Выбрать главу

— Qui est là ? demanda Zakalwe.

— Stod Périce.

Un jeune homme entra à l’envers dans son champ de vision et le salua d’un signe de tête.

— Médico. Enchanté, monsieur Zakalwe. C’est moi qui m’occuperai de vous, quelle que soit la façon dont vous choisirez de passer le temps.

— Dans ces circonstances, est-ce qu’on rêve quand on est endormi ? demanda-t-il au médico.

— Tout dépend de la profondeur du sommeil que vous demanderez. On peut vous endormir si profondément que, en vous réveillant après ces deux cents jours, vous aurez l’impression qu’une seconde seulement s’est écoulée. Ou bien vous pouvez rêver de manière très claire du début à la fin. C’est vous qui choisissez.

— Qu’est-ce qu’on fait généralement dans ce cas-là ?

— La plupart des gens demandent qu’on les déconnecte : ils se réveillent avec un nouveau corps sans avoir l’impression que le temps a passé.

— C’est bien ce que je pensais. Est-ce que je peux me saouler tout en étant branché sur cet engin, quel qu’il soit ?

Stod Périce sourit.

— Je suis sûr que nous pouvons vous arranger ça. Si vous voulez, nous pouvons vous donner des toxiglandes qui sécréteront des drogues de manière interne ; c’est l’occasion rêvée, il n’y a qu’à…

— Non merci, coupa Zakalwe, qui ferma brièvement les yeux et essaya de secouer la tête. Je me contenterai d’une ébriété occasionnelle.

Stod Périce acquiesça.

— Ma foi, je pense qu’on devrait pouvoir vous équiper en conséquence.

— Formidable. Sma ? fit-il en regardant la jeune femme, qui haussa les sourcils d’un air interrogateur. Je vais rester éveillé.

Un sourire se dessina lentement sur les lèvres de Sma.

— J’en avais comme un pressentiment.

— Tu restes dans les parages ?

— Possible. Tu veux ?

— J’apprécierais, oui.

— Je crois que ça me plairait aussi, fit-elle en hochant la tête d’un air pensif. D’accord, je te regarderai grossir.

— Merci. Et merci de ne pas avoir amené ce fichu drone. J’entends d’ici ses plaisanteries douteuses.

— … Oui, répondit Sma d’une voix hésitante qui le poussa à s’enquérir :

— Qu’est-ce qu’il y a, Sma ?

— Eh bien…

La jeune femme parut mal à l’aise.

— Dis-moi.

— C’est Skaffen-Amtiskaw, dit-elle gauchement. Il t’envoie un cadeau. (Elle pécha un petit paquet dans sa poche et le brandit d’un air gêné.) Je… je ne sais pas ce que c’est, mais…

— Tu vas bien être obligée de l’ouvrir.

Elle s’exécuta donc, et examina le contenu du paquet. Stod Périce se pencha, puis se détourna prestement en portant sa main à sa bouche, en proie à une quinte de toux.

Sma fit la moue.

— Je crois que je vais demander un autre drone de compagnie.

Zakalwe ferma les yeux.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un chapeau.

Cela le fit rire. Sma finit par l’imiter – ce qui ne l’empêcha pas, par la suite, de bombarder le drone d’objets divers. Stod Périce accepta le chapeau en cadeau.

Ce ne fut que plus tard, sous la lumière rouge et diffuse de la section hôpital, tandis que Sma dansait langoureusement avec sa nouvelle conquête et que Stod Périce dînait dehors avec des amis et leur racontait l’anecdote du chapeau, que Zakalwe se souvint du jour où, quelques années plus tôt et à une très grande distance de là, Shéas Engen avait suivi du doigt les cicatrices qui couvraient son corps – ses fins doigts frais sur sa chair plissée qui paraissait toute neuve, l’odeur de sa peau, sa longue chevelure qui se balançait en venant le chatouiller.

Et dans deux cents jours il aurait un nouveau corps. Et (Et celle-là… Je suis désolée. Toute récente, n’est-ce pas. ?)… la plaie au niveau de son cœur aurait disparu à jamais, et le cœur juste en dessous ne serait plus jamais le même.

