Il est sans vergogne. « Les prisonniers n’imposent pas leurs prix.
— Oh, vous trouverez les miens plutôt modestes. Votre porte-clefs ne me dit rien que des mensonges abjects, et qu’il n’est même pas capable de soutenir. Un jour, c’est Cersei qu’on a écorchée, et, le lendemain, c’est mon père. Répondez-moi, et je vous répondrai.
— Sans tricher ?
— Oh, c’est la vérité que vous voulez ? Attention, madame. Selon Tyrion, les gens se prétendent volontiers affamés de vérité, mais ils la trouvent rarement à leur goût lorsqu’on la leur sert.
— Je suis assez forte pour entendre tout ce qu’il vous plaira de dire.
— A votre aise, alors. Mais, d’abord, si ce n’est abuser de vos bontés…, le vin. J’ai la gorge en feu. »
Elle suspendit la lampe à la porte et rapprocha de lui la coupe et le flacon. Jaime fit longuement clapoter le vin dans sa bouche avant de l’avaler. « Aigre et piètre, éructa-t-il, mais ça ira. » Il s’adossa au mur, remonta les genoux contre sa poitrine et, fixant Catelyn : « Votre première question, madame ? »
Ignorant combien de temps durerait cette comédie, elle se précipita : « Vous êtes le père de Joffrey ?
— Vous ne le demanderiez pas si vous ignoriez la réponse.
— Je veux l’entendre de votre propre bouche. »
Il haussa les épaules. « Joffrey est de moi. Comme les autres enfants de Cersei, je présume.
— Vous admettez être l’amant de votre sœur ?
— J’ai toujours aimé ma sœur, et vous me devez deux réponses. Mes parents sont-ils tous en vie ?
— Ser Stafford Lannister passe pour avoir péri à Croixbœuf. »
Il demeura de marbre. « Oncle Cruche, l’appelait Cersei. C’est d’elle et de Tyrion que je suis inquiet. Ainsi que du seigneur mon père.
— Vivants, tous trois. » Mais plus pour longtemps, si les dieux se montrent compatissants.
Il reprit un peu de vin. « Suivante ? »
Allait-il oser répondre sans mentir ? se demanda-t-elle. « Comment la chute de mon fils Bran s’est-elle produite ?
— C’est moi qui l’ai précipité du haut d’une fenêtre. »
Elle eut d’abord le souffle coupé par le naturel avec lequel il avait dit cela. Si j’avais un poignard, je le tuerais, là, songea-t-elle, avant de se rappeler brusquement ses filles. Mais c’est d’une voix étranglée qu’elle reprit : « En tant que chevalier, vous aviez juré de protéger le faible et l’innocent.
— Faible, il l’était plutôt, mais innocent, peut-être pas tant que cela. Il nous espionnait.
— Espionner, Bran ? Jamais de la vie.
— N’accusez dès lors que vos précieux dieux, qui l’amenèrent à notre fenêtre et le gratifièrent d’une vision qu’il n’était aucunement censé lorgner.
— Accuser les dieux ? se récria-t-elle, incrédule. C’est votre main à vous qui l’a poussé. Sa mort, c’est vous qui l’avez voulue. »
Les chaînes tintèrent doucement. « Il ne m’arrive guère de précipiter des gosses du haut des tours afin de les rendre plus gaillards. Bien sûr que je voulais sa mort.
— Et, en le voyant survivre, vous vous êtes senti plus en danger que jamais, et vous avez payé votre homme de main pour vous assurer son silence définitif.
— Ah bon, j’ai fait cela ? » Il leva le coude et s’offrit une bonne lampée. « Je ne nierai pas que nous n’ayons envisagé cette solution, mais vous étiez à son chevet jour et nuit, votre mestre et lord Eddard lui rendaient fréquemment visite, il avait des gardes, sans compter ces maudits loups-garous…, j’aurais dû tailler en pièces la moitié de Winterfell avant de parvenir à lui ! Puis à quoi bon me tracasser, quand tout semblait indiquer qu’il allait mourir de sa propre mort ?
