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— Oh ! (Il rit.) Oui, merci.

Elle passa son bras sous celui de l’homme et glissa une main sous l’épaule opposée. Elle était forte.

— Je vois que vous connaissez mon nom, dit-il. Peut-on savoir le vôtre, si ce n’est pas faire preuve de trop d’impertinence ?

Elle sourit. Ils avancèrent sous les flocons de neige qui, rares à présent, tombaient tout doucement, en direction de la forme imposante aux flancs aplatis qu’elle avait appelée le « module ». Il s’était instauré un tel calme que – malgré la tempête qui hurlait tout près d’eux – il entendait la neige craquer sous leurs pieds.

— Mon nom, répondit-elle, est Rasd-Coduresa Diziet Embless Sma da’ Marenhide.

— Sans blague !

— Mais vous pouvez m’appeler Diziet.

— Ah, bon, fit-il en riant. Diziet.

Ils pénétrèrent (elle d’un pas ferme, lui en trébuchant à demi) dans la chaleur orangée de l’intérieur du module. Les parois semblaient faites de bois poli à l’infini, les sièges étaient recouverts de peaux tannées et le sol tapissé de fourrure. Le tout répandait un parfum de jardin de montagne.

Il voulut s’emplir les poumons de cet air tiède et odorant. Puis il vacilla et, abasourdi, se retourna vivement vers sa compagne.

— Mais c’est pour de vrai ! souffla-t-il.

S’il avait eu assez de souffle, il en aurait crié.

La femme hocha la tête.

— Bienvenue à bord, Chéradénine Zakalwe.

Il s’évanouit.

Douze

Il se tenait debout dans l’immense galerie, le visage tourné vers la lumière. Une brise tiède gonflait mollement, sans bruit, de grands rideaux blancs autour de lui. Le souffle ne soulevait que légèrement sa longue chevelure brune. Ses mains étaient jointes derrière son dos. Son expression était pensive. Les cieux muets où l’on voyait de rares nuages au-dessus des montagnes, au-delà de la forteresse et de la cité, baignaient son visage d’une lumière neutre et pénétrante et, debout là dans ses vêtements simples de couleur sombre, il avait quelque chose d’inorganique ; on aurait dit une statue, ou un mort dressé contre les remparts pour tromper l’ennemi.

Une voix prononça son nom.

— Zakalwe ? Chéradénine ?

— Hein ? Quoi ?

Il reprit ses esprits. Il avait sous les yeux un vieil homme dont le visage lui parut vaguement familier.

— Beychaé ? s’entendit-il dire.

Mais bien sûr ; ce vieillard, c’était Tsoldrin Beychaé. L’air plus âgé que dans son souvenir.

Il regarda autour de lui en tendant l’oreille. Il entendit alors une faible vibration et aperçut une petite cabine réduite à sa plus simple expression. Vaisseau de haute mer ? Vaisseau spatial ?

Osom Emananish, fit une voix au plus profond de ses souvenirs. Vaisseau spatial ; clipper en partance pour… quelque part dans la région d’Impren (il ne savait plus ce que c’était, ni où cela se trouvait). Les Habitats d’Impren. Il fallait qu’il escorte Tsoldrin Beychaé jusqu’aux Habitats d’Impren. Alors il se souvint du petit médecin et de sa miraculeuse machine à champs, avec son disque-découpeur bleuté. Plongeant encore plus loin dans sa mémoire, selon un procédé qu’il n’aurait pu employer sans la formation dispensée par la Culture et les subtiles altérations qu’elle lui avait fait subir, il isola la petite boucle qui lui bloquait l’accès à ce que son cerveau avait précédemment emmagasiné. La pièce qui contenait les fibres optiques ; le geste de leur envoyer un baiser qu’il avait fait alors, tant il était ravi d’être tombé tout juste sur ce qu’il cherchait ; l’explosion qui lui avait fait retraverser le bar en sens inverse et l’avait repoussé jusque dans le salon ; la chute, un coup sur la tête. Le reste était très flou : de lointains cris, la sensation d’être transporté ailleurs. Rien à tirer d’intelligible des voix qu’il avait enregistrées quand il était inconscient.

Il resta quelques instants allongé, immobile, attentif aux messages que lui faisait parvenir son corps : pas de traumatisme crânien ; rein droit légèrement touché, contusions multiples, éraflures sur les genoux, coupures à la main droite… nez en voie de guérison.

Il se redressa et regarda à nouveau la cabine : parois métalliques, deux couchettes, un petit tabouret sur lequel était assis Beychaé.

