vie, Jon libéra néanmoins la garde de Grand-Griffe dans son fourreau.

Erodée par le vent se dressait au sommet du col une arche de pierre grise. La route, au-delà, s’élargissait pour amorcer sa longue descente vers la vallée de la Laiteuse. Qhorin décida d’y faire halte jusqu’à la recrue des ombres. « Des amies pour les hommes en noir », dit-il.