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Il inspecta les motifs des dessus-de-lit, des rideaux, des tentures et des tapis, les fresques murales et les tableaux accrochés aux murs, ainsi que la ligne du mobilier. Il sonna pour demander qu’on lui apporte de quoi dîner ; et, quand le repas arriva sur un petit chariot, il poussa ce dernier de pièce en pièce tout en mangeant. Il entreprit de flâner dans les espaces paisibles de l’hôtel en regardant dans toutes les directions, sans oublier de jeter de temps en temps un coup d’œil au minuscule dispositif censé lui révéler la présence d’appareils de surveillance. Mais il n’y en avait pas.

Il fit halte devant une fenêtre et, tout en regardant au-dehors, se mit à frotter distraitement sur son sein la petite cicatrice toute plissée qui ne s’y trouvait plus.

— Zakalwe ? fit une voix ténue à la hauteur de sa poitrine.

Il baissa les yeux, sortit de sa poche un minuscule objet évoquant une perle et l’accrocha à l’une de ses oreilles. Puis il ôta ses lunettes noires et les glissa dans la même poche de poitrine.

— Oui ?

— C’est moi, Diziet. Tout va bien ?

— Ouais. J’ai trouvé à me loger.

— Formidable. Écoute : on a trouvé quelque chose. Exactement ce qu’il nous fallait !

— Qu’est-ce que c’est ? dit-il.

Sma avait une voix tout excitée. Cela le fit sourire. Il appuya sur un bouton pour fermer les rideaux.

— Il y a trois mille ans, un homme est devenu célèbre ici pour ses talents de poète ; il écrivait sur des tablettes de cire encadrées de bois. Cet homme a laissé à la postérité un ensemble de cent courts poèmes, qu’il avait toujours considérés comme le meilleur de sa production. Mais comme il n’arrivait pas à les faire éditer, il a décidé de devenir sculpteur. Il a alors fait fondre la cire où étaient gravés quatre-vingt-dix-huit de ses poèmes – en gardant le premier et le centième – afin de sculpter une cire autour de laquelle il a ensuite fabriqué un moule de sable ; ce dernier lui a ensuite permis de couler une forme dans le bronze. Et ladite statue existe toujours.

— Sma, je ne vois vraiment pas où tu veux en venir avec cette histoire, remarqua-t-il en appuyant sur un autre bouton pour rouvrir les rideaux (le chuintement qu’ils faisaient lui plaisait).

— Mais attends ! Lorsque nous avons découvert Vœrenhutz et passé au crible chaque planète selon la procédure habituelle, nous avons naturellement pris un holo de cette statue ; or, nous avons trouvé des traces de sable issues du moule d’origine, ainsi que de la cire dans une fissure !

— Et la cire n’était pas la bonne !

— En effet, elle ne correspondait pas à celle des deux tablettes restantes ! L’UCG a donc attendu d’avoir terminé son inspection détaillée, puis elle s’est livrée à une petite enquête. L’auteur de ce bronze, et donc des poèmes, s’est par la suite fait moine et a fini abbé dans un monastère. Sous son règne, celui-ci s’est vu adjoindre une aile ; la légende veut qu’il ait eu coutume de s’y rendre pour méditer sur les quatre-vingt-dix-huit poèmes disparus. Or, le mur extérieur de cette aile est double. Et devine ce qu’il y a dans l’intervalle ? claironna Sma d’un ton triomphant.

— Des moines désobéissants qu’on y a emmurés ?

— Les poèmes ! Les cires ! clama Sma. (Puis elle baissa un peu le ton.) Enfin, la plupart des cires. Le monastère est abandonné depuis environ deux cents ans, et il semble qu’un berger ait allumé un feu contre le mur à un moment ou à un autre, ce qui a eu pour effet d’en faire fondre trois ou quatre… mais les autres sont là !

— Et c’est bien ?

