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Il lui jeta un regard. Elle était assise en tailleur, les bras croisés sur la poitrine, le regard perdu au large. Sa robe toute simple était de la couleur du ciel.

Il alla se tenir auprès d’elle et déposa au sol son nouveau sac de toile. Elle ne bougea pas.

Il s’assit à côté d’elle, imita sa position et reporta son regard vers le large, comme elle.

Lorsqu’une centaine de vagues furent venues s’écraser devant eux, il s’éclaircit la voix et dit :

— Deux ou trois fois j’ai eu l’impression d’être observé.

Sma ne répondit pas tout de suite. Les oiseaux de mer pirouettaient dans les airs, lançant des appels dans une langue qu’il ne comprenait toujours pas.

— Les êtres humains ont de tout temps ressenti cela, répondit-elle enfin.

Il aplatit la trace du passage d’un ver des sables.

— Je ne vous appartiens pas, Diziet.

— C’est vrai, répondit-elle en se tournant vers lui. Tu as raison. Tu ne nous appartiens pas. Tout ce que nous pouvons faire, c’est te prier.

— Me prier de quoi ?

— De revenir. Nous avons du travail pour toi.

— De quoi s’agit-il ?

— Eh bien…, fit Sma en lissant sa robe sur ses genoux, il faudrait pousser une bande d’aristos vers le prochain millénaire, et cela de l’intérieur.

— Pourquoi ?

— C’est important.

— Mais tout est important, non ?

— Et cette fois, nous pouvons te payer correctement.

— Vous m’avez déjà très bien payé la dernière fois. Des tas d’argent, un nouveau corps… que peut-on demander de plus ? (Il désigna le sac de toile posé à côté d’elle, puis sa propre personne vêtue de haillons tout tachés de sel.) Ne te méprends pas sur mon apparence. J’ai toujours le butin. Je suis un homme riche ; très riche, même, dans ce monde-ci. (Il regarda les vagues s’enfler en roulant vers eux, puis se briser dans un jaillissement d’écume et repartir vers le large.) Je voulais simplement mener une vie simple pendant quelque temps.

Il fit entendre une espèce de ricanement bref et se dit que c’était la première fois qu’il riait depuis son arrivée.

— Je sais, fit Sma. Mais cette fois, ce que j’ai à te proposer est différent. Comme je te l’ai déjà dit, aujourd’hui nous avons les moyens de te rétribuer décemment.

Il la regarda.

— Ça suffit. Assez de mystère. Où veux-tu en venir ?

Elle lui rendit son regard. Il dut lutter pour ne pas détourner les yeux.

— Nous avons retrouvé Livuéta, déclara-t-elle.

Il la regarda droit dans les yeux pendant quelques instants, puis battit des paupières et se détourna. Il s’éclaircit la gorge, reporta son regard sur la mer miroitante et dut renifler, puis s’essuyer les yeux. Sma le vit poser lentement une main sur sa poitrine sans même s’en rendre compte, et se mettre à frotter la peau, juste au-dessus du cœur.

— Ah bon ? Tu es sûre ?

— Oui, nous en sommes certains.

Il laissa courir son regard au-dessus des vagues et comprit brusquement qu’elles ne lui apportaient plus rien, plus de bois flotté, plus de messagers pour lui offrir le butin des lointaines tempêtes ; au lieu de cela, elles devenaient une voie, un itinéraire, une opportunité d’une autre espèce qui, de loin, lui faisait signe.

C’est donc aussi simple que ça ? se demanda-t-il. Un seul mot, un seul nom dans la bouche de Sma et me voilà prêt à partir, à prendre mon envol en même temps que les armes, pour leur compte ? Et tout cela pour elle ?

Il attendit que plusieurs vagues aient crû, puis décru. Les mouettes poussaient leur plainte. Puis il soupira.

— Très bien, fit-il, en passant une main dans ses cheveux emmêlés et collés. Dis-moi tout.