— Nous sommes dans le brick ?

— Oui, acquiesça Beychaé. En prison.

Il se laissa retomber sur le dos. Il vit qu’on l’avait revêtu d’une combinaison jetable pareille à celles des membres d’équipage. La perle-terminal n’était plus à son oreille, dont le lobe était abîmé et douloureux : manifestement, le transcepteur ne s’était pas laissé faire.

— Toi aussi, ou moi seulement ? s’enquit-il.

— Toi seulement.

— Et le vaisseau ?

— Je crois que nous nous dirigeons vers le système stellaire le plus proche grâce aux moteurs de secours.

— Comment s’appelle-t-il, ce système ?

— Ma foi, sa seule planète habitée se nomme Murssay. Elle est en partie en guerre ; il s’agit d’un des conflits isolés dont tu m’as parlé. Aux dernières nouvelles, nous ne serions pas autorisés à atterrir.

— À atterrir ?

Il poussa un grognement et se tâta l’arrière de la tête. Contusion non négligeable.

— Ce vaisseau ne peut pas atterrir ; il n’est pas conçu pour évoluer dans l’atmosphère.

— Ah bon ? Eh bien, ils ont sans doute voulu dire que nous ne pourrions pas descendre à la surface.

— Hmm. Il doit bien y avoir des engins en orbite ; une station orbitale, peut-être, non ?

— Sans doute, répondit Beychaé en haussant les épaules.

Zakalwe inspecta la cabine du regard en montrant bien qu’il cherchait quelque chose.

— Que savent-ils sur toi ?

Là encore, il tourna les yeux dans toutes les directions.

Beychaé sourit.

— Ils savent qui je suis ; j’ai parlé au commandant de bord, Chéradénine. La compagnie leur avait bel et bien donné l’ordre de faire demi-tour, mais ils ignoraient pourquoi. Maintenant ils savent. Le commandant avait le choix : attendre que les unités navales des Humanistes viennent nous récupérer, ou bien se diriger vers Murssay. Il a opté pour cette dernière solution malgré les pressions qu’a exercées sur lui la Gouvernance, d’après ce que j’ai compris, par l’intermédiaire de la compagnie de transports. Apparemment, il a tenu à utiliser le canal de détresse pour informer la compagnie de ce qui était arrivé au vaisseau, et aussi de ma présence à bord.

— Ce qui signifie qu’à présent tout le monde est au courant ?

— En effet. À l’heure qu’il est, l’Amas tout entier sait exactement où nous nous trouvons, j’imagine. Mais l’important est que, à mon avis, le commandant n’est pas entièrement défavorable à notre cause.

— Peut-être, mais que va-t-il se passer quand nous arriverons dans les parages de Murssay ?

— On va probablement se débarrasser de vous, monsieur Zakalwe, fit une voix sortant d’un haut-parleur au-dessus de leurs têtes.

L’interpellé regarda Beychaé.

— Tu as entendu aussi, j’espère ?

— Ça m’a tout l’air d’être le commandant.

— Exact, reprit la voix masculine. Et nous venons d’apprendre à l’instant que nous allions nous séparer de vous avant même d’atteindre la station de Murssay.

L’homme semblait irrité.

— Vraiment, commandant ?

— Eh oui, monsieur Zakalwe, vraiment. Un message de nature militaire émanant de l’Hégémonarchie Balzeit de Murssay vient juste de me parvenir. Ils veulent vous prendre en charge avant que nous ne touchions la Station. Étant donné qu’ils menacent de nous attaquer si nous n’obtempérons pas, je prévois d’accéder à leur requête ; avec protestations officielles, bien entendu, mais en toute franchise je ne serai pas fâché d’être débarrassé de vous. Je me dois d’ajouter que l’appareil à bord duquel ils se proposent de vous enlever est âgé de deux bonnes centaines d’années et que, jusqu’à aujourd’hui, il n’était pas considéré comme capable de naviguer dans l’espace. En admettant qu’il tienne le coup assez longtemps pour nous aborder, à savoir dans deux heures environ, la traversée de l’atmosphère de Murssay devrait être plutôt agitée pour vous. Quant à vous, monsieur Beychaé, m’est avis que, si vous raisonniez ces Balzeit, ils vous laisseraient sans doute continuer avec nous jusqu’à la Station de Murssay. Quelle que soit votre décision, monsieur, permettez-moi de vous souhaiter à vous un excellent voyage.