— Mais enfin, Zakalwe ! Elles constituent l’un des plus grands trésors littéraires de cette planète ! L’université de Jarnsaromol, où traîne ton copain Beychaé, détient la plupart des manuscrits sur parchemin qu’a laissés ce type, plus les deux tablettes en question ainsi que le fameux bronze. Ils donneraient n’importe quoi pour mettre la main sur ces tablettes. Tu ne comprends donc pas ? C’est le rêve, pour nous !

— Mmoui, ça m’a l’air pas mal comme idée.

— Maudit sois-tu, Zakalwe ! C’est tout ce que tu trouves à dire ?

— Écoute, Dizzy. Une chance pareille, ça ne dure jamais bien longtemps ; tu verras qu’elle finira par tourner.

— Ne sois pas si pessimiste, Zakalwe.

— D’accord, d’accord, soupira-t-il en refermant une nouvelle fois les rideaux.

Diziet Sma émit un son exaspéré.

— Ma foi, je croyais que ça t’intéresserait. On s’en va bientôt. Dors bien.

La communication s’interrompit sur un bip. L’homme eut un sourire attristé. Il laissa son petit terminal accroché à son oreille, comme un bijou.

Il demanda qu’on ne le dérange pas et, comme la nuit s’épaississait, alluma tous les appareils de chauffage à fond et ouvrit toutes les fenêtres. Il passa un moment à inspecter les balcons et les gouttières qui couraient sur les murs extérieurs ; en éprouvant la solidité des appuis de fenêtre, des canalisations, des rebords et des corniches, il descendit presque jusqu’au niveau de la rue et fit tout le tour de la façade. Il ne vit de la lumière que dans une dizaine de chambres. Quand il eut le sentiment de connaître suffisamment l’extérieur de l’hôtel, il regagna son étage.

Là, il s’accouda au balcon, un bol fumant entre les mains. Occasionnellement, il l’élevait à hauteur de son visage et inhalait profondément ; le reste du temps, il contemplait la cité scintillante en sifflotant.

Devant ce panorama moucheté de lumières, il songea que, si la plupart des villes ressemblaient à un canevas mince tendu à l’horizontale, Solotol, elle, était plutôt comme un livre entrouvert, un V ondulé et sculpté planté au cœur du passé géologique de la planète. Dans les hauteurs, les nuages qui survolaient le canyon et le désert luisaient d’un éclat rouge-orange, reflet du flamboiement canalisé de la cité.

Il se dit que, vu de l’autre bout de la ville, l’hôtel devait avoir l’air bizarre, avec son dernier étage tout allumé tandis que les autres restaient pratiquement dans le noir.

Sans doute avait-il oublié à quel point la disposition d’ensemble du canyon rendait cette ville différente des autres. Et pourtant, songeait-il, il y a là aussi une similarité. Partout règne la similarité.

Il avait vu tant d’endroits, constaté tant de ressemblances et tant de différences radicales que les deux phénomènes le laissaient également stupéfait… Mais c’était vrai : cette ville n’était pas si différente d’un grand nombre de celles qu’il avait connues.

Partout où ils se trouvaient la vie bouillonnait dans la galaxie, dont la nourriture de base ne cessait de lui remonter à la gorge, comme il l’avait dit à Shéas Engen (et tandis qu’il pensait à elle lui revinrent en mémoire la texture de sa peau et le son de sa voix). Mais il se doutait que, si elle l’avait voulu, la Culture aurait pu l’envoyer visiter des endroits aux différences et à l’exotisme bien plus spectaculaires. Néanmoins, elle prétendait qu’il n’était qu’une créature limitée, adaptée à un certain type de planète seulement, un certain genre de société et de façons de faire la guerre. Une certaine « niche martiale », comme disait Sma en faisant référence au concept de niche écologique.

Il eut un sourire un peu amer et s’offrit une autre inhalation en plongeant le nez dans son bol-à-drogue.

L’homme longeait des arcades vides, escaladait des volées de marches désertes. Il était vêtu d’un vieux pardessus de conception inconnue mais d’allure quelque peu vieillotte ; par ailleurs, il portait des lunettes noires. Sa démarche visait au moindre effort. Il ne semblait pas avoir de bizarreries de comportement.