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Sma flanqua un coup de poing à la machine.

— On se calme, nom de nom.

— Mais Sma, reprit le drone d’une voix presque languissante, je suis calme. Je m’efforce simplement de te faire appréhender dans toute son ampleur la pagaille planétaire que Zakalwe a concoctée ici. Le Très faible gravité a les plombs qui ont sauté ; au moment où je te parle, des Mentaux de Contact résidant dans une sphère en constante expansion dont le centre se trouve ici même préparent le terrain (intellectuellement parlant) et cherchent le moyen de remettre de l’ordre dans cet effroyable désastre. Si ce VSG n’avait pas fait route vers ici de toute manière, ils l’auraient détourné de son itinéraire habituel. Grâce aux manigances ridiculement humanistes de Zakalwe, un tas de merde gros comme une ceinture d’astéroïdes est sur le point d’entrer en collision avec les pales d’un ventilateur exactement de la taille de cette planète : ça va gicler partout et Contact va devoir prendre les choses en champ… sur-le-champ. (Une hésitation, puis :) Voilà, je viens d’en recevoir l’ordre. (La machine parut soulagée.) Tu as un jour pour virer Zakalwe d’ici, sinon nous, on l’enlève. Déplacement d’urgence, tous les coups sont permis.

Sma inspira très profondément.

— Et à part ça… tout va bien ?

— Madame, le moment est mal choisi pour faire preuve de légèreté, fit sobrement le drone. (Puis il ajouta :) Merde !

— Quoi encore ?

— La réunion est terminée, mais Zakalwe le dément ne prend pas sa voiture ; il se dirige vers l’ascenseur qui descend vers le réseau souterrain. Destination : la base navale. Un sous-marin l’y attend.

Sma se leva.

— Un sous-marin, hein ?

Elle lissa ses culottes.

— On repart aux docks, d’accord ?

— D’accord.

Elle souleva le drone et se mit en marche tout en cherchant des yeux un taxi.

— J’ai demandé au Très faible gravité d’envoyer un faux message radio, lui dit Skaffen-Amtiskaw. Un taxi devrait s’arrêter à notre hauteur d’un moment à l’autre.

— Et on dit qu’ils ne sont jamais là quand on a besoin d’eux…

— Tu m’inquiètes, Sma. Tu prends tout cela un peu trop à la légère.

— Oh, je paniquerai plus tard. (Sma prit une profonde inspiration, puis souffla lentement.) C’est ça, notre taxi ?

— Il me semble, oui.

— Comment dit-on « Aux docks » ?

Le drone le lui dit, et elle le répéta. Le taxi se faufila à toute allure au milieu des véhicules militaires.

Six heures plus tard, ils filaient toujours le sous-marin qui faisait route sous l’océan avec force couinements, vrombissements et gargouillements divers, en direction de la mer équatoriale.

— Soixante kilomètres heure ! fulminait le drone. Soixante kilomètres heure !

— De leur point de vue, c’est très rapide ; montre-toi donc un peu compréhensif envers tes sœurs les machines.

Sma gardait les yeux fixés sur l’écran tandis que, un kilomètre devant eux, le bâtiment fendait les eaux de l’océan. Le plateau abyssal était à des kilomètres en contrebas.

— Ce n’est qu’un sous-marin, Sma, expliqua le drone avec lassitude. Il n’est pas des nôtres. Ce qu’il contient de plus intelligent, c’est son commandant de bord humain. Je n’ai plus rien à ajouter pour ma défense.

— On sait où il va maintenant ?

— Pas la moindre idée. Le commandant a pour ordre d’emmener Zakalwe partout où il voudra aller, et, après lui avoir donné ces instructions plutôt vagues, ce dernier n’a plus prononcé un mot. Il peut avoir pour destination tout un tas d’îles ou d’atolls, ou bien viser – au prix de plusieurs jours de voyage, à cette allure d’escargot – des milliers de kilomètres de littoral, sur un autre continent.

— Regarde un peu ce qu’il y a sur ces îles, et vérifie le littoral aussi, tant que tu y es. S’il se dirige vers là-bas, c’est qu’il a une raison.

— La vérification est déjà en cours ! jeta le drone.

Sma regarda la machine. Les champs de Skaffen-Amtiskaw affichaient une délicate teinte pourpre annonçant la contrition.

— Sma, cet… homme… a complètement merdé la dernière fois ; nous avons perdu cinq ou six millions d’individus dans cette histoire, et tout ça parce qu’il n’a pas voulu sortir du Palais d’Hiver pour arranger les choses. Si je te montrais certaines des scènes d’horreur qui se sont déroulées là-bas, tes cheveux en blanchiraient d’un seul coup. Et maintenant, c’est ici qu’il est sur le point de déclencher une catastrophe majeure. Depuis qu’il lui est arrivé ce qui lui est arrivé sur Fohls – depuis qu’il essaie de jouer les humanistes –, ce type est une véritable catastrophe ambulante. En admettant qu’on réussisse à le retrouver et à l’emmener jusqu’à Vœrenhutz, je me demande avec inquiétude quel chaos il va bien pouvoir semer là-bas. Cet homme porte la poisse. Oublions la disparition de Beychaé ; c’est en organisant celle de Zakalwe qu’on rendrait un fier service à tout le monde.

Sma fixa un point situé au centre de la bande réceptrice du drone.

— Un, commença-t-elle, on ne parle pas de vies humaines comme s’il s’agissait de phénomènes accessoires. (Elle inspira à fond.) Deux : tu te rappelles ce massacre, dans la cour de l’auberge ce jour-là ? poursuivit-elle calmement. Les types qui passaient à travers les murs, tes missiles-couteaux déchaînés ?

— Un : désolé d’avoir choqué ta sensibilité de mammifère ; deux : me permettras-tu jamais d’oublier, Sma ?

— Tu te souviens de ce que je t’ai prédit si jamais tu recommençais ?

— Sma, répondit le drone avec lassitude, si tu sous-entends sérieusement que j’ai l’intention de tuer Zakalwe, je te rassure tout de suite ; ne sois pas grotesque.

— Souviens-toi, c’est tout. (Elle contempla le panorama qui se déroulait lentement sur l’écran.) Nous avons reçu des ordres.

— Nous avons adopté d’un commun accord une certaine ligne de conduite, Sma. Mais pas reçu d’ordres, si tu te souviens bien.

Sma acquiesça.

— D’un commun accord, oui. On enlève le sieur Zakalwe, on l’emmène à Vœrenhutz. Et si on doit se trouver en désaccord à un moment donné, tu peux toujours aller voir ailleurs. On m’assignera un autre drone offensif, voilà tout.

Skaffen-Amtiskaw attendit une seconde avant de répondre. Puis :

— Sma, je crois que tu ne m’as encore jamais rien dit d’aussi vexant… et pourtant, j’en ai entendu ! Mais je crois que je vais faire comme si de rien n’était ; nous sommes tous les deux éprouvés en ce moment. Mes actes parleront pour moi. Comme tu l’as dit, on embarque ce fouteur de merde à l’échelle planétaire et on le lâche sur Vœrenhutz. Néanmoins, si notre petit voyage sous-marin dure trop longtemps, l’affaire nous sera retirée des mains – ou des champs, selon le cas – et Zakalwe se réveillera à bord du Xénophobe ou de l’UCG en se demandant ce qui lui arrive. Nous ne pouvons rien faire d’autre qu’attendre et voir. (Là, le drone marqua une pause. Puis :) Finalement, c’est peut-être vers ces fameuses îles équatoriales que nous nous dirigeons, on dirait. Zakalwe en possède la moitié.