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Beychaé se rassit sur son petit tabouret.

— Balzeit, fit-il en hochant la tête d’un air pensif.

Je me demande en quoi nous pouvons bien les intéresser.

— C’est vous, Tsoldrin, qui les intéressez, remarqua Zakalwe en s’asseyant au bord de sa couchette. (Puis il eut l’air d’hésiter.) Ils sont avec les bons ou avec les méchants ? Il y en a tellement, de ces sacrées guerres miniatures…

— En théorie, ils sont du bon côté. Il me semble que pour eux les planètes et les machines peuvent avoir une âme.

— Ouais, c’est bien ce que je pensais, conclut Zakalwe en se mettant progressivement sur pied. (Il plia les bras, fit jouer ses épaules.) Si cette Station de Murssay est un territoire neutre, tu ferais mieux d’y aller, même si c’est probablement toi que veulent ces Balzeit, et non moi.

Il se frotta de nouveau l’arrière de la tête, tout en s’efforçant de se remettre en mémoire la situation qui prévalait sur Murssay. Cette planète était tout à fait le genre à provoquer le déclenchement d’une guerre à grande échelle. Un conflit Consolidationnistes-Humanistes opposait d’ailleurs en ce moment même des puissances militaires relativement archaïques ; Balzeit se trouvait du côté consolidationniste, bien que le haut commandement soit tenu par une espèce de prêtrise. Pourquoi voulaient-ils Beychaé, voilà qui lui échappait ; il se rappelait tout de même vaguement que les prêtres en question donnaient sérieusement dans le culte de la personnalité. Mais peut-être avaient-ils tout simplement entendu dire que Beychaé se trouvait dans les parages, et décidé de l’enlever en exigeant une rançon.

Six heures plus tard, ils furent rejoints par l’antique vaisseau de Balzeit.

— Moi ? C’est moi qu’ils veulent ?

Ils se tenaient devant le sas : Zakalwe, le commandant de bord de l’Osom Emananish, et quatre silhouettes en combinaison, toutes armées. Leurs occupants étaient également munis de casques à visière derrière lesquels on distinguait leurs visages brun clair ornés d’un cercle bleu sur le front. Zakalwe se fit la réflexion que lesdits cercles avaient l’air d’émettre une faible lueur, et se demanda si leur présence était due à quelque généreux principe religieux facilitant la tâche aux tireurs embusqués.

— Oui, monsieur Zakalwe, répondit le commandant. (Tout rond, ce petit homme au crâne rasé lui sourit et reprit :) C’est vous qu’ils veulent, et non M. Beychaé.

Zakalwe examina les quatre hommes armés.

— Qu’est-ce qu’ils ont en tête ? demanda-t-il à Beychaé.

— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit celui-ci.

Zakalwe agita les mains pour attirer l’attention des quatre hommes.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Monsieur, si vous voulez bien nous suivre, répondit l’un d’eux par l’entremise d’un haut-parleur intégré à sa combinaison.

Manifestement, il ne s’exprimait pas dans sa langue maternelle.

— Si je veux bien ? Vous voulez dire que je n’y suis pas obligé ?

L’autre parut subitement mal à l’aise dans sa combinaison. On le vit parler un petit moment sans que le moindre son ne sorte du haut-parleur, puis il déclara enfin :

— Sire Zakalwe, être très important pour vous venir avec nous. Impératif. Être très important.

Zakalwe secoua la tête.

— Impératif, répéta-t-il d’un air songeur. (Puis il se tourna vers le commandant.) Monsieur, puis-je récupérer ma boucle d’oreille, s’il vous plaît ?

— Non, répondit le commandant avec un sourire béat. Et maintenant, fichez le camp de mon vaisseau.

L’astronef était exigu, d’un niveau tech très bas ; l’air y était tiède et sentait l’ozone. On lui donna une vieille combinaison et on le dirigea vers un canapé, où il s’attacha au moyen d’une ceinture. Quand on vous faisait enfiler une combinaison à l’intérieur d’un vaisseau, c’était plutôt mauvais signe. Les hommes de troupe qui étaient venus le chercher à bord du clipper prirent place derrière lui. Composé de trois hommes, l’équipage – également en combinaison – était en proie à une agitation suspecte, et il eut la désagréable impression que les commandes manuelles qui leur faisaient face n’étaient pas uniquement destinées à intervenir en cas d’urgence.

L’appareil fit une rentrée spectaculaire dans l’atmosphère : il fut ballotté de tous côtés, craqua de toutes parts et, entouré de gaz incandescents (quand il se rendit compte qu’il les voyait à travers des fenêtres, c’est-à-dire du cristal ou du verre, et non par le truchement d’écrans, il ressentit un choc jusqu’au plus profond de ses entrailles), il émit un hurlement de plus en plus assourdissant. La température de l’air grimpa encore. Les lumières qui clignotaient, les conversations précipitées entre membres d’équipage, leurs initiatives non moins précipitées accompagnées d’autres propos surexcités… tout cela n’était guère fait pour le rassurer. Puis le nuage incandescent disparut et le ciel passa du violet au bleu ; les soubresauts reprirent.

Ils entrèrent d’un seul coup dans la nuit, puis s’enfoncèrent dans les nuages. Les ampoules qui clignotaient sur le panneau de contrôle semblaient encore plus inquiétantes dans le noir.

Ils eurent droit à un atterrissage houleux sur une espèce de piste prévue à cet effet, le tout en plein orage. Les quatre soldats qui étaient montés à bord de l’Osom Emananish poussèrent de faibles acclamations dans son dos au moment où le train d’atterrissage (sans doute constitué de roues, songea-t-il) toucha le sol. L’appareil continua d’avancer en cahotant pendant un trop long moment en dérapant deux fois par l’arrière.

Lorsqu’il s’immobilisa enfin, il vit les trois hommes d’équipage effondrés dans leur siège, les bras pendant par-dessus les accoudoirs ; muets, ils regardaient fixement la nuit striée de pluie.

Il défit sa ceinture et ôta son casque. Les soldats ouvrirent la porte du sas côté vaisseau.

Celle qui donnait sur l’extérieur révéla en s’ouvrant de la pluie, des lumières, des camions, des chars avec en fond quelques bâtiments peu élevés, ainsi qu’une foule d’environ deux cents personnes ; les uns portaient l’uniforme, les autres de longues toges luisantes de pluie, tandis que quelques individus s’efforçaient d’en abriter d’autres sous des parapluies. Tous paraissaient arborer au front une marque circulaire. Un petit groupe d’une dizaine de personnes, toutes âgées et vêtues de toges, qui avaient toutes les cheveux blancs et le visage constellé de gouttes de pluie, s’avança vers l’escalier de l’appareil.