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Il frappa un léger coup, l’estomac contracté.

Presque aussitôt la porte s’ouvrit sur le sourire de Kim-Lang. La chambre était vide. Elle l’attira par les deux mains à l’intérieur, comme un ami très cher longtemps attendu. Cette fois, elle n’était pas en kimono. Elle portait un chemisier, genre filet de pêcheur en grosses mailles, sans dessous, qui ne laissait rien ignorer de sa poitrine et une micro-jupe orange en grosse soie, arrivant péniblement à mi-cuisse. Si elle s’était promenée, accoutrée ainsi dans Bangkok, elle aurait provoqué une émeute. Même avec la queue de cheval et les grands yeux innocents. Mais depuis San Francisco[34] Malko se méfiait des Chinoises trop belles pour être honnêtes.

Kim-Lang s’assit sur le lit et attira Malko par la main, près d’elle. Un plateau avec plusieurs bouteilles était préparé sur une petite table. Tout cela flairait la mise en condition. Malko se raidit intérieurement.

Elle mit un disque de chansons chinoises sur l’électrophone et proposa :

— Whisky ?

— Merci, dit Malko. Vous m’aviez promis de parler. Je vous écoute. Je ne suis pas venu ici pour boire.

Il jouait avec ses lunettes en évitant de la regarder. Secouant sa queue de cheval, elle se rapprocha encore de lui et leva deux grands yeux innocents, avec une moue boudeuse.

— Pourquoi vous autres Blancs, êtes-vous toujours pressés et brutaux, dit-elle. De toute façon, je ne peux pas encore vous parler. Pas avant deux heures au moins ; alors…

Malko eut une exclamation d’impatience.

— À quoi jouez-vous, Kim-Lang ? Je suis venu ici pour avoir des nouvelles de Jim Stanford. Si vous n’avez rien à me dire, je m’en vais.

Il tenta de se lever du lit. Comme un poulpe parfumé la Chinoise s’accrocha à lui. Elle s’était inondée d’un parfum français qui avait dû coûter les yeux de la tête à Bangkok. Au contact de ce corps chaud et souple qui s’offrait, Malko sentit sa raison vaciller. Presque à son insu, sa main entoura un des seins moulés par le filet. Aussitôt, Kim-Lang se renversa en arrière, l’entraînant avec elle sur le lit, faisant adhérer son corps au sien, comme une ventouse. Personne n’aurait pu résister à un tel assaut. À moins d’être un pédéraste chevronné. Kim-Lang compléta son attaque par un baiser qui aurait mérité de passer à la postérité. En même temps, avec une rapidité d’infirmière, elle faisait glisser sa veste, défaisait sa cravate et déboutonnait sa chemise.

La déesse Siva aux douze bras.

Malko eut un sursaut et la repoussa à bout de bras, essoufflé. Une fois de plus, il ne comprenait pas. Si cette fille couchait avec lui uniquement pour lui faire oublier pourquoi il était venu, c’était naïf.

— Qu’est-ce qui vous prend ? grogna-t-il brutalement. Pourquoi cette comédie ?

Mais Kim-Lang continuait à le déshabiller. Sa main heurta le pistolet et elle poussa un petit cri. Elle l’ôta de la ceinture de Malko et le posa à côté de la bouteille de J and B.

Puis, lâchant Malko, elle fit glisser par-dessus sa tête son filet doré et apparut torse nu, les seins cambrés.

La tentation de saint Antoine.

Malko avait beau réfléchir à se faire bouillir le cerveau, il ne comprenait pas. Ce n’était pas le désir qui poussait Kim-Lang à effectuer cette brillante démonstration. Pour en avoir le cœur net, il laissa glisser sa main vers son ventre. Aussitôt elle se renversa en arrière, gémissant des mots sans suite. Mais ses réactions physiologiques n’étaient pas à la mesure de sa comédie.

Dès cette seconde, le ventre glacé, Malko sut que quelque chose allait arriver. Après tout, cela ferait peut-être avancer l’histoire. Il décida alors déjouer le jeu. Un œil sur son pistolet à trois mètres de lui.

— Pourquoi voulez-vous faire l’amour avec moi ? demanda-t-il d’un ton beaucoup plus serein.

