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— Mais, intervint Napoéréa, si je comprends bien, cela implique la perte de la Victorieuse ?

Les autres prêtres secouaient la tête.

— Ma foi, après un impact à quatre ou cinq kilomètres/seconde, il faut s’attendre à ce qu’elle soit un peu abîmée, en effet.

— Mais enfin, Zakalwe ! rugit Napoéréa en donnant à lui tout seul une assez bonne imitation d’explosion atomique. C’est complètement absurde ! Vous ne pouvez pas faire ça ! La Victorieuse est le symbole de… Elle est notre espoir ! Le peuple tout entier considère notre…

Zakalwe sourit et laissa le prêtre vociférer un moment. Il avait la certitude que lui et ses semblables se gardaient l’Hégémonarchie Victorieuse comme issue de secours au cas où les choses tourneraient mal.

Il attendit que Napoéréa en ait presque terminé, puis reprit :

— Je comprends ; cependant, cet appareil est en bout de course, messieurs. J’en ai parlé avec les techniciens et les pilotes ; un véritable danger public ! S’il a réussi à me conduire jusqu’ici, c’est vraiment par un coup de chance. (Il s’interrompit et regarda les hommes au front cerclé de bleu échanger des regards ébahis. Les murmures s’accrurent. Ils lui donnaient envie de sourire. Voilà qui faisait naître en eux la crainte de Dieu !) Je suis navré, mais c’est la seule utilité qu’on puisse trouver à la Victorieuse. (Il sourit.) Et ce plan pourrait effectivement nous valoir la victoire.

Il les laissa méditer sur les principes du bombardement supersonique en piqué (non, pas besoin de mission suicide : ses ordinateurs de bord étaient tout à fait capables de l’emporter dans l’espace et de l’en faire redescendre) ; sur les principes du sacrifice des symboles (beaucoup de paysans et d’ouvriers d’usine verraient d’un mauvais œil l’envoi à la casse de leur petit gadget high-tech) ; et sur ceux de la Décapitation (sans doute, pour les grands prêtres, l’idée la plus inquiétante du lot : et si l’Empire se mettait en tête de leur réserver le même sort ?). Il leur donna l’assurance que l’Empire ne serait pas en état de lancer des représailles ; au moment de formuler leur proposition de paix, les prêtres laisseraient clairement entendre qu’ils s’étaient servis d’un missile de leur cru, et non d’un aéronef, et prétendraient en tenir d’autres en réserve. La supercherie ne serait pas bien difficile à percer à jour, surtout si l’une des nations plus évoluées de la planète se décidait à révéler à l’Empire ce qui s’était réellement passé, mais le fait demeurerait inquiétant pour ceux qui essaieraient de trouver des solutions de l’autre côté. Et puis, de toute façon, ils pouvaient toujours quitter la ville, tout simplement. En attendant, Zakalwe alla passer en revue d’autres corps de troupe.

L’Armée impériale reprit sa progression, mais au ralenti. Zakalwe avait fait reculer ses troupes presque jusqu’au pied des montagnes, en prenant soin de brûler les rares champs non moissonnés et de raser les villes sur son passage. Chaque fois qu’ils abandonnaient une base aérienne, ils dissimulaient des bombes sous les pistes en les munissant de retardateurs allant jusqu’à plusieurs jours, et creusaient par ailleurs un grand nombre de trous destinés à faire croire qu’on y avait enterré une bombe.

Dans toute la zone de piémont, il supervisa en personne la disposition d’ensemble des lignes de défense sans pour autant interrompre ses visites aux bases aériennes, aux quartiers généraux de région et aux unités opérationnelles. Il s’appliqua également à maintenir les grands prêtres sous pression afin qu’ils daignent au moins envisager d’employer l’astronef dans une offensive par décapitation.

