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— Si je comprends bien, je n’ai plus qu’à mettre une petite annonce dans le Bangkok Post pour retrouver Jim Stanford, vivant ou mort, colonel ?

— Non, fit White, un peu calmé par sa longue diatribe. Il ne faut pas m’en vouloir mais cette putain de dysenterie me rend dingue. Je vais vous donner quelqu’un pour vous aider. Ma secrétaire personnelle. C’est une Thaï qui parle parfaitement l’anglais et qui n’est pas trop bête. Au moins elle vous pilotera. Et cela lui fera faire quelque chose d’utile. Elle passe ses journées à se faire les ongles.

Malko faillit refuser. La moutarde lui montait au nez. Être en mission officielle pour la C.I.A. et ne trouver comme aide qu’une secrétaire probablement idiote. Même pas un gorille. Il aurait dû emmener ses deux amis, Chris Jones et Milton Brabeck[7].

— Présentez-moi toujours votre secrétaire, colonel, fit-il avec lassitude. Elle me dira au moins où je peux manger sans m’empoisonner.

Flèche de Parthe qui atteignit le colonel plié en deux par de nouveaux élancements. Il pressa un bouton sur son bureau et, quelques instants plus tard, on frappa à la porte.

— Vous verrez, c’est une fille charmante, prévint White. Et surtout ne la vexez pas, elle est très occidentalisée, elle a fait ses études à UCLA[8]. Alors, hein !

La porte s’ouvrit. Sur une apparition délicieuse. La secrétaire du colonel White était assez grande pour une Thaï, plus d’un mètre soixante et vêtue avec une extrême élégance. Un chemisier de soie sauvage orange, au buste très ajusté avec une jupe-sarong s’arrêtant dix centimètres au-dessus des genoux et moulant des fesses rondes et cambrées. Elle avait des mains très longues pour sa taille, terminées par d’interminables ongles argentés. Elle ne devait pas souvent taper à la machine. Et à son annulaire gauche scintillait une pierre qui, si elle était vraie, valait cent mille dollars. Un bouchon de carafe. Le visage très clair était lisse comme un galet, avec une certaine froideur hautaine. Rien des petits visages sensuels bien en chair des Thaïs. Seule la bouche charnue pouvait laisser deviner ce qui se cachait derrière cette eau dormante.

Malko, qui n’était pas spécialement attiré par les femelles trop épanouies, fut immédiatement conquis.

Gracieusement, la jeune Thaï s’inclina, les mains jointes à plat à la hauteur du visage, avec un sourire imperceptible. Mais ses yeux étaient restés graves.

— Tippy, fit White, je vous présente le prince Malko. Il travaille pour nous. À rechercher Jim Stanford. J’ai pensé que vous pourriez l’aider… Ce sera plus amusant pour vous que de taper à la machine.

Il mit sa grosse main sur l’épaule de Malko.

— Son vrai nom est Thépin Radjburi. Elle connaît beaucoup de gens à Bangkok. J’espère que vous vous entendrez bien.

Thépin Radjburi était cassée en deux devant Malko, saluant à l’ancienne mode. Pendant un instant, il ne vit que ses longs cheveux d’un noir bleuté tombant sur ses épaules. Puis il reçut le choc de son visage, subitement animé par une redoutable lueur d’intelligence amusée.

— Sawadee ka, gazouilla-t-elle. Je suis extrêmement honorée.

Elle avait un cheveu sur la langue et zozotait délicieusement. Elle resta en face de Malko, le buste légèrement incliné, la bouche entrouverte sur des dents impeccables, les yeux baissés.

Jamais une femme n’avait accueilli Malko aussi cérémonieusement.

Il ne voulut pas être en reste de politesse. S’avançant, il s’empara de la main droite de la jeune fille et lui baisa le bout des doigts, misant sur son ignorance des usages mondains qui veulent qu’on ne baise pas la main d’une jeune fille. Elle eut un imperceptible mouvement de recul et laissa filtrer un regard étonné à travers ses paupières à demi closes. À la C.I.A. on ne devait pas souvent lui baiser la main. Avec les durs du Colonel White, c’était plutôt la main aux fesses. Malko se demanda ce que faisait dans cet antre de barbouzes cet objet délicat.

