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Malko rendit le sourire. Elle était plus que belle : pleine d’un charme indéfinissable, avec ses hautes pommettes et ses grands yeux noirs.

— Je m’appelle Nalmaneh, dit-elle d’une voix veloutée. Je suis l’hôtesse de l’Erawan. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, dites-le-moi.

Attitude qui risquait de provoquer un infarctus chez certains clients portés sur la chair fraîche. Mais Malko devait découvrir très vite qu’en Thaïlande, toutes les femmes sourient les premières aux hommes et que cela ne veut rien dire.

Sa chambre était au troisième étage, donnant sur des courts de tennis. Parfaite climatisation, moquette et salle de bains moderne. Sans les petits lézards incolores qui faisaient la course dans les couloirs non climatisés au-dessus de la tête des clients, on se serait cru en Europe.

Malko défit sa valise et pendit ses costumes d’alpaga. La piscine du mini-jardin exotique lui tendait les bras, mais il se contenta d’une douche rapide. Il enfila ensuite un costume bleu, mit une cravate et une chemise blanche en dépit de la chaleur. Incorrigiblement vieux jeu : il haïssait le débraillé et nourrissait une secrète tendresse pour ces vieux Anglais qui enfilaient un smoking pour dîner seuls, en pleine brousse…

Avant de partir chez le colonel White, il déplia la photo panoramique qui ne le quittait jamais : son château de Liezen, Autriche. Un tirage récent qui montrait les derniers progrès des entrepreneurs : un gigantesque escalier de pierre reliait directement la galerie du premier étage à la cour. Comme au XVIIe siècle.

CHAPITRE III

Le taxi déposa Malko au beau milieu de Silom Road, une rue animée donnant dans Suriwong Road, bordée de restaurants et de boîtes de nuit. L’immeuble d’Air France était juste en face de lui. Dans le hall une plaque annonçait :

AIR AMERICA. Chartered planes.

Étrange compagnie de transports à la demande dont on ne voyait jamais aucun client et dont les cargaisons arrivaient de nuit à Don Muang, dans les camions soigneusement bâchés de l’U.S. Air Force.

La compagnie occupait tout le troisième étage. Malko poussa une porte et se trouva aussitôt encadré par deux gorilles en civil. L’un d’eux lui demanda d’un ton peu amène ce qu’il cherchait. Ils ne se déridèrent qu’après que Malko ait exhibé sa carte du State Department – totalement fausse bien entendu – et demandé à parler au colonel White. De la part de son cousin futé de Washington[4].

Air America grouillait comme une ruche. À travers des portes vitrées, Malko aperçut des secrétaires en train de taper comme des folles et des gens penchés sur d’immenses cartes. On se serait cru dans une vraie compagnie aérienne. Sauf les gorilles de l’entrée.

Le colonel Walter White attendait Malko derrière son bureau. Un géant avec des cheveux en brosse et des mains énormes, en civil. Précaution totalement inutile. White était si imprégné de West Point qu’il avait l’air d’un militaire, même nu comme un ver.

De plus, un gaillard de un mètre quatre-vingt-dix, blond aux yeux bleus ne passe pas tellement inaperçu dans un pays où les hommes ont un mètre soixante en moyenne.

Il se fendit d’un sourire presque chaleureux et d’une énergique poignée de main.

— Bienvenue à Bangkok, fit-il d’une voix caverneuse. J’espère que vous avez fait bon voyage.

Il n’avait pas refermé la bouche qu’il se plia en deux avec une grimace de douleur, la main gauche crispée sur l’estomac comme si cet effort d’amabilité l’avait épuisé. Malko s’assit et lui jeta un regard inquiet.

— Saloperie de pays, grogna White. On a encore dû me faire bouffer du poison…

Depuis deux ans, le colonel White menait une lutte inégale et sans espoir contre ses trois ennemis qui étaient dans l’ordre : la dysenterie, les moustiques et les communistes. Sa dysenterie permanente était célèbre dans toute l’Asie du Sud-Est. Il avait pratiquement essayé tous les remèdes européens et chinois, sans aucun résultat.

