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Un haussement d’épaules lui répondit. « Moi non plus. Mais tu l’empêcheras pas. Feras que gâcher une bonne flèche. »

Sans bouger de selle, Qhorin considéra longuement l’oiseau. « Dépêchons », dit-il enfin. Et ils reprirent la descente.

Fantôme ! avait envie de gueuler Jon, Fantôme, où es-tu ?

Il s’apprêtait à suivre les autres quand il entrevit une lueur blanchâtre entre deux rochers. Une vieille flaque de neige, se dit-il, mais cela remua. Il mit pied à terre instantanément.

S’agenouilla. Fantôme releva la tête. Sa nuque était noire de reflets visqueux, mais il n’émit pas un son lorsque Jon se déganta pour le palper. A travers la fourrure, les serres avaient labouré des sillons sanglants jusque dans la chair, mais l’oiseau n’était pas parvenu à briser l’échine du loup.

Qhorin Mimain se dressa au-dessus d’eux. « C’est grave ? »

Comme en guise de réponse, Fantôme se remit gauchement sur pied.

« Il est costaud, commenta-t-il. Ebben, de l’eau. Vipre, ta gourde de vin. Tiens-le tranquille, Jon. »

A eux deux, ils nettoyèrent la fourrure du sang qui l’encroûtait. Le loup se débattit en retroussant les babines lorsque Qhorin versa du vin dans ses vilaines balafres rouges, mais Jon l’enveloppa dans ses bras en lui chuchotant des mots tendres, et il ne tarda guère à s’apaiser. Le temps de déchirer un lé du manteau de Jon pour bander les plaies, close était la nuit. Seul un saupoudrage d’étoiles distinguait de la roche noire le firmament noir. « On démarre ? » s’impatienta Vipre.

Qhorin rejoignit son cheval. « On démarre, mais à rebours.

— On s’en retourne ? » Jon n’en croyait pas ses oreilles.

« Les aigles ont des yeux plus perçants que les hommes. On est repérés. Nous reste plus qu’à déguerpir. » Mimain s’enroula le visage à plusieurs tours dans une longue écharpe noire et sauta en selle.

Les patrouilleurs échangèrent un regard stupide, mais aucun n’envisagea de discuter. Ils enfourchèrent un à un leurs montures et les firent pivoter pour rebrousser chemin. « Viens, Fantôme. » Telle une ombre blafarde au cœur de la nuit, le loup-garou leur emboîta le pas.

Ils chevauchèrent à tâtons toute la nuit pour remonter la passe sinueuse en dépit des mille accidents du terrain. Le vent forcissait. Il faisait si noir, à certains endroits, qu’il fallait démonter et mener son cheval par la bride. Ebben s’aventura bien jusqu’à suggérer que des torches, peut-être, ne gâteraient rien, non ? « Pas de feu », trancha Qhorin, et il n’en fut plus question. On atteignit l’arche de pierre du sommet, la dépassa, amorça la descente. Du fond des ténèbres monta le miaulement furibond d’un lynx qui, répercuté d’écho en écho, vous donnait l’impression que, de toutes parts, lui répondaient des congénères. Une fois, Jon crut apercevoir, sur une corniche en surplomb, la phosphorescence de prunelles aussi vastes que lunes en moisson.

Dans la poix de l’heure qui précède l’aube, ils firent halte pour permettre aux chevaux de s’abreuver, grignoter une poignée d’avoine et un ou deux bouchons de foin. « On n’est plus loin du coin où vous avez tué les sauvageons, dit Qhorin. De là, il suffirait d’un seul homme pour en retenir cent. Si c’est le bon. » Il fixa Sieur Dalpont.

Celui-ci s’inclina. « Laissez-moi seulement autant de flèches que vous pourrez, frères. » Il agita son arc. « Et, à l’arrivée, veillez qu’on donne une pomme à mon canasson. L’aura pas volée, pauv’ bétail. »

Il reste mourir, comprit Jon, soudain.

Qhorin referma sa main gantée sur l’avant-bras de l’ancien écuyer royal. « Si l’aigle s’amuse à descendre te reluquer…

— … j’y fais pousser des nouvelles plumes. »

Et Sieur Dalpont tourna les talons pour gravir l’étroit sentier qui menait vers les hauts. La dernière image que Jon emporta de lui.