Maintenant, les mains croisées sur la poitrine, elle attendait, très esclave soumise. Mais ses yeux ne quittaient pas Malko, le disséquant tranquillement, centimètre par centimètre.

— Voulez-vous accepter de déjeuner avec moi ? demanda-t-il très civilement. Je suis nouveau dans cette ville et un peu perdu.

La jeune fille glissa un coup d’œil au colonel White.

— Si le colonel le permet, fit-elle avec son adorable zozotement.

White eut un rire un peu vulgaire :

— Le colonel permet tout ce que vous voulez, Tippy. Désormais, pour les jours à venir, vous vous occuperez exclusivement de notre ami le prince Malko. D’ailleurs, je suis sûr que vous vous entendrez très bien, fit-il avec un clin d’œil. Tippy aime beaucoup les Occidentaux bien qu’elle refuse obstinément d’en goûter, hein, Tippy ?

— Oui, colonel, zézaya Tippy.

Malko surprit son regard et comprit soudain pourquoi de temps en temps les Asiatiques s’amusaient à dépouiller vivants quelques Américains…

Il prit congé de White et précéda la jeune fille hors du bureau. Au passage, elle ramassa un sac Hermès en crocodile qui valait dix ans de salaire d’un huissier, et montra à Malko le chemin de l’ascenseur. Pendant qu’ils descendaient dans la cabine, Malko crut devoir préciser :

— Ne voyez surtout aucune arrière-pensée dans mon invitation, mademoiselle. Je suis à Bangkok pour travailler et je ne m’attendais pas à ce que le colonel White me donne une collaboratrice aussi agréable.

La jeune fille sourit.

— Le colonel sait que je suis vierge et cela l’agace beaucoup, dit-elle avec simplicité. Il me présente à tous ses amis de passage dans l’espoir de voir évoluer cet état qui le désole.

Malko ne savait plus où se mettre. Thépin Radjburi parlait parfaitement l’anglais, son accent se confondant avec son zozotement, et ne paraissait pas dépourvue d’humour.

Il se gratta la gorge.

— Si vous permettez, je vous appellerai Thépin. C’est plus joli que Tippy.

— Si vous voulez, répondit la jeune fille en sortant de l’ascenseur.

Mais, à quelque chose d’imperceptible, il sut qu’il avait marqué un point.

Ils sortirent dans Silom Road. Malko hésita sur le trottoir. Le quartier semblait franchement mal famé avec tous les bars aux enseignes en anglais. Thépin l’observait du coin de l’œil, attendant sagement qu’il se décidât.

C’était presque trop beau pour être vrai, cette soumission. Malko regarda le grand restaurant chinois à la vitrine rouge qui se trouvait juste en face de l’immeuble de la C.I.A.

— C’est bon, là ? demanda-t-il. Thépin eut une moue charmante.

— C’est l’un des meilleurs de Bangkok. Hoi Thien Lao. Si vous aimez la cuisine chinoise.

— Vous l’aimez ?

— De temps en temps. Mais nous pouvons y aller puisque nous sommes là.

Ils traversèrent la rue et entrèrent dans une salle plongée dans la pénombre et presque déserte. Avec beaucoup d’autorité Thépin s’installa à la meilleure table.

Comme toujours, il faisait glacial à l’intérieur. Au bout de deux minutes Malko éternua et la jeune Thaï éclata de rire :

— J’ai lu dans le Bangkok World que les communistes réglaient les climatiseurs pour que les gens attrapent du mal, remarqua-t-elle. C’est peut-être vrai, après tout.

Malko la regarda en coin. Impossible de voir si elle était sérieuse. Étranges gens, les Thaïs. Toujours gais et avenants. Prenant les choses les plus tragiques avec le sourire. La Thaïlande était le dernier bastion de l’Ouest en Asie du Sud-Est et pourtant Bangkok semblait une ville paisible et sans histoire.

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7

Voir S.A.S. à Istanbul, S.A.S. Caraïbes, S.A.S. à San Francisco, À l’Ouest de Jérusalem.

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8

University of California, Los Angeles.