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— C’est diabolique, soupira Malko.

Le colonel hocha la tête avec compassion.

— Le plan a très bien marché. En six mois, Kim-Lang avait fait dépenser beaucoup plus qu’il ne le pouvait à Jim Stanford. Il était aux abois. Alors, « on » l’a contacté. Des Chinois ont proposé de lui acheter de la soie très cher. Trente pour cent au-dessus des cours à une époque de mévente. Jim a fermé les yeux sur cette anomalie ; il n’avait pas le choix, talonné par les goûts dispendieux de sa maîtresse, bien que sachant que cette offre alléchante cachait un piège. Au dernier moment il a découvert que sa soie lui était payée en armes. Et, comme par hasard, il avait un acheteur pour ses armes, au sud du pays, presque en Malaisie.

Les communistes avaient ainsi réussi leur coup : ravitailler les maquis du Sud sans danger. Jim était connu dans tout le pays. Il passait tous les barrages de police sans difficulté. Alors que nous avions réussi à noyauter toutes les filières d’approvisionnement. Il aurait encore pu refuser, à ce stade, nous prévenir. Mais il perdait Kim-Lang.

— Mais comment avez-vous été amené à le soupçonner ? demanda Malko. Puisqu’il était justement au-dessus de tout soupçon.

Le colonel sourit mystérieusement :

— Bangkok est une petite ville, cher monsieur. Tout finit toujours par se savoir. Malheureusement pour Jim Stanford. Et il s’est mis à voyager un peu trop souvent dans le Sud.

— Qu’allez-vous faire de ces Chinois ? Le colonel sourit encore :

— C’est notre affaire. Nous allons les mettre hors d’état de nuire, discrètement. Ou attendre un peu. Qui sait ?

Malko contemplait pensivement son verre :

— Pensez-vous que Jim Stanford ait su que Kim-Lang le trahissait ?

Le colonel fit un magnifique rond de fumée et dit lentement :

— Je l’ignore, mais je ne le pense pas. Son orgueil l’aurait alors sauvé. Du moins, je l’espère. Je suis extrêmement peiné de ce qui est arrivé.

— Vous avez pourtant fait assassiner sa sœur d’une façon… heuh, plutôt inhumaine, coupa Malko.

Le colonel Makassar écarta les mains dans un geste d’impuissance.

— Nous n’aurions pas dû faire cela, reconnut-il. C’est une erreur commise sous le coup de la colère. L’officier qui avait été assassiné sur l’ordre de Jim Stanford était un homme de grande valeur. Il a été massacré. À ce moment, nous pensions que Jim Stanford était déjà hors de portée. Nous ne pouvions pas laisser ce meurtre impuni.

— Mais cette femme n’était pour rien dans les activités de son frère !

Le Thaï contempla Malko avec une certaine commisération :

— Vous devriez savoir, mon cher, que nous ne faisons pas un métier d’enfant de chœur. Dans vos services, on ne sacrifie donc jamais un agent pour mettre sur pied une opération ? Même s’il n’a pas démérité ?

Malko n’eut pas grand-chose à répondre. Il se souvenait d’avoir été lui-même traqué par les tueurs du Gehlen Apparat et de la C.I.A. Juste avant d’avoir trop bien rempli une mission[36].

— Mais à votre avis, Jim Stanford est-il encore en Thaïlande ? demanda Malko. En dépit de sa connaissance du pays, c’est un risque terrible.

Le colonel dessinait rêveusement sur son bureau. Il leva sur Malko des yeux où, pour la première fois depuis le début de la conversation, il y avait un peu d’humanité :

— Je crois, en effet, qu’il se trouve encore dans ce pays, peut-être tout simplement parce qu’il l’aime, dit-il. Il y a passé vingt ans de sa vie. Parce qu’il ne sait pas où aller. Je ne sais pas. Cette fille n’a rien pu nous apprendre. Et je crois qu’elle ne savait vraiment rien d’autre. On ne résiste pas au serpent corail.

— Vous allez continuer à rechercher Stanford ?