Au point du jour, il distingua dans l’azur limpide un flocon noir en mouvement. Ebben le vit aussi et se mit à jurer, mais Qhorin lui imposa silence. « Ecoutez. »

Jon retint son souffle et entendit à son tour. Loin loin derrière, l’écho des montagnes propageait un appel, l’appel d’un cor de chasse.

« Les voilà, dit Qhorin, ça y est. »

TYRION

Après l’avoir, pour son supplice, affublé d’une tunique à l’écarlate Lannister en velours peluche, Pod lui apporta la chaîne de son office, mais Tyrion la laissa sur sa table de chevet. Sa sœur détestait se voir rappeler qu’il était la Main du roi, et n’avait aucune envie d’envenimer davantage leurs relations.

Varys le prit au vol comme il traversait la cour. « Messire, dit-il d’une voix quelque peu essoufflée, tant vaudrait lire ceci tout de suite. » Un parchemin dépassait de sa douce main blanche. « Un message en provenance du Nord.

— Bonnes ou mauvaises nouvelles ?

— Il ne m’appartient pas d’en juger. »

Tyrion déroula la chose. A la lueur louche des torches qui éclairaient la cour, il eut du mal à déchiffrer le texte. « Bonté divine ! s’exclama-t-il sourdement. Tous les deux ?

— Je le crains, messire. C’est si triste. D’une tristesse si désolante. Et eux, si jeunes et innocents. »

Tyrion avait encore l’oreille lancinée par l’insistance avec laquelle hurlaient les loups, après la chute du petit Stark. Sont-ils en train de hurler, maintenant ? « En avez-vous informé quiconque d’autre ?

— Pas encore, mais je vais devoir, naturellement. »

Il roula la lettre. « J’aviserai moi-même ma sœur. » Il désirait voir comment elle prendrait la nouvelle. Le désirait passionnément.

La reine était très en beauté, ce soir-là. Extrêmement décolletée, sa robe de velours vert sombre rehaussait la couleur de ses yeux. Sa chevelure d’or cascadait sur ses épaules nues, et une écharpe cloutée d’émeraudes lui ceignait la taille. Tyrion ne lui tendit la lettre – mais sans un mot – qu’une fois assis et gratifié d’une coupe de vin. Cersei lui papillota sa mine la plus ingénue avant de saisir la lettre.

« J’espère que tu es satisfaite, dit-il tandis qu’elle lisait. Tu l’as suffisamment souhaitée, je crois, la mort du petit Stark. »

Elle se rechigna. « C’est Jaime qui l’a précipité dans le vide, pas moi. Par amour, a-t-il dit, comme si son geste était fait pour me plaire. Un geste absurde, et dangereux, de surcroît, mais notre cher frère s’est-il jamais soucié de réfléchir avant d’agir ?

— Le petit vous avait surpris, souligna Tyrion.

— Ce n’était qu’un bambin. Il m’aurait suffi de l’apeurer pour le réduire au silence. » Elle regarda la lettre d’un air pensif. « Pourquoi faut-il que l’on m’incrimine, chaque fois qu’un Stark s’écorche un orteil ? Ce crime est l’œuvre de Greyjoy, je n’y suis absolument pour rien.

— Espérons que lady Catelyn le croie. »

Ses yeux s’agrandirent. « Elle n’irait pas…

— … tuer Jaime ? Pourquoi non ? Comment réagirais-tu si l’on t’assassinait Joffrey et Tommen ?

— Je tiens toujours sa Sansa ! objecta-t-elle avec emportement.

— Nous tenons toujours sa Sansa, rectifia-t-il, et nous aurions tout intérêt à la dorloter. Maintenant, chère sœur, où donc est le souper que tu m’avais promis ? »

Elle le régala de mets exquis. Indiscutablement. Ils dégustèrent en entrée une soupe de marrons crémeuse avec des croûtons chauds, et des petits légumes aux pommes et aux pignons. Suivirent une tourte de lamproie, du jambon au miel, des carottes au beurre, des flageolets aux lardons, du cygne rôti farci d’huîtres et de champignons. Tyrion se ruina pour sa part en prévenances du dernier courtois vis-à-vis de Cersei ; il lui offrit le plus friand de chaque plat, se garda de rien engloutir qu’elle n’en eût d’abord tâté. Non qu’il la suspectât vraiment de chercher à l’empoisonner, mais un rien de prudence était-il jamais dommageable ?