— Si vous vous mettez à mentir, je lève la séance. » Elle tendit ses mains pour qu’il en admire les cicatrices. « Je tiens cela de l’homme qui se présenta pour assassiner Bran. Jurez-vous n’avoir nullement trempé dans cette expédition ?
— Sur mon honneur de Lannister.
— Votre honneur de Lannister vaut moins que ceci. » Elle renversa d’un coup de pied le seau de déjections. Leur magma brunâtre se répandit dans la cellule, imbibant la paille et dégageant des miasmes irrespirables.
Jaime Lannister s’éloigna des immondices autant que le lui permettaient ses chaînes. « Il se peut en effet que mon honneur soit de la merde, je n’en disconviendrai pas, mais jamais encore je n’ai loué personne pour tuer à ma place. Croyez ce que vous voudrez, lady Stark, mais, si j’avais vraiment décidé d’achever votre Bran, je m’en serais chargé personnellement. »
Miséricorde, il dit la vérité ! « Si ce n’est vous, c’est votre sœur qui a envoyé l’assassin.
— Je le saurais. Cersei n’a pas de secrets pour moi.
— Alors, c’est le Lutin.
— Tyrion est aussi innocent que votre Bran. A ce détail près que lui n’escaladait aucune façade et n’espionnait par la fenêtre de personne.
— Dans ce cas, pourquoi son poignard se trouvait-il en possession de l’assassin ?
— Quel genre de poignard ?
— De cette longueur, dit-elle en écartant les mains, tout simple d’aspect mais d’un beau travail, avec une lame d’acier valyrien et un manche en os de dragon. Votre frère l’avait gagné sur lord Baelish, lors du tournoi donné pour l’anniversaire du prince Joffrey. »
Jaime se servit, but, se resservit, contempla le vin dans sa coupe. « On dirait que ce vin s’améliore au fur et à mesure que je le bois. Il me semble me rappeler ce poignard, maintenant que vous le décrivez. Gagné, disiez-vous. Comment ?
— En pariant sur vous quand vous joutiez contre le chevalier des Fleurs. » Mais, en s’entendant affirmer cela, elle s’aperçut de son erreur. « Non…, l’inverse ?
— Tyrion a toujours misé sur moi, en tournoi, dit-il, mais, ce jour-là, je fus démonté par ser Loras. Le guignon, j’avais sous-estimé ce garçon, mais n’importe. Quel que fût l’enjeu, Tyrion perdit…, mais ce poignard changea effectivement de mains, je me le rappelle, à présent. Robert me le montra le soir même, durant le banquet. Sa Majesté adorait me mettre du sel sur les plaies, surtout quand Elle était ivre. Et quand ne l’était-Elle pas ? »
Tyrion lui avait dit exactement la même chose durant leur équipée dans les montagnes de la Lune, se souvint-elle. Elle avait refusé de le croire. Petyr en avait juré autrement, Petyr, le presque frère de jadis, Petyr qui l’aimait alors si passionnément qu’il s’était battu en duel pour obtenir sa main…, mais si les versions de Jaime et Tyrion concordaient à ce point, qu’en déduire ? D’autant que les deux frères ne s’étaient pas revus depuis leur séparation, à Winterfell, plus d’un an auparavant. « Essaieriez-vous de m’abuser ? » Elle flairait du louche, quelque part.
« Que gagnerais-je à biaiser sur cette histoire de poignard, quand j’ai reconnu ma tentative pour supprimer votre fils ? » Il s’envoya une nouvelle coupe. « Libre à vous de me croire ou non, voilà longtemps que l’opinion des gens quant à ma personne, je m’en contrefiche. A mon tour. Les frères de Robert sont entrés en campagne ?
— Oui.
— Voilà qui s’appelle de la pingrerie. Donnez davantage, ou vous me trouverez avare.
— Stannis marche sur Port-Réal, compléta-t-elle à contrecœur. Renly est mort, assassiné par lui devant Accalmie, grâce à des maléfices auxquels je ne comprends rien.