Il était très occupé, ainsi qu’il s’en rendit compte un soir au coucher, alors qu’il passait la nuit dans un vieux château devenu QG opérationnel pour une section particulière du front. (Une explosion de lumière avait fleuri dans le ciel, au-dessus de l’horizon bordé d’arbres et, juste après la tombée du soir, l’air s’était mis à trembler au son d’un bombardement.) Très occupé et – dut-il s’avouer en posant les derniers rapports par terre sous son lit de camp avant d’éteindre la lumière et de s’endormir presque aussitôt – également heureux.

Deux, trois semaines s’étaient écoulées depuis son arrivée ; le peu de nouvelles qui lui parvenait de l’extérieur tendait à prouver que dans l’Amas, l’activité se rapprochait du néant absolu. Il en conclut que les négociations allaient bon train ; le nom de Beychaé parvint à ses oreilles : il se trouvait toujours à la Station de Murssay, et était en contact avec les différentes parties concernées. Aucune nouvelle de la Culture, directement ou indirectement. Il se demanda s’il leur arrivait d’oublier ce qu’ils avaient entrepris ; peut-être ne se souvenaient-ils plus de lui. Et s’ils allaient le laisser là à combattre pour l’éternité dans la guerre insensée qui opposait les prêtres et l’Empire ?

Leurs défenses s’élaboraient ; les soldats de l’Hégémonarchie creusaient, édifiaient, mais pour la plupart ils ne se trouvaient pas sous le feu de l’ennemi. Celui-ci vint progressivement s’échouer contre les premiers contreforts des montagnes, où il fit halte. Zakalwe envoya l’aviation harceler le front et les voies de ravitaillement, et pilonner les bases aériennes les plus proches.

— Il y a bien trop de troupes stationnées ici, autour de la ville. Les meilleurs éléments devraient être au front. L’attaque ne tardera plus maintenant, et si nous voulons réussir la contre-attaque (et ce pourrait être une grande réussite, s’ils tentent le tout pour le tout, car ils n’ont pas grand-chose en réserve) nous aurons besoin de ces escouades d’élite là où elles pourront donner toute leur mesure.

— Reste le problème de l’agitation dans la population, remarqua Napoéréa, qui avait tout à coup l’air vieux et fatigué.

— Maintenez sur place quelques unités et envoyez-les patrouiller dans les rues de manière que les gens ne les oublient pas ; mais enfin, Napoéréa, la plupart de ces hommes passent leur temps dans les baraquements alors qu’on a besoin d’eux au front ! Écoutez, je sais exactement où il faudrait les envoyer…

En réalité, il voulait obliger l’Armée impériale à aller jusqu’au bout, et c’était la ville qui lui servirait d’appât. Il envoya les troupes d’élite dans les défilés de montagne. Considérant la quantité de territoire qu’ils avaient d’ores et déjà perdue, les prêtres lui donnèrent non sans hésitation le feu vert pour les préparatifs de la décapitation ; on tiendrait prête l’Hégémonarchie Victorieuse pour son dernier vol, mais on ne s’en servirait que si la situation apparaissait réellement désespérée. Zakalwe promit de tenter d’abord de gagner la guerre de manière conventionnelle.

L’assaut fut lancé ; quarante jours après l’arrivée de Zakalwe sur Murssay, l’Armée impériale vint s’écraser contre les contreforts boisés des montagnes. La panique s’empara des prêtres. La plupart du temps, Zakalwe envoyait l’aviation attaquer les voies d’approvisionnement, et non le front proprement dit. Les lignes de défense cédèrent progressivement ; les unités se repliaient, les ponts sautaient les uns après les autres. Petit à petit, à mesure que les contreforts devenaient montagnes, l’Armée impériale se retrouva concentrée, coincée dans l’entonnoir des vallées. Le stratagème du barrage ne fonctionna pas cette fois-là ; les charges qu’on avait placées en dessous refusèrent tout bonnement d’exploser. Zakalwe dut réagir au quart de tour et déplacer deux unités d’élite afin de couvrir le défilé qui surplombait la vallée.