— Non. Il n’est plus dangereux. Je ne veux plus risquer des hommes pour le retrouver. C’est peut-être mieux ainsi. Il a fait beaucoup pour notre pays, du temps des Japonais. Et, jusqu’à l’heure de sa mort, il n’oubliera pas que sa sœur est morte à cause de lui. Maintenant, c’est un homme traqué. Il doit être caché par les Chinois qui lui fournissaient des armes. Ceux qui se trouvaient avec lui dans la vieille maison de Domburi. Il n’ira pas loin. Eux aussi l’abandonneront. Il est trop dangereux, maintenant. Si vous le trouvez, il est à vous.

L’émotion du colonel n’était pas feinte. Malko le remercia d’un signe de tête. C’est toujours humiliant d’être du côté des traîtres.

— Et cette jeune Chinoise ? demanda-t-il encore. Cette fois le colonel eut un rire cruel :

— Vous vous intéressez à son sort ? Eh bien, vous allez être fixé. Vous verrez que nous ne la torturerons plus. Elle ne peut plus nous servir. Elle a dit tout ce qu’elle savait. Ce n’est qu’un rouage.

Ils le suivirent jusque dans la cave où on avait interrogé Kim-Lang. La Chinoise était toujours là, attachée sur la table de bois. Avec les deux affreux accroupis à ses pieds. Le colonel donna l’ordre de la détacher.

L’un des Thaïs défît les sangles et Kim-Lang roula à terre. L’un des affreux était sorti et revint avec une couverture qu’on étendit sur le sol. Brutalement, il y roula Kim-Lang, toujours évanouie et nue, puis elle fut saucissonnée, comme un paquet. Les deux affreux la prirent sous leurs bras comme un tapis roulé et sortirent de la cellule.

Thépin, Malko et le colonel leur emboîtèrent le pas.

Une camionnette bâchée était garée dans la cour. Le corps de Kim-Lang y fut jeté sans ménagement et l’un des deux geôliers s’assit sur le rouleau. L’autre prit le volant. Le colonel monta dans sa Datsun avec Malko et Thépin.

Ils enfilèrent Plœnchitr Road puis tournèrent à droite dans Soi-Chid Road et ensuite dans un dédale de petites rues, en lisière d’un khlong verdâtre, pour s’arrêter finalement devant un immeuble assez miteux.

La rue était peu animée. Personne ne prêta attention au colis transporté par les deux Thaïs jusqu’au premier étage. Guidés par le colonel, Malko et Thépin montèrent l’escalier à leur tour. L’officier leur ouvrit une autre porte donnant sur un local plongé dans le noir. Le Thaï alluma et Thépin poussa une exclamation de surprise : une immense glace était enchâssée dans le mur du fond, deux mètres sur trois.

— C’est une glace sans tain, souligna le colonel Makassar, d’une voix neutre.

De l’autre côté se trouvait une chambre à coucher simplement meublée, dans laquelle les deux affreux étaient en train de décharger Kim-Lang sur le lit. Ils ressortirent en refermant la porte derrière eux.

— Que voulez-vous faire ? demanda Malko, intrigué.

— Chut, c’est une surprise, fit le colonel. Excusez-moi, je dois m’absenter quelques instants. Restez-là.

Il disparut dans une pièce voisine et Malko l’entendit téléphoner sans comprendre ce qu’il disait. L’autre parlait thaï, bien entendu.

Résigné, Malko s’assit sur un sofa peu confortable, à côté de Thépin qui arborait un air aussi mystérieux que le colonel.

De l’autre côté de la glace sans tain, Kim-Lang ne bougeait pas, étendue nue sur le lit, les yeux fermés. Impossible de dire si elle était assommée, évanouie, ou si elle dormait simplement, épuisée par son interrogatoire.

Ils étaient là depuis une demi-heure environ lorsqu’ils entendirent des pas dans l’escalier.

Thépin se pencha sur Malko et dit méchamment :

— Tu vas voir ce qui va arriver à ta putain.

Ils avaient tous les deux les yeux fixés sur la glace sans tain. La Chinoise n’avait pas changé de position.

Il y eut un conciliabule sur le palier puis la porte de la chambre où se trouvait Kim-Lang s’ouvrit brutalement.

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36

Voir: Le Dossier Kennedy.