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— Qui est le colonel White ?

— Le chef de notre bureau de Bangkok. Il vous aidera dans la mesure du possible. Mais il a ses problèmes, lui aussi.

Et voilà. David Wise lui avait souhaité bonne chance comme d’habitude. Ce qui n’empêcherait pas le pépin, un jour. Avant de le quitter, devant la porte verte de son bureau, il avait ajouté d’une voix un peu moins officielle :

— S.A.S., tâchez de retrouver Jim vivant. C’est un type formidable. Si vous saviez tout ce qu’il a fait pendant la guerre. Un type formidable, avait-il répété, au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvraient silencieusement.

Et pour une fois, Malko n’avait pas discuté le prix de sa mission.

Maintenant, bercé par le ronronnement des réacteurs, il essayait d’ordonner ses idées. Pourquoi ceux qui avaient fait disparaître Jim Stanford ne s’étaient-ils pas attaqué à sa femme, mais à sa sœur, à des milliers de kilomètres de la Thaïlande ? Quel lien y avait-il entre ces deux personnages ? La sœur de Jim n’avait jamais eu aucun contact avec les services secrets, d’après ce qu’on savait à la C.I.A.

S’il arrivait à découvrir le lien entre le meurtre et la disparition, il aurait beaucoup avancé.

Mais, pour l’instant, il ne disposait d’aucun élément. Et il fallait d’abord savoir si Jim était encore vivant, s’il y avait moyen de le sauver. Étant donné la sauvagerie avec laquelle sa sœur avait été assassinée, il y avait de quoi frissonner. En tout cas, cela sentait l’Asie à plein nez, ce mélange de mystère et de cruauté apparemment gratuite. Mais Malko connaissait l’Extrême-Orient et savait qu’en Asie rien n’est jamais gratuit.

Le Pakistan défilait au-dessous des ailes du DC-8 des Scandinavian Airlines lorsque la belle Karin déposa sur les genoux de Malko un menu. « Le dernier repas à l’européenne avant le Siam », pensa-t-il.

Aussi, lut-il avec attendrissement que la Scandinavian se recommandait de la Chaîne des rôtisseurs, la plus vieille société gastronomique du monde.

Cinq minutes plus tard, complètement réveillé, il étalait du caviar à la petite cuillère sur un toast, arrosé d’une demi-bouteille de brut Moët et Chandon 1961.

Et ce n’était qu’un breakfast ! Goinfré de caviar, il abandonna sur le bord de son assiette les smôegasbrod de hareng fumé et de saumon.

La Scandinavian ne plaisantait pas. On aurait cru un petit déjeuner de boyard, chez Maxim’s à la belle époque. Il fallait bien que le métier d’espion ait des contreparties. Et Malko aimait bien vivre. Il ne savait jamais si la femme qu’il embrassait ne serait pas la dernière ou s’il aurait le temps de digérer son ultime repas.

Pendant que le DC-8 filait à neuf cent soixante à l’heure au-dessus de l’Inde, il s’assoupit. Il sentit les douces mains de Karin qui déployaient une couverture sur ses genoux et il plongea dans le néant. Le caviar avait eu raison de ses angoisses.

Lorsqu’il se réveilla, il crut rêver. Une Asiatique moulée dans un long sari orange, somptueux et pudique, avec un chignon compliqué, et d’immenses yeux bridés s’inclinait devant lui avec un plateau chargé de petites serviettes brûlantes.

— Nous allons arriver à Bangkok, dit en anglais impeccable la ravissante apparition. Voulez-vous vous détendre ?

C’était la surprise de la Scandinavian : une hôtesse thaï entrait en service sur le dernier tronçon du Transasian. Pour familiariser les voyageurs avec l’Extrême-Orient.

Malko se pencha par le hublot : en dessous, la jungle épaisse des collines de Birmanie s’étendait à perte de vue, avec çà et là le ruban argenté d’une rivière. L’immense appareil descendait doucement. Ils atterriraient à Bangkok à dix heures du matin comme prévu.