Quatre

— Il n’empêche, insista Skaffen-Amtiskaw. La dernière fois qu’il a fallu en passer par cette comédie, Zakalwe a complètement débloqué en se laissant coincer dans ce Palais d’Hiver.

— Je te l’accorde, répondit Sma. Mais ça ne lui ressemblait pas. Bon, admettons qu’il ait échoué une fois… sans qu’on sache pourquoi. Mais maintenant qu’il a eu le temps de s’en remettre, peut-être attend-il justement l’occasion de montrer de quoi il est encore capable. Peut-être est-il impatient qu’on le retrouve.

— Ciel, soupira le drone. Voilà Sma-la-Cynique qui prend ses désirs pour des réalités, maintenant. Si ça se trouve, toi aussi tu es en train de perdre les pédales.

— Oh, la ferme !

Elle regarda la planète venir vers eux en tourbillonnant sur l’écran du module.

Vingt-neuf jours avaient passé à bord du Xénophobe.

Pour ce qui était de briser la glace, la soirée costumée avait été une franche réussite. Sma revint à elle dans une alcôve pleine de coussins de l’espace récréatif, nue comme un ver et prise dans un enchevêtrement de membres et de torses également dévêtus. Elle dégagea doucement son bras, coincé sous la silhouette voluptueusement endormie de Jétart Hrine, se mit tant bien que mal debout et embrassa du regard les corps qui respiraient paisiblement tout autour d’elle, en s’attardant tout particulièrement sur les hommes. Puis elle se mit en marche à pas prudents, manquant plusieurs fois perdre l’équilibre sur les coussins rembourrés et, sentant ses muscles douloureux et agités de tremblements, se fraya un chemin sur la pointe des pieds entre les membres d’équipage assoupis avant de retrouver l’agréable fermeté du plancher de séquoia. Le reste de l’espace récréatif avait déjà été nettoyé. Le vaisseau avait dû trier les vêtements de chacun, car ils étaient disposés en piles bien nettes sur deux grandes tables, juste devant l’alcôve.

Sma massa ses parties génitales, qui la picotaient un peu, et fit la grimace. Elle se pencha et les trouva un peu rouges et irritées ; un peu visqueuses aussi. Elle en conclut qu’il lui fallait un bain.

Le drone l’attendait à l’entrée du couloir. La couleur de son champ équivalait, au moins partiellement, à un commentaire.

— Bonne nuit de sommeil ? s’enquit-il.

— Ne recommence pas, s’il te plaît.

Le drone resta suspendu à hauteur de son épaule tandis qu’elle se dirigeait vers l’ascenseur.

— Je vois que tu t’es fait des amis parmi les membres d’équipage.

Elle hocha la tête.

— De très bons amis, et très nombreux, apparemment. Où est la piscine ?

— À l’étage au-dessus du hangar, répondit la machine en entrant à sa suite dans l’ascenseur.

— Tu as fait des enregistrements intéressants, la nuit dernière ? demanda Sma en s’adossant à la paroi de l’ascenseur qui amorçait sa descente.

— Voyons, Sma ! s’exclama le drone. Comment pourrais-je me montrer aussi peu galant !

— Hmm…

Elle haussa un sourcil. L’ascenseur s’arrêta et la porte s’ouvrit.

— En revanche, quels souvenirs ! fit le drone dans un souffle. Cet appétit, cette énergie sont à porter au crédit de ton espèce. Me semble-t-il.

Sma plongea dans le petit bassin à remous et, au moment de refaire surface, cracha un jet d’eau en direction de la machine, qui fit un écart et battit en retraite dans l’ascenseur.

— Bon, eh bien… je te laisse. Si l’on en juge par ce qui s’est passé cette nuit, même un innocent drone de modèle offensif ne saurait être en sécurité avec toi une fois que tu es en selle. Si l’on peut dire.