La C.I.A. lui avait confié l’antenne de Bangkok car son travail relevait plus de la lutte antiguérilla dont il était spécialiste que du Renseignement proprement dit. Mais White comptait les jours qui le séparaient de son retour en Caroline du Nord. S’il avait pu il aurait vécu dans une cage de verre désinfectée.

Pour l’instant, Malko respectait sa douleur. Effondré dans son fauteuil, le colonel égrenait d’horribles jurons, les deux mains crispées sur la ceinture de son pantalon. Afin de meubler la conversation Malko tendit la main vers un tas de petites boîtes noires posées en tas sur le bureau.

— Qu’est-ce que c’est, Colonel ?

— Des radios, grommela White entre deux jurons. Les Chinois les filent aux gens d’ici. Elles ne prennent qu’un seul poste : Pékin. Alors, on les leur rachète. Un dollar pièce. Quand on en a mille, on va les foutre à la mer. Voilà à quoi je sers…

— Intéressant, fit Malko.

White revenait à la vie. Il se redressa et ses petits yeux gris fixèrent Malko sans aménité :

— À propos, qu’est-ce que vous venez foutre à Bangkok ? On m’a bien envoyé un télex pour vous annoncer, mais sans précision.

— Je viens m’occuper de l’affaire Jim Stanford, dit Malko. Essayer de le retrouver.

White secoua la tête avec commisération et prit l’air totalement dégoûté :

— Ah ! les c… Je leur ai dit et redit qu’il était mort et enterré. Mais évidemment toutes ces têtes d’œuf de Washington se croient très fortes. Eh bien, retrouvez-le.

Il prit une cigarette Khong-tip, sa seule concession à la couleur locale et l’alluma sans en offrir à Malko. Après avoir soufflé une bouffée, il fit, un peu plus calme :

— Je me demande vraiment pourquoi ils vous ont envoyé ici. Il n’y a plus rien à faire. Jim Stanford est mort, probablement découpé en morceaux ou dépecé vivant comme ces salopards en ont l’habitude.

— Comment le savez-vous ? demanda doucement Malko.

White le foudroya du regard :

— Deux ans que je suis dans ce pays pour mon malheur. Avant, le Vietnam. Je connais leurs méthodes.

— Mais pourquoi n’a-t-on pas retrouvé le corps, alors ?

— On le retrouvera, affirma White en levant les yeux au ciel. Ou on ne le retrouvera pas. Il n’y a pas de bureau des objets perdus ici et la jungle est grande. Cela ne veut rien dire.

Tout en jouant avec ses lunettes noires, Malko contemplait pensivement le chef de la C.I.A. à Bangkok. Il ne s’attendait vraiment pas à cet accueil. L’assurance de White lui portait sur les nerfs :

— Mais si Jim Stanford a été enlevé, on ne peut pas l’abandonner, insista-t-il.

Cette fois, son vis-à-vis ricana franchement.

— Enlevé ! Mais on aurait demandé une rançon… Et on l’aurait renvoyé en petits morceaux, pour montrer que c’était sérieux. Ça s’est passé il y a six mois pour un Indou. Sa femme a mis si longtemps à payer qu’il en manquait pas mal de morceaux quand on le lui a rendu… Non, croyez-moi, Jim Stanford est mort, et bien mort. Et c’est bien dommage parce que c’était un type bien à ce qu’il paraît. Un dur. Un bon Américain. Il n’aurait jamais dû rester dans ce foutu pays.

— Mais sa sœur, alors ?

White balaya la sœur comme une fourmi volante.

— Dites pas de c… Coïncidence. Sa femme se balade toujours à Bangkok. Tous les matins au magasin de soie, dans Suriwong, à deux pas d’ici. Personne ne lui a fait quoi que ce soit…

Implacable logique militaire. Pourtant un sixième sens disait à Malko que tout n’était pas aussi simple dans l’histoire Stanford.

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4

Jeu de mots sur Wise, qui signifie malin ou futé en anglais.