Alors il se rendit compte qu’il l’avait perdue.

Non pas Shéas Engen, qu’il avait tendrement aimée, ou cru aimer, et perdue sans l’ombre d’un doute… mais elle, l’autre, la vraie, celle qui vivait en lui depuis un siècle de sommeil glacé.

Il avait cru ne jamais la perdre, sinon au jour de sa propre mort.

Mais maintenant, il savait que c’était faux ; il se sentit brisé sous le choc de cette perte.

Il murmura son nom dans la nuit calme et rouge.

Au-dessus de sa tête, l’unité de contrôle médical à la vigilance infaillible enregistra la présence d’un peu de liquide dans les canaux lacrymaux de cette tête humaine dépourvue de corps et se demanda silencieusement ce qu’il fallait en conclure.

— Quel âge a ce vieux Tsoldrin, maintenant ?

— Quatre-vingts années relatives, répondit le drone.

— Et vous croyez qu’il acceptera de quitter sa retraite ? Sur ma simple demande ? interrogea-t-il d’un ton sceptique.

— On n’a pas trouvé de meilleure solution que toi, l’informa Sma.

— Vous ne pouvez pas le laisser vieillir tranquille ?

— Il y a tout de même autre chose en jeu que la retraite paisible d’un politico vieillissant, Zakalwe.

— Ah oui ? Et quoi donc ? L’univers ? La vie telle que nous la connaissons ?

— Tout juste ; par dizaines, peut-être par centaines de versions.

— Quelle philosophie !

— Et l’Ethnarque Kérian, tu l’as laissé vieillir en paix peut-être ?

— Que non ! répliqua-t-il en s’introduisant un peu plus avant dans son armure. Ce vieux pisseux méritait de mourir un million de fois.

La zone-atelier du minidock reconverti abritait un étalage étourdissant d’armes issues de la Culture ou d’ailleurs. Zakalwe, songea Sma, était comme un gosse dans un magasin de jouets. Il sélectionnait du matériel et le chargeait ensuite sur une palette que Skaffen-Amtiskaw pilotait sur ses talons tandis qu’il longeait les allées bordées de râteliers, de tiroirs et d’étagères, le tout bourré d’armes à projectiles, fusils à visée laser, fusils laser ou projecteurs à plasma, sans compter d’innombrables grenades, effecteurs, charges planes, armures passives et réactives, équipements de détection et de protection, tenues de combat complètes, batteries de missiles, ainsi qu’une dizaine au moins d’engins de types différents que Sma ne put identifier.

— Tu ne pourras jamais porter tout ça, Zakalwe.

— C’est pourtant le minimum, lui dit-il. (Il prit sur une étagère une arme trapue de forme plutôt carrée dont on ne distinguait pas nettement le canon.) Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Un SOERC, répondit Skaffen-Amtiskaw ; Système Offensif à Émission de Rayonnement Cohérent ; un fusil d’assaut. Sept batteries de quatorze tonnes ; sept éléments au coup par coup jusqu’à quarante-quatre kilorafales virgule huit par seconde (temps de tir minimum : huit secondes virgule soixante-quinze), maximum pour une salve unique ; sept fois deux cent cinquante kilogrammes ; fréquence : du milieu de la gamme visible au sommet du spectre X.

Il soupesa la chose.

— Pas très bien équilibré.

— Tel qu’il se présente actuellement, il est replié en position de stockage. Faites glisser tout le dessus vers l’arrière.

— Hmm.

Une fois l’arme prête à tirer, Zakalwe fit mine de viser.

— Et qu’est-ce qui m’empêche de placer la main qui soutient le tout à cet endroit-là, là d’où partent les rayons ?

— Le bon sens ? suggéra le drone.

— Mouais. Eh bien, je garde mon vieux fusil à plasma démodé. (Il replaça l’arme sur son étagère.) Et puis, reprit-il, tu devrais te réjouir que de vieux messieurs abandonnent leur retraite pour toi, Sma. Bon sang, je devrais être en train de me consacrer au jardinage ou à je ne sais quoi d’autre au lieu de foncer à tombeau ouvert vers le fin fond de la galaxie pour me salir les mains à votre place.