À genoux, nue, les mains sur les hanches, elle lui jeta :

— Parce que je veux avoir tous les hommes qui m’approchent. Pour qu’ils se souviennent de moi toute leur vie.

Les yeux étincelants, elle était l’image même du désir. Décidément, l’Oscar du mensonge allait être difficile à attribuer à Bangkok…

Au lieu de chanter, Kim-Lang aurait mieux fait de fréquenter le Conservatoire d’art dramatique.

— Et Jim ? fit-il pour qu’elle ne se méfiât pas trop.

— Tout à l’heure, fit-elle avec un sourire mystérieux. Je vous ai dit dans deux heures.

Elle se rependit à son cou. Cette fois, Malko se laissa faire. Quelle que soit l’idée qu’elle avait derrière la tête, il fallait en passer par là. Mais il n’avait vraiment pas l’esprit à la bagatelle. Etendu sur le lit, il la vit se lever en mettant un doigt sur les lèvres et aller éteindre l’électrophone.

Elle revint en ondulant jusqu’au lit et, d’un seul geste, s’allongea sur le corps nu de Malko, joignant ses mains aux siennes, en riant, comme pour le clouer au lit, par jeu.

La sonnette d’alarme s’alluma dans le cerveau de Malko. Le peu de désir qu’il avait éprouvé, disparut instantanément en dépit du corps de la Chinoise ondulant sur le sien.

D’un coup de rein, il tenta de se dégager, mais Kim-Lang pesait de tout son poids sur lui. Malko croisa son regard et comprit instantanément que ce n’était plus du désir.

La porte de la chambre s’ouvrit brutalement. D’un effort désespéré il fit rouler Kim-Lang par terre et plongea vers le plateau où se trouvait son pistolet.

Trop tard. Dans une mêlée confuse plusieurs hommes foncèrent sur lui. Il reçut un coup sur la tête et perdit connaissance quelques secondes. Quand il revint à lui, quatre Asiatiques au visage impassible, tous habillés de la même façon, chemise blanche et pantalon, le maintenaient par les poignets et les chevilles sur le lit. Kim-Lang, drapée dans son kimono bleu le fixait avec un rictus de mépris.

L’un d’eux enfonçait son genou dans la gorge de Malko, l’autre s’était assis sur son ventre. Il tenta de bouger et parvint tout juste à remuer le bout des doigts. Alors, il se laissa aller en arrière, réservant ses forces pour plus tard. Il ne comprenait pas pourquoi Kim-Lang avait joué cette comédie pour en arriver là.

Encore un mystère.

Pas pour longtemps. La Chinoise se pencha sur Malko un mauvais sourire aux lèvres. Un objet brillant dans sa main droite.

Lorsqu’il reconnut un rasoir, Malko sentit un frisson d’horreur parcourir son épine dorsale. Il avait souvent pensé à la mort, au cours de ses missions. Il l’avait vue de très près sous une forme affreuse, parfois[35], mais la perspective d’être découpé vif à coups de rasoir, à la mode sud-coréenne, c’était autre chose.

Kim-Lang dit une phrase en chinois et l’un des hommes qui maintenaient Malko s’écarta pour permettre à la jeune femme d’approcher du lit.

— Alors, monsieur l’agent américain, fit méchamment Kim-Lang, vous n’aurez même pas eu la joie de faire l’amour avec moi avant de mourir…

Les yeux de Malko avaient viré au vert.

— Je ne sais pas pourquoi vous voulez me tuer, dit-il, mais vous ne l’emporterez pas au paradis…

— Imbécile, fît-elle. Je vais vous tuer et personne n’en saura jamais rien. Demain j’aurai quitté la Thaïlande et je n’y reviendrai jamais. Quant à vous, on trouvera votre corps d’ici quelques jours, dans le canal. Châtré. Personne ne se posera aucune question. On pensera seulement que vous avez été la victime d’un drame passionnel.

Elle s’approcha encore, se pencha sur lui et sa main gauche s’abaissa sur son ventre, tandis que la droite ouvrait le rasoir avec un petit crissement horrible.

— Vous m’avez fait perdre la face, à Kuala Lumpur, cracha-t-elle. C’est moi qui ai demandé à vous exécuter, à ma manière. Mais vous seriez mort de toute façon.

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34

Voir Rendez-vous à San Francisco.

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35

Voir: Opération Apocalypse.