Il alla se raser et se rafraîchir le visage à l’eau de Cologne. Puis, il mit ses lunettes noires. Ni par coquetterie, ni par crainte du soleil, mais pour dissimuler ses yeux d’or. Une coulée de métal liquide difficile à oublier. Détail ennuyeux pour un agent secret.

Dans un impeccable kiss-landing, le DC-8 toucha la piste de l’aéroport de Don-Muang.

L’hôtesse annonça :

— Nous venons d’atterrir à Bangkok. Il est dix heures cinq, heure locale. Les Scandinavian Airlines vous souhaitent un bon séjour…

En dépit de l’heure matinale, il faisait déjà mortellement chaud. Un groupe d’Hindous en souffrance dans l’aéroport regarda les nouveaux arrivants d’un œil terne.

Un Convair 850 des Cathay Airlines décolla dans un bruit de tonnerre.

Un panneau annonçait dans le hall « Bienvenue pour l’année du tourisme. » Ironie muette pour Malko. À tout hasard il avait apporté sa Samsonite à double-fond contenant le pistolet automatique extraplat dont il ne se séparait pas en mission. Une arme qu’on pouvait porter sous un smoking sans avoir l’air d’un voyou. Mais dont il avait horreur de se servir.

Personne ne l’attendait. Plus prudent. La douane passée, il hésita une seconde au milieu des chauffeurs de taxis qui se battaient pour le conduire en ville. Il choisit le moins sale, discuta pour la forme, obtint un rabais de vingt bahts et grimpa.

Jusqu’à Bangkok, la route filait toute droite, entre deux rizières. Çà et là, des Thaïs à demi nus pataugeaient dans la boue noirâtre au milieu des buffles, à la recherche d’on ne sait quoi.

Bangkok. Malko n’y était jamais venu, mais avait entendu les récits émerveillés des agents qui y étaient allés. Un paradis pour les hommes, disait-on.

En attendant, le paysage était plat et morne. Ils croisèrent un gros camion-citerne qui avait raté un pont et gisait, les pneus en l’air, dans la vase d’un khlong[2].

Puis un jeune bonze drapé dans une robe safran, sa besace à l’épaule, traversa la route et le chauffeur freina brutalement. Les Thaïs sont très pieux et les bonzes en profitent : trente mille bonzes pour une population de trente millions.

Le taxi mit près d’une heure à atteindre les faubourgs de Bangkok. La circulation se fit plus dense et devint très vite inextricable. Bangkok était une ville sale, animée et incroyablement étalée : toujours les mêmes interminables avenues aux noms imprononçables coupées de rond-points, où le magma des véhicules atteignait des sommets jamais vus par Malko : une femme enceinte dans un taxi avait le temps de mettre au monde, non un enfant mais des quintuplés.

Cela grouillait d’échoppes, de restaurants, de boutiques sans vitrine, où l’on entre de plain-pied. Et des temples. Partout. Leurs toits oranges, verts ou rehaussés d’enluminures surgissaient à chaque coin de rue. Les Thaïs passent leur temps à en bâtir.

Le taxi coupa plusieurs khlongs. Bangkok est une ville à demi lacustre, la Venise de l’Extrême-Orient. Les khlongs sont remplis d’une eau jaunâtre et nauséabonde, habités par une population lacustre qui s’y baigne, y fait ses besoins et y vit à longueur d’années, alors qu’un étranger tomberait raide mort rien qu’en buvant une gorgée de cette eau, véritable bouillon de culture. Mystères de la mithridisation.

Ils traversèrent un passage à niveau et se trouvèrent dans l’avenue Ramtchadamri. Beaucoup plus élégante, bordée de boutiques de luxe. En face de l’immeuble de la BOAC, se trouvait l’Hôtel Erawan, où Malko avait retenu une chambre. Un bâtiment de trois étages, en U.

À peine Malko avait-il mis le pied dans le hall qu’une ravissante Thaï en long sarong s’approcha de lui, éleva ses deux mains jointes à la hauteur de son visage et s’inclina profondément avec un sourire envoûtant.

— Sawadee ka[3] fit-elle d’une voix cristalline.

Cela changeait des hôtels américains où on vous jette vos bagages dans les jambes, si votre Cadillac a plus de six mois.

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3

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